Trois jours aux Francophonies en Limousin
Deux miroirs magiques campent sur le Champ de juillet, plaçant le festival au cœur de la ville, face à la gare de Limoges.L’un est le QG: restaurant, librairie, bar et lieu de rencontres des artistes et des festivaliers. L’autre chapiteau accueille concerts et spectacles gratuits. À partir de ce lieu central, on arpente les rues labyrinthiques de Limoges, car le festival s’éclate sur plusieurs plateaux et quatre continents. Les moins sportifs bénéficient de navettes, dommage pour la promenade.
Du 27 septembre au 6 octobre , toutes les Francophonies ont été au rendez- vous, de Madagascar à la Caraïbe ; du Québec à la Belgique et à la Suisse, en passant bien sûr par l’Afrique. Un kaléidoscope de styles et de formes aussi : théâtre, danses, performances, lectures, expositions, musiques…Les écritures sont le centre névralgique du Festival avec la Maison des auteurs qui invite des écrivains en résidence et organise des rendez vous littéraires.
Petit échantillon en forme d’itinéraire de ce qu’on a pu voir en trois jours.
Jeudi 4 octobre: A Expression 7, petite salle en étage ouvert par la Cie Max Eyrolle en 1977 avec Terre Rouge de et par Aristide Tarnagda. Burkinabé, l’auteur se fait l’interprète d’un poème dramatique à deux voix. Celles de deux hommes : l’un déplore l’absence de son frère, sur sa terre rouge autrefois luxuriante mais aujourd’hui vouée aux saccages de la mondialisation, ; l’autre parle de son exil, de la froide solitude des bars et du métro parisiens. La langue poétique et lancinante est orchestrée avec rigueur par Marie-Pierre Bésanger. Deux musiciens blancs dialoguent avec la voix et la présence puissantes de l’auteur-acteur.
Ils restent un peu trop en retrait pour qu’advienne une véritable polyphonie, mais on ne peut que saluer le compagnonnage de longue date d’une compagnie corrézienne avec un auteur de Ouagadougou.
Un tout autre univers prévaut à Jean Gagnant, l’un des 5 centres culturels municipaux de Limoges situé derrière la gare.Une grande salle, un grand plateau pour un ambitieux parcours théâtral. Avec It’s my life or I do what I want , conçu et interprété par Guy Dermul et Pierre Sartener.
Sous forme de conférence, preuves et documents à l’appui, ils retracent et illustrent la vie mouvementée de Willem Kroon, artiste néerlandais d’avant- garde aussi génial que méconnu. En Pologne, il écrit Akropolis Akropolis pour Grotowsky ; en Italie, participe au mouvement Arte Povera ; à Londres, il monte En attendant Godot dans un parc, sous un grand arbre verdoyant, ce qui le brouille avec Beckett.
Plus tard, il réalisera Trenches, premier spectacle hors champ, sans acteurs! qui évoque l’enfer des tranchées : les balles ( de tennis) pleuvent dans le no man’s land d’un plateau envahi de gaz. À Avignon, il monte un spectacle minimaliste avec Louis Wolfson, auteur du Schizo et les langues (Gallimard 1970)…Les deux compères nous baladent joyeusement dans le monde loufoque d’un canular de grande envergure, avec la verve surréaliste dont les Belges ont le secret .
Vendredi 5 octobre au bar d’Expression 7, petite salle conviviale en forme d’arène avec Le collectif des collectifs d’auteurs, Marie-Agnès Sevestre, la directrice du festival, ouvre au public les coulisses de la programmation de cet événement qui fêtera ses 30 ans en 2013. La parole est aux auteurs, à qui elle demande d’inventer une manifestation collective. Dans plusieurs pays, ils se sont organisés en collectifs pour un partage et des gestes artistiques solidaires. Certains sont présents à cette réunion de travail, venus de Suisse (Nous sommes vivants), du Québec (Festival du jamais lu) , de France (La Coopérative d’écriture) , du Burkina, de la République démocratique du Congo, des Comorres. Les propositions fusent. Ludiques. Festives. Pour inscrire les écritures au cœur de la cité et au plus près de la population. À suivre…
A l’Espace Noriac, un immeuble du XIXe siècle acquis par le Conseil général en 1989, dont la salle de spectacle se situe dans une ancienne chapelle avec 45 Tours, chorégraphie de DeLaVallet Bidiefono, texte et musique de David Lescot. Dans l’espace circulaire du chœur, le Français et le Congolais s’affrontent en combat singulier en 15 rounds de trois minutes : comme les 15 plages d’un disque. Soit la guerre comme mode d’approche et de connaissance de l’autre. Les mots de l’auteur dramatique et ses instruments de musique contre la danse. Corps-à-corps de gestes, de paroles, d’incantations : on tourne, on échange les rôles, on ne sait plus qui est le chorégraphe et qui est l’écrivain. C’est du sérieux, la guerre, mais ici c’est aussi pour rire. 45 minutes de plaisir.
Mais le festival s’exporte aussi dans la région, à Guéret, Uzerche, ou encore à Aixe-sur-Vienne à quelques kilomètres de Limoges au bord l’affluent de la Loire. Au centre culturel Jacques Prévert , tout beau tout neuf, une petite salle confortable accueille les spectateurs avec, pour chacun, son nom sur un fauteuil, comme à un repas de noces .
Au programme: Chiche l’Afrique de Gustav Akakpo, qui nous convie en effet aux ébats du couple Françe-Afrique. Sous forme d’une conférence de presse où s’expriment tour à tour des chefs d’Etat français et africains. On découvre chez l’auteur togolais d’À petite pierre, un véritable talent de conteur, de comédien et surtout d’imitateur. Il prend les accents et les mimiques d’un Pasqua, Mobutu, Sarkozy, Compaore, Sassoun Guesso, Chirac… Tel un Bedos africain, il dénonce la corruption, l’hypocrisie, les dérives autocratiques et les crimes des uns et des autres. On souhaite à ce spectacle une large diffusion.
Samedi 6 au bar du Théâtre de l’Union. Le bâtiment, classé au patrimoine mondial, ancienne salle des fêtes de l’union des coopérateurs, qui a été rénovée, est devenue le théâtre du centre dramatique national. Avec L’association Etc Caraïbes basée en Martinique qui révèle des écritures dramatiques des Caraïbes : un espace multilingue qui va des Antilles au Venezuela. Rencontre avec deux écrivaines, dont Philippe Delaigue a su mettre en lecture les deux pièces sans brider l’énergie de ces langues.
La Médaille de Marie-Thérèse Picard met en scène dans une écriture imagée, deux enfants traquant au bord de la rivière les monstres qui les apeurent. Avec Les Muses, Apolline Steward exerce ses talents de conteuse en faisant vivre trois sœurs bien dangereuses que les hommes n’ont pas intérêt à approcher de trop près : le créole contamine le français sans vergogne.. Il y a aussi Bloc Notes : Syrie, installation de Catherine Boskowitz. De petites vignettes sagement alignées, images en lambeaux, vues des villes défoncées déglinguées. Un parcours compassionnel dans les ruines de la Syrie en guerre.
Aux Miroirs magiques, il se passe toujours quelque chose : notamment, autour de la librairie avec une Rencontre avec Mamadou Mhamoud N’Dongo pour son roman Remington (Gallimard, 2012). Miguel, au soir de ses quarante et un ans, revient sur des années d’une vie tumultueuse et dissolue ; un portrait de la société urbaine occidentale. Écrivain, musicien, cinéaste, Mamadou Mhamoud Ndongo procède par courts chapitres, dans une langue rythmée et aigüe .Un auteur à découvrir! Et Cantate de guerre de Larry Tremblay a fait l’objet d’une remise du prix de la dramaturgie Francophone de la SACD : interviewé par son éditeur Emile Lansman, un des piliers du festival, l’auteur et romancier québécois, auteur de seize pièces explore, dans un poème dramatique d’une grande musicalité, les mots de la haine, précurseurs de la guerre.
Retour au Théâtre de l’Union avec Cosmos, mise en scène et scénographie de Dorian Rossel. Cela commence par des lueurs de briquets et des chuchotis dans le noir et se termine par un grand tohu-bohu. Mais la tentative de la jeune compagnie helvétique Super Trop Top d’habiter le vide sidéral du plateau tourne court.En effet, entre théâtre sans parole, danse, théâtre d’objets, le spectacle a du mal à trouver sa forme et son rythme, sauf dans un final assez réussi ou toutes les composantes du plateau se mettent enfin en branle. Laissons à ce jeune metteur en scène, dont le talent pour la scénographie est ici incontestable, l’excuse d’avoir choisi le propos trop ample de l’individu face au cosmos.
En plein air devant les miroirs magiques pour un concert de clôture avec Jupiter and Okwess international. Jupiter porte fièrement l’étendard d’un style musical qu’il a lui-même créé , le Bofenia Rock, donnant à la musique traditionnelle du Congo des accents urbains proches de la soul et du funk. Malgré la pluie qui s’est abattue sur Limoges, chant, guitares et percussions- ambiance!- résonnent dans la ville endormie. Et l’on peut toujours se mettre à l’abri au bar. On dit que la pluie porte bonheur… Souhaitons donc longue vie à ce festival et un joyeux anniversaire pour ses trente ans, l’année prochaine.
Mireille Davidovici