Shakespeare et le désordre du monde
Shakespeare et le désordre du monde par Richard Marienstras, avant-propos d’Élise Marienstras, textes édités et présentés par Dominique Goy-Blanquet..
Spécialiste de la littérature élisabéthaine, Richard Marienstras a publié sur Shakespeare des essais fameux, Le Proche et le Lointain (1981) et Shakespeare au XXI ème siècle (2000). Paraît aujourd’hui Shakespeare et le désordre du monde,un recueil posthume de l’auteur disparu en 2011, ouvrage poursuivi par son épouse et Dominique Goy-Blanquet.
Selon elle, les tragédies du grand Will parlent « du désordre du monde dont le mal qui est tapi en l’homme est responsable, de la Fortune et de l’Histoire qui font de l’homme leur jouet. » Toutefois, nulle complaisance dans la noirceur ou le cynisme total n’incline à la désespérance ni au désenchantement absolu, pense Richard Marienstras.
L’œuvre de Shakespeare ne cesse de fasciner son public – hier, aujourd’hui et demain – à travers des thèmes universels qui sont le lot de chacun : l’amour, le désir, la tromperie, la jalousie, la volonté de puissance, la peur de la mort, la fraternité virile, le courage, le crime et son châtiment.
Selon Marienstras, des motifs plus troublants encore, avec le temps, viennent s’ajouter à la séduction des thèmes initiaux, à travers des analyses plus directement contemporaines : la fonction du rêve, le cheminement du désir, l’obsession du pouvoir, la mise en cause du sacré par l’histoire et de l’histoire par la tragédie, de la tragédie par l’absurde et le grotesque. « Et encore : la situation de l’individu dans un monde où tout se dérobe, où les certitudes du passé sont battues en brèche par la modernité… »
Cette vision du monde est déjà largement politique à l’heure où le sacré, l’individuel, le naturel et le social sont appréhendés ensemble, sans le moindre ordonnancement. Comme le dit Peter Brook, l’œuvre shakespearienne ne propose pas une vision du monde, mais « est » simplement le monde. De là, la multiplication des discours contradictoires – marxistes, freudiens, démocrates, extrémistes, mystiques et matérialistes – concernant ces intrigues historiques engagées dans leur temps et que tous veulent s’approprier.
Shakespeare est à la fois éternel et…contemporain à l’extrême, dépasse le clivage des générations et sait mettre en scène l’homme aux prises avec les événements qui font l’Histoire, les passions, les violences et les malheurs. C’est une mise à l’épreuve existentielle, à travers laquelle l’homme rompt ou se plie pour renaître ailleurs, autre ou lui-même encore.
Aujourd’hui, les temps sont difficiles – toujours et à jamais -, si l’on observe les crises et les guerres qui surgissent dans nombre de pays. L’écart entre l’espoir et la déception est douloureux. Marienstras souligne qu’il ne faut surtout pas baisser la tête devant la difficulté d’un présent semé d’embûches.
Shakespeare enseigne à nous émouvoir profondément de la souffrance comme à nous émerveiller de la grandeur : il nous rappelle ce que l’on peut exiger de l’homme et du monde, et ce que l‘on peut exiger de soi : sentiment des valeurs, pitié, passion et clairvoyance. Revisitons sans nous lasser Richard II, Timon d’Athènes, Le Roi Lear, La Tempête…
Tentons de suivre la roue de l’Histoire sur laquelle nous roulons. Elle ne mène pas forcément au malheur mais à la recomposition, pour le meilleur, de soi et du monde
Véronique Hotte
Éditions Gallimard