Rencontre entre Edward Albee, Israël Horovitz, Marie-France Ionesco et Emmanuel Demarcy-Mota
Rencontre entre Edward Albee, Israël Horovitz, Marie-France Ionesco et Emmanuel Demarcy-Mota.
C’est à l’initiative de la maison française de la New York University dirigée par Francine Goldenhar que s‘est tenue cette rencontre. Le public était venu nombreux à la NYU, et Tom Bishop, le modérateur et responsable du Centre de culture et de civilisation française dans cette même université, a eu du mal à limiter les questions en fin de rencontre. ..Au programme: le théâtre de l’absurde à l’occasion du passage à la Brooklyn Academy of Music du Rhinocéros d’Eugène Ionesco dans la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.
Tous étaient d’accord pour dire que la notion de « théâtre de l’absurde » était scolaire et réductrice; beaucoup de gens étaient aussi venus voir Edward Albee (84 ans), un des derniers dramaturges mythiques encore vivants, l’auteur de Qui a peur de Virginia Woolf, représentée pour la première fois à Broadway, au Billy Rose Theater en 62 et récompensée en 63 par un Tony Award et par le New York Drama Critics’ Circle Award comme meilleure pièce de théâtre. Elle avait été adaptée ensuite au cinéma la même année par Mike Nicols, avec Elizabeth Taylor et Richard Burton.
Volontiers moqueur, Albee a ironisé sur le concept de théâtre de l’absurde, l’important étant pour lui la découverte dans sa jeunesse d’auteurs comme Pirandello, Beckett ou Ionesco, qui lui ont fait vivre une période intellectuellement florissante, en particulier en France. Puis il a évoqué sa rencontre avec Eugène Ionesco, dont la peinture , selon lui, n’était pas à la hauteur de ses écrits.
Israël Horovitz (73 ans) auteur entre autres de Le Premier,L’Indien cherche le Bronx et Le Baiser de la Veuve, est sans doute l’un des dramaturges américains les plus joués dans le monde. Il a dit se sentir très proche de la France et Grasset a publié en 2011 Un New-yorkais à Paris. Celui que Ionesco appelait « notre doux voyou américain » confirme que l’appellation « théâtre de l’absurde » n’a pas, pour lui, beaucoup de sens…Comme Albee, il aussi évoqué ses rencontres avec Ionesco, quand les pièces de l’auteur d’origine roumaine, étaient jouées au théâtre du Lucernaire -alors situé rue de la Gaieté- mais sans faire recette.
Marie-France Ionesco, elle, a parlé de la première venue de son père à New York, et elle a souligné l’importance de son travail sur le langage puis a lu un texte de lui Pourquoi j’écris.
Quant à Emmanuel Demarcy-Mota, qualifié de « King of Young Genius » (!) pour sa mise en scène par Israël Horovitz, il a tenu à s’exprimer en français. Il a fait remarquer qu’Eugène Ionesco avait décidé d’écrire toute sa vie en français. Il préfère à l’expression « théâtre de l’absurde », celui de « théâtre de l’insolite », à propos d’un théâtre qui ne ressemble à rien de ce qui existait à l’époque.
Il a monté Le Rhinocéros la première fois quand il avait 15 ans, puis à 35 ans et cite trois phrases de l’auteur qui ont orienté son travail: « vouloir être de son temps c’est déjà être dépassé », « oser penser par vous-même », et « le comique n’est comique que si il est effrayant ».
Emmanuel Demarcy-Mota a souligne la réaction imprévue du public américain qui a ri à chaque représentation. Robert Abirached parlait effectivement en 1966, à propos de la réception par le public des pièces d’Eugène Ionesco « Elle sont d’une gaieté nerveuse et tendue faite de désarroi de panique et de révolte ». Le metteur en scène du Rhinocéros a aussi insisté sur l’importance de la notion de troupe pour ce spectacle, surtout en tournée.
Quant à Béranger, personnage principal de la pièce, ce n’est , pour lui, ni un héros ni un marginal et il estime qu’il est dans la liminalité. Ionesco dans sa pièce dit-il, n‘offre pas de recours contre le mal qu’il dénonce, ce que Robert Abirached avait déjà souligné: « Quant à la moralité à tirer de ces fables : son jeu consiste précisément à n’en formuler aucune et à laisser l’histoire ouverte. A chacun de conclure comme il l’entend « .
Emmanuel Demarcy-Mota conclura : » Ma mise en scène ne veut pas donner de réponse, mais fait apparaître des questions, pour aider le public dans son dialogue avec le poète « .
Jean Couturier
Rencontre du 5 octobre 2012