Les Femmes savantes
Les Femmes savantes de Molière, mise en scène de Denis Marleau
La salle du Théâtre du nouveau monde à Montréal ne peut rivaliser avec les images de la belle terrasse du château de Grignan près d’Avignon, où Mme de Sévigné a passé les dernières années de sa vie.
Ici , dans la salle de la rue Sainte-Catherine, nous ressentons quand même le souffle de cette mise en scène savoureuse. La scénographie évoque la cour du château avec une balustrade donnant sur les jardins. L’arrivée de la famille est projetée sur le mur du fond pour nous donner une idée de Grignan et la suite de la pièce se déroule près d’un bassin où les intrigues tournent surtout autour du mariage arrangé d’Henriette qui est amoureuse de Clitandre avec le ridicule Trissotin, poète hystérique, maquillé et vêtu comme une sorte de Jean Cocteau ébouriffé.
L’intrigue met en valeur les querelles littéraires de l’époque, l’enflement stylistique de la langue des Précieuses que Molière aimait bien démolir. Le tout, baigné dans la lumière presque aveuglante du Midi de la France, évoque un climat de fête, et Denis Marleau met bien en valeur la psychologie des personnages, et l’ écriture d’une finesse extraordinaire de Molière, et nous avons été émerveillés par la façon que possède le metteur en scène d’aborder l’oralité de ce texte du 17 ème siècle.
Quant aux costumes des années 1950, ils donnent aux personnages une plus grande liberté de mouvement. Et les acteurs ont une gestuelle chargée d’émotion et surtout une diction énergique de dialogues qui est très contemporaine. Mais le texte de Molière reste intact, même si on a parfois l’impression qu’il a été réécrit , et l’on est vite séduit par le rythme des alexandrins au point de ne plus les remarquer.
Cette virtuosité verbale nous rappelle le grand art des acteurs britanniques qui arrivent à « dire » Shakespeare, comme s’ils parlaient naturellement sa langue. C’est la première fois que nous avons cette impression avec une pièce classique française au Canada. Bref, une soirée de pur plaisir.
La direction d’acteurs de Marleau est très soignée, et il a su donner au jeu comique un côté presque farce. La mère, Philaminte, est la caricature d’une dévote du XXIe siècle. Le père, Chrysale, devient ici un mari écrasé par sa femme, à la limite de la bouffonnerie et du pathos tragi-comique. Le personnage de Vadius comme celui de Trissotin avec ses élucubrations ridicules , les réponses de Belise, Philaminte et Armande qui se pâment devant de fausses merveilles stylistiques : tout nous rappelle les premières mise en scènes de cette troupe de Montréal qui a gardé son nom d’origine (Ubu ).
Le texte de Molière, pétillant et très critique, est d’une telle modernité qu’il fait penser à Jarry! Une belle aventure théâtrale et une magnifique redécouverte de la pièce…
Alvina Ruprecht
Création aux Fêtes nocturnes de Grignan (France) en juillet , et au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal jusqu’au 27 octobre. Tél. 514-866-8668.