Mandićmachine

Mandićmachine,  concept et sélection des extraits de pièces par Bojan Jablanovec et  Marko  Mandić, mise en scène de Bojan Jablanovec.

C’est un solo remarquablement orchestré par le metteur en scène et directeur de Via negativa,( un groupe de recherche théâtral bien connu en Slovénie), solo  dont  Marko  Mandić, acteur de la troupe permanente du  Théâtre national est l’unique protagoniste.
Dans des extraits parfois très courts-trente secondes-de quelque trente huit pièces où il a eu un rôle important. L’acteur  nous emmène dans un tourbillon de personnages tragiques pour la plupart conçus par de nombreux   auteurs : cela va des tragiques grecs: Sophocle, avec le Messager de l’Antigone de Sophocle qui vient annoncer au roi Créon,la pendaison d’Antigone vite suivie par le suicide de son fiancé Hémon, le fils du roi. Euripide avec Oreste dans Iphigénie , et des relectures comme celles qu’a peu en faire Heiner Muller avec Matériel Médéa d’après Euripide. Mais il y a aussi Macbeth de Shakespeare, Hypollite de Phèdre de Racine,  le Treplev de La Mouette et le Platonov de Tchekov, Anna Karénine de Tolstoï, Les frères Karamazov avec la célèbre scène du Procureur,  Les Revenants d’Ibsen. Et un petit texte appartenant à un mystère tibétain…

Sans oublier des auteurs  contemporains  comme l’Allemand Martin Sperr, l’Anglais  Barker,  les Français comme Koltès avec un court extrait de Roberto Zucco ou  Lagarce, ou encore slovènes comme Boris A. Novak, ou la Serbe Billjana Srdljamovic que Christian Benedetti a fait connaître en France. Comme on le voit, le choix est éclectique et la palette est des plus larges. Il y a sans doute un dizaine de scènes, trop courtes qui auraient pu être éliminées sans difficulté aucune! Mais bon!
Du côté comique, en revanche pas grand chose: ce n’est pas le registre de Marko  Mandić  qui, pourtant ici, ne manque pas d’humour. A trente huit ans, il en parait presque dix de moins; simple et chaleureux,  il a une remarquable énergie et il sait, sans être racoleur, communiquer sa passion théâtrale pour donner vie à ces personnages de fiction. Dénominateur commun: le corps, le corps triomphant bafoué, meurtri, le corps objet de fascination,  le corps désir sexuel,  mais chose répugnante dès qu’il a cessé de vivre surtout quand il s’agit de celui d’un ennemi, auparavant, membre chéri d’une famille ou d’une tribu.
Mais on l’aura compris, le spectacle est aussi une réflexion sur le théâtre, celui de temps très anciens et d’une force virulente, et celui d’aujourd’hui…
Sur le plateau nu de la grande salle du Théâtre national, quelque cent cinquante spectateurs sur des gradins improvisés. Pas de pendrillons, une dizaine de projecteurs latéraux, un grand fauteuil en bois,  tapissé de velours rouge,  quelques  d’accessoires soigneusement rangés sur des tablettes et deux portants avec  des  éléments des costumes que  Marko  Mandić a porté dans ces différents rôles qu’il a joués entre 1996 et 2010.
Le comédien, mince et grand, est déjà sur scène et accueille le public avec chaleur et simplicité. Et cette Mandićmachine, dont les rouages sont bien huilés par Bojan Jablanovec, va alors se mettre en marche de façon irréversible. C’est tout à la fois comme un petit voyage  à travers le théâtre occidental mais aussi une performance dont la dominante est une profonde réflexion sur le corps, instrument privilégié de l’acteur, le corps en mouvement, et parfois presque, voire totalement nu, seul ou si proche d’une partenaire. Parfois même en position difficile, quand il doit se masturber devant quelques centaines de spectateurs… derrière un carton.  Marko  Mandić fait alors circuler, comme preuve,  quelques  cartons qui ont servi lors de représentations et qui portent nettement visibles- vraies ou fausses? On est au théâtre!- des traces de sperme…

L’acteur va souvent chercher dans la salle un ou deux spectateurs pour remplacer ses partenaires du passé. Et comme il fait attention au choix, la distanciation chère à Brecht fonctionne bien; le procédé n’a rien de très neuf mais marche à tous les coups: c’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes...
Sur un grand écran en fond de scène, et cela fait aussi partie du spectacle comme Bojan Jablanovec  l’a finement imaginé. Il  y a un surtitrage en anglais pour les gens qui, par hasard, ne parleraient pas slovène: c’est un peu fatiguant, puisque les  répliques se succèdent à un rythme très soutenu mais on finit par s’y faire. C’est aussi une  belle performance d’acteur et Marko  Mandić marche, court, envoie un jet de fumigène pour la scène suivante, change sans arrêt de costume et mouille sa chemise au propre comme au figuré. Et il n’hésite pas, seulement vêtu d’un slip blanc à pisser en scène, à quelques mètres du public.
La frontière entre l’acteur et l’homme? Pas de ressemblance entre les deux, dit-il… « Je suis juste un jeune homme moral et sensible, tout en reconnaissant que « ce n’est pas un job facile d’être transparent! ». Il en fait parfois beaucoup mais assume parfaitement sa relation à l’espace scénique et au temps, qu’il soit seul sur le grand plateau ou avec, le plus souvent, un seul  partenaire qui restera muet. Et il sait, en quelques secondes,  devenir émouvant quand dans Platonov par exemple, il dit simplement:  » Je vais enlever votre si jolie petite main ». Ou quand il s’allonge tout près d’une jeune spectatrice dans un court extrait de Peines de jeunesse de Bruckner. Et quand il ajoute à la fin: « Finnita la commedia », on le sent épuisé par cette épreuve mais heureux, comme son public qui ne lui apas ménagé les applaudissements.
 C’est bien que le Festival de Maribor nous ait donné la chance de cette rencontre avec un comédien exceptionnel, d’une sensibilité et d’une incomparable présence qui n’est venu chez nous qu’une seule fois, au Théâtre national de Bretagne. Le spectacle mériterait d’être invité en France…

Philippe du Vignal

Spectacle créé en 2011 au Stara mestna elektrama de  Ljubljana et repris au Mala Drama de Ljublana le 1er décembre prochain.

 

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