Zborovanje ptic (La Conférence des oiseaux)
Festival de Maribor
Zborovanje ptic (La Conférence des oiseaux) de Farid Al-Din Attar, adaptation de Peter Brook et Jean-Claude Carrière, mise en scène de Jernej Lorenci.
L’âme humaine comme un oiseau : l’ image fascine toujours. Le rêve éternel de l’envol de la terre et d’un voyage vers soi-même pour donner une raison à son existence. Mais c’est un rêve accompagné de la peur de l’inconnu et du changement.Thèmes universels que l’on retrouve dans Manteq Al-Tayr, le célèbre poème du persan Farid Al-Din Attar (12 ème siècle)qu’avait monté en 79 Peter Brook et qui avait connu un très grand succès.
Dans le doctrine soufiste, l’oiseau est le symbole de l’homme capable de quitter la terre ferme vers le ciel, puis d’en revenir. Un homme, imparfait, qui s’élève spirituellement mais qui doit ensuite revenir aux choses matérielles.
Trente oiseaux partent ainsi sous la conduite de la Huppe à la recherche de Simurgh, leur roi. Mais, un à un, ils vont abandonner leur voyage, incapables de le supporter plus longtemps. Chacun d’eux représente un comportement ou une faute, avec, à leur tête, la Huppe. Le Rossignol symbolise l’amant; le Perroquet, lui, est à la recherche de la fontaine de l’immortalité-et non pas de Dieu-et le Paon représente les « âmes perdues » qui ont fait alliance avec Satan.
Les oiseaux doivent tous ensemble, pour retrouver Simurgh, traverser sept vallées: Talab (la recherche), Ishq (l’amour), Ma’refat (la connaissance), Isteghnâ (le détachement), Tawhid (l’unité de Dieu), Hayrat (l’émerveillement), Faqr et Fana (l’humilité). Etapes nécessaires pour atteindre la vraie nature de Dieu. À la fin de leur quête, ils découvriront leur moi profond (Simurgh signifie aussi trente oiseaux). Pour Farid Al-Din Attar, comme dans le soufisme, Dieu n’est pas extérieur mais n’est pas non plus en dehors de l’univers, il incarne plutôt la totalité de la vie. « Vous avez longtemps cheminé, leur dira Simorgh, vous avez cru parfois vous perdre. Vous ne vous êtes pas quittés. C’est vous que vous avez trouvés. […] Entendez-Moi, je suis Simorgh, votre essentiel, votre infini. Anéantissez-vous en Moi, perdez-vous en Moi, simplement, sans crainte, délicieusement, en Moi découvrez-vous vivants ! En lui les oiseaux disparurent comme fait l’ombre en plein soleil ».
Sur la plus petite des trois scènes du Théâtre National de Maribor, une longue table et des chaises bien alignées comme pour une réunion importante dans une société commerciale. Petites bouteilles d’eau, dossiers, feuilles de papier, micros et cartels au nom des chaque participant. Au même niveau, et très proche des personnages, le public est tout de suite absorbé par l’action.Dans la seconde partie, les acteurs seront même à un mètre du premier rang des spectateurs.
Neuf oiseaux réunis doivent voter pour ou contre ce voyage à la recherche du roi Simurgh. Il y a aussi une chauve-souris et un ermite. Mais on retrouve ici des personnages typiques de la Slovénie contemporaine et le langage employé rappelle celui des politiques, quand ils parlent de l’avenir de leurs concitoyens…
Ici, les oiseaux ont du mal à se mettre d’accord à quitter leur foyer qui symbolise les limites de notre connaissance, pour s’envoler à la recherche du royaume de Simurgh. Ce voyage mystique, que le metteur en scène a replacé en Slovénie, nous rappelle les moments-clés de l’histoire récente. Convaincre tous les oiseaux de se libérer, de réaliser comme une union nationale et d’aller chercher « leur roi » part d’une bonne intention qui… met parfois en danger leur intégrité morale.
Le spectacle est habilement mis en scène par Jernej Lorenci, et bien maîtrisé par tous les comédiens, en particulier par Branko Jordan (la Huppe), qui orchestre les discussions comme un chef d’entreprise expérimenté mais… qui va douter de l‘idéal avec lequel il a convaincu les autres de le suivre.
Anecdotes, petits contes, et chansons parsèment le texte, sans en casser le rythme. On en arrive ainsi doucement à la deuxième partie: le voyage des oiseaux, où Jernej Lorenci a mis l’accent sur le spirituel et le symbolisme profond du poème. Les masques tombent alors et la véritable personnalité des oiseaux se révèle quand ils enlèvent leurs costumes. L’air devient lourd de non-dits entassés sur les mots et les gestes.Et pendant deux heures, le public est fasciné par cette histoire mystique teintée, parfois d’absurde, avec quelques métaphores faciles.Les scènes se succèdent vite mais avec, parfois, quelques moments un peu confus.
Alors, digne d’être savouré, ce Zborovanje ptic? Oui, pour la merveilleuse poésie du texte, le jeu remarquable des comédiens et la qualité de la mise en scène de Jernej Lorenci, même s’il y a des allusions qui échappent aux spectateurs qui n’ont pas le bonheur d’être slovènes… La poésie, si raffinée et si savoureuse du texte persan , passe quand même mais la seconde partie du spectacle de deux heures mériterait sans doute quelques coupes…
Larisa Daugul et Gergana Stoycheva
Spectacle présenté au 47e Festival de théâtre de Maribor (Slovénie) le 18 octobre.