Crazy Camel
Crazy Camel par la compagnie Dairakudakan, conception de Maro Akaji.
Pour fêter ses quinze ans d’existence et pour contrer l’image triste du pays après le séisme, la Maison de la Culture du Japon présente une programmation sur le thème du rire. Elle accueille Maro Akaji et sa troupe Dairakudakan, “navire des grands chameaux”, qui présente pour la première fois hors du Japon une création atypique. Cet artiste célèbre dans le théâtre underground de Tokyo, toujours attiré par les formes frontières, a étudié l’art du Butô auprès du maître Tatsumi Hijikata.
Acteur et metteur en scène du Crazy Camel (en référence au Crazy Horse), il associe Butô et Kimpun Show. Le butô est une danse née au Japon dans les années soixante, qui privilégie l’excès plutôt que l’harmonie, la différence physique plutôt que la beauté formelle, avec des danseurs au crâne rasé et au corps peint en blanc.Le butô a été popularisé en France par le Sankaï Juku, et est caractérisé, par sa lenteur, son minimalisme et son esthétisme.
Le Kimpun Show, lui, est un numéro de cabaret, plus mobile, né au même moment et en contre-point du Butô. Kimpun signifie “poudre d’or” du nom du produit huileux qui recouvre le corps des danseurs et dont la composition est tenue secrète. Beaucoup moins solennel mais très esthétique, le Kimpun Show était interprété dans les cabarets nippons par des jeunes danseurs de Butô.
Comme le dit Maro Akaji: “Cela a permis à notre compagnie d’avoir une autonomie financière, puisqu’elle ne reçoit pas de subventions d’Etat. Et sans le Kimpun Show, le Butô n’existerait plus aujourd’hui! Cette danse doit être avant tout divertissante. Je compte créer une pièce jouissive pour célébrer les quinze ans de la Maison de la Culture du Japon ”.
Le public parisien a découvert le mélange de ces deux styles de danse avec un certain étonnement. Les six hommes et les cinq femmes ne portent qu’ un cache sexe (tsun) et dansent en groupe; les mouvements sont parfois très rapides, mais quand ils deviennent lents, ils donnent un aspect sculptural aux corps. La scène de Butô comprend un danseuse en tenue de collégien, une danseuse en tenue d’écolière, d’une mobilité animale, presque simiesque et Maro Akaji habillé comme elle; à près de soixante-dix ans, il a une présence en scène impressionnante.
Les tableaux de Bûto et de Kimpun Show se succèdent, jusqu’au moment où le collégien succombe à un priapisme brutal devant la nudité des danseurs! Paradoxalement, cette nudité est peu chargée d’érotisme. Ils utilisent très bien l’espace de cette petite salle, aidée en cela par un très important travail sur les lumières, jusqu’au final où ils crachent le feu. Rituel utilisé par les danseurs du Kimpun Show, quand ils ont dû quitter les cabarets dans les années 80, (suite à leur fermeture imposée), et transformer en spectacle de rue.
La musique très présente, use-et abuse-ironiquement des Quatre Saisons de Vivaldi, et chaque tableau n’est pas toujours convaincant. Mais ce manège enchanté, à la fois parodique et dérisoire, désacralise le Butô et fait travailler l’imaginaire du public dont il marquera sans doute fortement la mémoire. Et de ce point de vue, c’est une véritable réussite…
Jean Couturier
Spectacle joué du 18 au 20 octobre à la Maison de la Culture du Japon