Le Retour
Le Retour d’Harold Pinter, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Luc Bondy.
Le Retour est de retour! La pièce avait été créée à Londres, en 65, par la Royal Shakespeare Company, dans la mise en scène de Peter Hall, et, en 66, à Paris, dans celle de Claude Régy avec Pierre Brasseur, Claude Rich et Emmanuelle Riva. Donc pas avec n’importe qui! Elle avait été remontée par Bernard Murat il y a quelque dix ans, et cette fois, c’est le nouveau patron de l’Odéon qui a cru bon de mettre en scène cette pièce qui n’est pas sans doute pas la meilleure de Pinter.
Presque cinquante ans plus tard, que reste-t-il de la provocation et de l’amoralité qui faisait frissonner le public? En fait, la pièce ne commence à prendre son envol que vers le milieu du second et dernier acte. On est dans une maison un peu délabrée dans un quartier pauvre de Londres. Max, 70 ans,(Bruno Gantz) est un boucher à la retraite dont la femme Jessie est morte il y a six ans. Max vit avec son frère Sam (Pacal Grégory) un chauffeur de maître qui ne semble pas très malin mais autoritaire et un peu plus jeune que lui, mais aussi avec ses fils: le second Lenny, (Micha Lescot), trente ans ,dont on va apprendre qu’il vit des passes que font pour lui des prostituées, et le troisième, Joey (Louis Garrel), la trentaine, qui travaille pour une entreprise de démolition, est boxeur amateur.
Son premier fils, Teddy (Jérôme Kircher), est, lui, prof de philo aux Etats-Unis, et débarque une nuit avec sa femme Ruth, 30 ans, (Emmanuelle Seigner) dans la maison avec une clé qu’il avait gardée et où il n’était jamais revenu. Il est venu présenter Ruth à sa famille mais l’atmosphère n’est pas au beau fixe; on parle beaucoup, et avec agressivité: Max se dispute avec Sam sous n’importe quel prétexte puis avec Joey. Lenny, qui semble jaloux de son frère Teddy, se retrouve seul avec Ruth assez provocante et va la draguer sans aucun scrupule. Mais elle semble résister un moment puis ira rejoindre son mari dans leur chambre. Max, auquel ses trois fils semblent très soumis, est de très mauvaise humeur et va insulter Teddy et Ruth qui descendent en peignoir.
Au deuxième acte, Max traite Jessy sa femme décédée de putain et insulte son frère qui va se réfugier dans sa caravane. Mais il est plutôt aimable avec Ruth et Teddy que Joey ne supporte décidément plus et qu’il attaque sur des questions de philo! Teddy , discret et exaspéré, propose alors à Ruth de quitter au plus vite cette maison et de faire leurs bagages. Mais Ruth ne répond pas et accepte de danser avec Lenny qui va l’embrasser devant Teddy… Joey, jaloux, va lui aussi essayer de séduire Ruth et va passer deux heures dans une chambre avec elle, sans que Teddy n’intervienne.
Max veut absolument que Ruth reste dans la maison et Lenny, en termes peu clairs, lui propose de lui offrir un appartement mais, comme tout se paye dans la vie, elle devra accepter de leur faire l’amour et de se prostituer. Mais Joey n’est pas d’accord et déclare qu’il ne veut pas la partager. Ruth va donc quitter ses trois enfants et son mari pour devenir une sorte d’esclave sexuelle volontaire; si elle ne refuse pas la proposition, elle veut quant même négocier les termes d’ un contrat solide.
Soudain, Sam dit que Mac Gregor a sauté Jessie à l’arrière de son taxi pendant qu’il les conduisait. Puis Sam a un malaise et tombe par terre mais ni ses neveux ni son frère ne vont l’aider. Teddy veut absolument partir, même seul. Max lui indique comment se rendre à l’aéroport. Joey se rapproche alors de Ruth assise sur le canapé. Max dit à Ruth qu’il Il va falloir se mettre à « travailler » et lui demande de l’embrasser. Lenny, regarde la scène sans rien dire…
La pièce, un peu longuette, même si elle est habilement menée par ce jeune auteur de 34 ans, apparaît comme un peu datée et son côté autrefois provocant l’est moins et l’on a du mal à retrouver dans cette mise en scène la maîtrise du Bondy d’autrefois qui semble être passé à côté de l’atmosphère étouffante des pièces de Pinter. Tout se passe comme si, trop occupé, il avait laissé faire le plus gros du boulot par ses assistants…Ce qui n’est sûrement pas le cas. « Il y a a des rivalités des désirs, des paroles qui se relancent, s’interrompent, changent de plan, écrit avec raison Daniel Loayza. Mais cela, on ne le sent guère, sauf à de trop rares moments.
La traduction de Philippe Djian ne vaut pas celle d’Eric Kahane; quant à la direction d’acteurs, le moins que l’on puisse dire est que chacun fait le boulot mais se débrouille comme il peut c’est à dire pas très bien, sans jouer vraiment , sauf à de rares moments, avec ses partenaires. Bruno Gantz a lui, comme d’habitude, une présence formidable mais joue un peu les vedettes ( salaire élevé oblige)!
Quant à Emmanuelle Seigner, elle semble être ailleurs et n’a rien de très crédible, ce qui est quand même assez ennuyeux, puisque le personnage de Ruth est le pivot de la pièce. Même si Micha Lescot et Jérôme Kircher, chacun dans son style personnel, sont eux, brillants, il n’y a guère de rythme dans ce flux de paroles et de conversations souvent anodines dont on ne perçoit pas le sous-texte; il n’y a pas non plus de véritable unité dans le jeu.
Et la scénographie de Johannes Schültz, qui a conçu un plateau compliqué avançant en éperon dans la salle, n’arrange pas du tout les choses, puisqu’elle ne signifie guère le huis-clos de ce Retour; du coup les comédiens un peu perdus dans cette maison presuqe vide, trop grande et trop propre, même s’il y a beaucoup de choses signifiantes sur la scène pour essayer de faire vrai… Max tranche un morceau de viande sur un gros billot comme pour bien montrer qu’il a été autrefois boucher! Il y a un vieil électrophone pour 33 tours en carton, des piles de vieux journaux, un aquarium avec de vrais poissons rouges. Et quand un lavabo se vide, on entend le bruit de l’eau usée!
Luc Bondy a voulu faire réaliste mais ce style de mise en scène serait plus adaptée à des pièces de dramaturges américains qu’au monde de Pinter. Et on a quelque mal à croire à cette histoire dont les ficelles sont parfois un peu grosses; on ne s’ennuie pas vraiment, non -et la seconde partie est meilleure que la première qui met un sacré temps à démarrer- mais le spectacle n’ a quand même rien de très passionnant.
Alors à voir? Pas sûr, même si la salle est bourrée, sans doute en partie pour Pinter mort il y a cinq ans et qui est devenu un auteur qu’il faut absolument citer dans les dîners mondains si l’on ne veut pas paraître demeuré. On a aussi l’impression que nombre de gens sont venus retrouver et voir des acteurs qui jouent aussi beaucoup dans des films. C’est une des ambiguïtés de ce spectacle qui n’en manque pas. Donc à vous de décider…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 23 décembre puis en tournée.