Zborovanje ptic (La Conférence des oiseaux)

Festival de Maribor

Zborovanje ptic (La Conférence des oiseaux) de Farid Al-Din Attar, adaptation de Peter Brook et Jean-Claude Carrière, mise en scène de Jernej Lorenci.

L’âme humaine comme un oiseau : l’ image fascine toujours. Le rêve éternel de l’envol de la terre et d’un voyage vers soi-même pour donner une raison à son existence. Mais c’est un rêve accompagné de la peur de l’inconnu et du changement.Thèmes universels que l’on retrouve dans Manteq Al-Tayr, le célèbre poème du persan Farid Al-Din Attar (12 ème siècle)qu’avait monté en 79 Peter Brook et qui avait connu un très grand succès.
Dans le doctrine soufiste, l’oiseau est le symbole de l’homme capable de quitter la terre ferme vers le ciel, puis d’en revenir. Un homme, imparfait, qui s’élève spirituellement mais qui doit ensuite revenir aux choses matérielles.
Trente oiseaux partent ainsi sous la conduite de la Huppe à la recherche de Simurgh, leur roi. Mais, un à un, ils vont abandonner leur voyage, incapables de le supporter plus longtemps. Chacun d’eux représente un comportement ou une faute, avec, à leur tête,  la Huppe. Le Rossignol symbolise l’amant; le Perroquet, lui, est à la recherche de la fontaine de l’immortalité-et non pas de Dieu-et le Paon représente les « âmes perdues » qui ont fait alliance avec Satan.
Les oiseaux doivent tous ensemble, pour retrouver Simurgh, traverser sept vallées: Talab (la recherche), Ishq (l’amour), Ma’refat (la connaissance), Isteghnâ (le détachement), Tawhid (l’unité de Dieu), Hayrat (l’émerveillement), Faqr et Fana (l’humilité). Etapes nécessaires pour atteindre la vraie nature de Dieu. À la fin de leur quête, ils découvriront leur moi profond (Simurgh signifie aussi trente oiseaux). Pour Farid Al-Din Attar, comme dans le soufisme, Dieu n’est pas extérieur mais n’est pas non plus en dehors de l’univers, il incarne plutôt la totalité de la vie. « Vous avez longtemps cheminé, leur dira Simorgh, vous avez cru parfois vous perdre. Vous ne vous êtes pas quittés. C’est vous que vous avez trouvés. […] Entendez-Moi, je suis Simorgh, votre essentiel, votre infini. Anéantissez-vous en Moi, perdez-vous en Moi, simplement, sans crainte, délicieusement, en Moi découvrez-vous vivants !  En lui les oiseaux disparurent comme fait l’ombre en plein soleil ».
Sur la plus petite des trois scènes du Théâtre National de Maribor, une longue table  et  des chaises bien alignées comme pour une réunion importante dans une société commerciale. Petites bouteilles d’eau, dossiers, feuilles de papier, micros et cartels au nom des chaque participant. Au même niveau, et très proche des personnages, le public est tout de suite absorbé par l’action.Dans la seconde partie, les  acteurs seront même  à un mètre du premier rang des spectateurs.
Neuf oiseaux réunis doivent voter pour ou contre ce voyage à la recherche du roi Simurgh. Il y a aussi une chauve-souris et un ermite. Mais on retrouve ici des personnages typiques de la Slovénie contemporaine et le langage employé rappelle celui des  politiques, quand ils parlent de l’avenir de leurs concitoyens…
Ici, les oiseaux ont du mal à se mettre d’accord à quitter leur foyer qui symbolise les limites de notre connaissance, pour s’envoler à la recherche du royaume de Simurgh. Ce voyage mystique, que le metteur en scène a replacé en   Slovénie, nous rappelle les moments-clés de l’histoire récente. Convaincre tous les oiseaux de se libérer, de réaliser comme une union nationale et d’aller chercher « leur roi » part d’une bonne intention qui… met parfois en danger leur intégrité morale.
Le spectacle est habilement mis en scène par Jernej Lorenci, et bien maîtrisé par tous les comédiens, en particulier  par Branko Jordan (la Huppe), qui orchestre les discussions comme un chef d’entreprise expérimenté mais… qui va douter de l‘idéal avec lequel il a convaincu les autres de le suivre.
Anecdotes, petits contes, et chansons parsèment le texte, sans en casser le rythme. On en arrive ainsi doucement à la deuxième partie: le voyage des oiseaux, où Jernej Lorenci a mis l’accent sur le spirituel et le symbolisme profond du poème. Les masques tombent alors et la véritable personnalité des oiseaux se révèle quand ils enlèvent leurs costumes. L’air devient lourd de non-dits entassés sur les mots et les gestes.Et pendant deux heures, le public est fasciné par cette histoire mystique teintée, parfois d’absurde, avec quelques métaphores faciles.Les scènes se succèdent vite mais avec, parfois, quelques moments un peu confus.
Alors, digne d’être savouré, ce Zborovanje ptic? Oui, pour la merveilleuse poésie du texte, le jeu remarquable des comédiens et la qualité de la mise en scène de Jernej Lorenci, même s’il y a des allusions qui échappent aux spectateurs qui n’ont pas le bonheur d’être slovènes… La poésie, si raffinée et si savoureuse du texte persan , passe quand même mais la seconde partie  du spectacle de deux heures mériterait sans doute quelques coupes…

Larisa Daugul et Gergana Stoycheva

Spectacle présenté au 47e Festival de théâtre de Maribor (Slovénie) le 18 octobre.


Archive pour octobre, 2012

Entretien avec Frank Vercruyssen

Entretien avec Frank Vercruyssen.

Le tg STAN : un noyau dur de quatre acteurs flamands, Frank Vercruyssen, Sara de Roo, Jolente de Keersmaeker, Damiaan De Schrijver,  entouré de quelques « disciples « ralliés à leur projet artistique: destruction de l’illusion, jeu dépouillé,  divergence éventuelle entre le jeu et le personnage qu’on interprète, même si on reste soi, en tant que personnalité vivant dans le temps présent… Le tg STAN joue  actuellement Les Estivants de Gorki en France.

Vous venez régulièrement jouer chez nous… Entretien avec Frank Vercruyssen les_estivants-300x224

Frank Vercruyssen : Oui, on est bien gâté en France. La première fois , c’était pour quelques représentations de L’Ennemi du Peuple d’Ibsen au Centre Pompidou.
L’aventure française a commencé véritablement au Festival d’Automne en 2000. Et depuis, nous venons presque tous les ans, avec  des créations françaises,  des versions françaises à partir de créations néerlandaises, ou bien anglaises. Nous jouons surtout en Belgique, en Norvège et dans les pays scandinaves, au Portugal et en France. Et nous nous attaquons aux œuvres des grands créateurs, Tchekhov, Strindberg, Ibsen, Schnitzler, Bernhard, Racine.

Comment en êtes-vous venu aux Estivants?

F. V. : Nous privilégions l’échange avec le public que nous interpellons directement, dans un partage chaleureux, généreux et jouissif : nous concevons le théâtre comme une fête. Nous avions déjà monté Les Bas-Fonds en néerlandais en 1994, et en anglais en 1997. Nous avons hésité la saison dernière, à créer en  néerlandais, La Mouette de Tchekhov ou Les Bas-Fonds mais cette dernière pièce correspondait exactement à nos possibilités de distribution  et aux constructions multiples de la dramaturgie.

Votre démarche consiste à proposer un théâtre en prise directe avec notre époque.

F. V. : Le  lien entre  le thème de cette pièce et  nos préoccupations  actuelles est  évident pour nous : à l’étau tsariste du tout début du XX ème siècle, correspond l’étau économique de notre réalité sociale déstabilisée. Les Estivants,  c’est une pièce qui offre un très large éventail. D’abord, les relations purement humaines entre les hommes et les femmes, entre les hommes et les hommes, les femmes et les femmes, les mères et les filles …
Sur le plan politique, cette bourgeoisie russe intellectuelle se montre lasse et paresseuse , alors qu’un vent de crise commence à souffler autour d’elle. Que peut-on faire? Parler sans jamais agir  et se déresponsabiliser ? Loin d’exclure les accusés, nous nous incluons parmi eux. Nous sommes tous des bourgeois aujourd’hui, nous qui fréquentons les théâtres, et il ne suffit plus que nous déplorions  avec des mots un certain état du monde.


Quel est le fil rouge de votre philosophie ?

F. V. : C’est la personne même du comédien : ses rêves, ses envies, ses désirs, son comportement et son émancipation sur le plateau. L’envie de créer, de tout faire, d’être responsable de sa propre liberté, à défaut de contrôler son destin. Tout notre travail repose sur la confiance des êtres entre eux ; c’est à cette condition que nous pouvons construire et réaliser  un projet.
On peut rester six heures sur un travail de traduction à la table; le passage du russe au néerlandais, à l’anglais et au français, peut exiger un temps considérable de réflexion. Chacun travaille avec l’autre à l’intérieur du groupe. La méthode repose sur les qualités et les défauts des individus, et ensuite on désire profiter au maximum du médium qu’est le public.
Le théâtre est un art vivant profondément humain, et nous rejetons tout écran fermé. Nous ne croyons pas à l’illusion : je suis un comédien qui joue un personnage : je joue à être le roi mais je sais bien que je ne suis pas le roi. Nous n’acceptons pas non plus que le public ne nous connaisse pas : nous sommes là tous ensemble.
C’est une exigence de notre part qui est humble, et pas arrogante. C’est une audace, un défi que de solliciter directement l’attention du public. Plus on fait la preuve de nos sentiments, de nos goûts, plus on se sent vivre et capable d’évaluer sa société. Nous répétons en général de six à huit semaines, pas plus. Après, il faut jouer !

Votre prochaine création ?

F. V. : Nous créons en mars prochain au Théâtre Garonne  à Toulouse trois pièces en français, deux d’ Ingmar Bergman, Après la répétition et Scènes de la vie conjugale,  et une d’Arthur Schnitzler, Mademoiselle Else.
Il y aura aussi une autre nouvelle  création en Belgique. Nous aimons le jeu des langues auquel nous sommes confrontés, c’est une réalité historique  qui va s’amplifier.  avec le temps. De plus, dans une société de plus en plus dure, il nous parait indispensable de préserver la création littéraire, poétique, lyrique… pour lutter contre une tendance où l’on  compte et recompte encore sur le plan  économique.
Il convient d’être, même si c’est difficile. Nous sommes vivants, fragiles et vulnérables, mais nous assumons cet état existentiel. Interprètes, nous prétendons être le médium entre le public et l’œuvre. Nous aimons  Racine, Molière comme Éluard avec passion. De plus, le contact avec l’enseignement et la transmission est essentiel. J’assure en ce moment un stage à l’École du TNS; le contact avec les  jeunes comédiens ne cesse de nous inviter, nous,  plus aguerris, à acquérir plus de spontanéité et plus  de vérité…

Propos recueillis par Véronique Hotte

  Théâtre National de Strasbourg  jusqu’au 26 octobre , et au Théâtre de La Bastille à Paris du 30 octobre au 17 novembre 2012 à 21h . Tél : 01 43 57 42 14.

Mandićmachine

Mandićmachine,  concept et sélection des extraits de pièces par Bojan Jablanovec et  Marko  Mandić, mise en scène de Bojan Jablanovec.

C’est un solo remarquablement orchestré par le metteur en scène et directeur de Via negativa,( un groupe de recherche théâtral bien connu en Slovénie), solo  dont  Marko  Mandić, acteur de la troupe permanente du  Théâtre national est l’unique protagoniste.
Dans des extraits parfois très courts-trente secondes-de quelque trente huit pièces où il a eu un rôle important. L’acteur  nous emmène dans un tourbillon de personnages tragiques pour la plupart conçus par de nombreux   auteurs : cela va des tragiques grecs: Sophocle, avec le Messager de l’Antigone de Sophocle qui vient annoncer au roi Créon,la pendaison d’Antigone vite suivie par le suicide de son fiancé Hémon, le fils du roi. Euripide avec Oreste dans Iphigénie , et des relectures comme celles qu’a peu en faire Heiner Muller avec Matériel Médéa d’après Euripide. Mais il y a aussi Macbeth de Shakespeare, Hypollite de Phèdre de Racine,  le Treplev de La Mouette et le Platonov de Tchekov, Anna Karénine de Tolstoï, Les frères Karamazov avec la célèbre scène du Procureur,  Les Revenants d’Ibsen. Et un petit texte appartenant à un mystère tibétain…

Sans oublier des auteurs  contemporains  comme l’Allemand Martin Sperr, l’Anglais  Barker,  les Français comme Koltès avec un court extrait de Roberto Zucco ou  Lagarce, ou encore slovènes comme Boris A. Novak, ou la Serbe Billjana Srdljamovic que Christian Benedetti a fait connaître en France. Comme on le voit, le choix est éclectique et la palette est des plus larges. Il y a sans doute un dizaine de scènes, trop courtes qui auraient pu être éliminées sans difficulté aucune! Mais bon!
Du côté comique, en revanche pas grand chose: ce n’est pas le registre de Marko  Mandić  qui, pourtant ici, ne manque pas d’humour. A trente huit ans, il en parait presque dix de moins; simple et chaleureux,  il a une remarquable énergie et il sait, sans être racoleur, communiquer sa passion théâtrale pour donner vie à ces personnages de fiction. Dénominateur commun: le corps, le corps triomphant bafoué, meurtri, le corps objet de fascination,  le corps désir sexuel,  mais chose répugnante dès qu’il a cessé de vivre surtout quand il s’agit de celui d’un ennemi, auparavant, membre chéri d’une famille ou d’une tribu.
Mais on l’aura compris, le spectacle est aussi une réflexion sur le théâtre, celui de temps très anciens et d’une force virulente, et celui d’aujourd’hui…
Sur le plateau nu de la grande salle du Théâtre national, quelque cent cinquante spectateurs sur des gradins improvisés. Pas de pendrillons, une dizaine de projecteurs latéraux, un grand fauteuil en bois,  tapissé de velours rouge,  quelques  d’accessoires soigneusement rangés sur des tablettes et deux portants avec  des  éléments des costumes que  Marko  Mandić a porté dans ces différents rôles qu’il a joués entre 1996 et 2010.
Le comédien, mince et grand, est déjà sur scène et accueille le public avec chaleur et simplicité. Et cette Mandićmachine, dont les rouages sont bien huilés par Bojan Jablanovec, va alors se mettre en marche de façon irréversible. C’est tout à la fois comme un petit voyage  à travers le théâtre occidental mais aussi une performance dont la dominante est une profonde réflexion sur le corps, instrument privilégié de l’acteur, le corps en mouvement, et parfois presque, voire totalement nu, seul ou si proche d’une partenaire. Parfois même en position difficile, quand il doit se masturber devant quelques centaines de spectateurs… derrière un carton.  Marko  Mandić fait alors circuler, comme preuve,  quelques  cartons qui ont servi lors de représentations et qui portent nettement visibles- vraies ou fausses? On est au théâtre!- des traces de sperme…

L’acteur va souvent chercher dans la salle un ou deux spectateurs pour remplacer ses partenaires du passé. Et comme il fait attention au choix, la distanciation chère à Brecht fonctionne bien; le procédé n’a rien de très neuf mais marche à tous les coups: c’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes...
Sur un grand écran en fond de scène, et cela fait aussi partie du spectacle comme Bojan Jablanovec  l’a finement imaginé. Il  y a un surtitrage en anglais pour les gens qui, par hasard, ne parleraient pas slovène: c’est un peu fatiguant, puisque les  répliques se succèdent à un rythme très soutenu mais on finit par s’y faire. C’est aussi une  belle performance d’acteur et Marko  Mandić marche, court, envoie un jet de fumigène pour la scène suivante, change sans arrêt de costume et mouille sa chemise au propre comme au figuré. Et il n’hésite pas, seulement vêtu d’un slip blanc à pisser en scène, à quelques mètres du public.
La frontière entre l’acteur et l’homme? Pas de ressemblance entre les deux, dit-il… « Je suis juste un jeune homme moral et sensible, tout en reconnaissant que « ce n’est pas un job facile d’être transparent! ». Il en fait parfois beaucoup mais assume parfaitement sa relation à l’espace scénique et au temps, qu’il soit seul sur le grand plateau ou avec, le plus souvent, un seul  partenaire qui restera muet. Et il sait, en quelques secondes,  devenir émouvant quand dans Platonov par exemple, il dit simplement:  » Je vais enlever votre si jolie petite main ». Ou quand il s’allonge tout près d’une jeune spectatrice dans un court extrait de Peines de jeunesse de Bruckner. Et quand il ajoute à la fin: « Finnita la commedia », on le sent épuisé par cette épreuve mais heureux, comme son public qui ne lui apas ménagé les applaudissements.
 C’est bien que le Festival de Maribor nous ait donné la chance de cette rencontre avec un comédien exceptionnel, d’une sensibilité et d’une incomparable présence qui n’est venu chez nous qu’une seule fois, au Théâtre national de Bretagne. Le spectacle mériterait d’être invité en France…

Philippe du Vignal

Spectacle créé en 2011 au Stara mestna elektrama de  Ljubljana et repris au Mala Drama de Ljublana le 1er décembre prochain.

Les Femmes savantes

Les Femmes savantes   de Molière,  mise en scène de Denis Marleau

Les Femmes savantes femmes-savantesLa salle du Théâtre du nouveau monde à Montréal  ne peut rivaliser avec   les images de la belle  terrasse du  château de Grignan près d’Avignon,   où  Mme de Sévigné  a passé les dernières années de sa vie.
  Ici , dans la salle  de la rue Sainte-Catherine,  nous ressentons quand même le  souffle  de cette mise en scène savoureuse. La scénographie évoque la cour du château avec une  balustrade  donnant  sur les jardins. L’arrivée de la famille est projetée sur le mur du fond pour nous donner une idée de Grignan et la suite  de la pièce se déroule   près d’un  bassin  où les intrigues tournent  surtout autour du  mariage arrangé d’Henriette qui est amoureuse de  Clitandre  avec  le ridicule Trissotin,  poète hystérique, maquillé et vêtu  comme une sorte de Jean  Cocteau ébouriffé.
L’intrigue  met en valeur  les querelles littéraires de l’époque,  l’enflement stylistique de la langue des  Précieuses  que Molière aimait bien démolir. Le tout,  baigné dans la lumière presque aveuglante du Midi de la France,  évoque  un climat  de fête, et  Denis Marleau  met bien en valeur  la  psychologie des personnages, et l’ écriture d’une finesse extraordinaire de Molière, et nous avons été émerveillés  par la  façon que possède le metteur en scène d’aborder l’oralité de ce texte du 17 ème siècle.
Quant aux  costumes des années 1950, ils  donnent   aux personnages une plus grande liberté de mouvement. Et  les acteurs ont une  gestuelle chargée d’émotion et surtout  une diction énergique de dialogues qui est très contemporaine. Mais le texte de Molière reste intact, même si on a parfois  l’impression qu’il a été réécrit , et l’on est  vite  séduit par le rythme des alexandrins au point de ne plus les remarquer.
Cette virtuosité verbale nous rappelle le grand art des acteurs britanniques qui arrivent à « dire » Shakespeare,  comme s’ils parlaient  naturellement sa langue. C’est la première fois que nous avons  cette impression avec une pièce  classique française au Canada.  Bref, une  soirée de pur plaisir.
La direction d’acteurs de Marleau est très  soignée, et il a su donner au  jeu comique un côté presque farce. La mère, Philaminte, est  la caricature d’une  dévote du XXIe siècle. Le père, Chrysale,  devient ici un  mari écrasé par sa femme, à la limite de la bouffonnerie et du pathos tragi-comique. Le personnage de Vadius comme celui de Trissotin avec  ses élucubrations  ridicules , les réponses de Belise, Philaminte et Armande qui se pâment devant de fausses merveilles stylistiques :  tout nous rappelle les premières mise en scènes de cette troupe de Montréal qui a gardé son nom d’origine (Ubu ).
Le  texte de Molière, pétillant et  très critique, est d’une telle modernité  qu’il fait penser à Jarry! Une belle aventure théâtrale et une magnifique redécouverte de la pièce…

Alvina Ruprecht

Création  aux Fêtes nocturnes  de Grignan (France) en juillet , et  au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal  jusqu’au 27 octobre.  Tél. 514-866-8668.

When the Mountain changed its clothing

When the Mountain changed its clothing  image1

 


When the Mountain changed is clothing explores, textes de Jean-Jacques Rousseau, Adalbert Stifter, Joseph von Eichendorff, Gertrud Stein, Alain Robbe-Grillet, Marien Hauschofer, Marina Abramović, Ian Mc Ewan; mise en scène, concept, musique d’Heiner Goebbels, et Johannes Brahms, Arnold Schönberg, Karmina šilec, Lojze Lebič, Sarah Hopkins, par le Carmina Slovenica dirigé par Karmina Silec.

C’est la première en Slovènie de cet étrange ensemble théâtro-musical signé Heiner Goebbels qui ouvre le festival de Maribor, après la première en Allemagne au Jarhunderthalle de Bochum. Sur la scène nue du Théâtre national, il y a un agglomérat d’une quarantaine de chaises de bureau et dans le fond, des tables renversées en stratifié blanc avec pieds chromés. Deux très jeunes filles éparpillent quelques chaises sur toute la surface du plateau.
Puis suivront quelque quarante autres jeunes filles, de dix à vingt ans, appartenant au Carmina Slovenica qui vont, en dansant et en chantant, passer de l’innocence et des amours enfantines à l’âge adulte. D’abord habillées de pantalons de gymnastique et teee-shirt, et chaussées de basketts, on les retrouvera un peu plus loin,  métamorphosées,déjà séductrices lolitas en jupe et parfois  en perruque blonde.
Cette découverte de la vie et de l’avenir qui les attend va se faire en même temps que celle du cycle des saisons figurées par de très belles toiles peintes dues à Klaus Grünberg La première reproduit un tableau de Ferenc Champ de fleurs sauvages planté de pommiers, une maison et une petite église, avec au-dessus un ciel pommelé de nuages, la seconde reprend Jungle avec lion, le célèbre tableau du Douanier Rousseau  et la troisième, est une peinture d’arbres couverts de givre par Ivan Genralić.
-A quoi rêvent les jeunes filles? se demandait Alain Robbe-Grillet reprenant à son compte le fameux titre de la comédie de Musset, mais en en y répondant : Au couteau et au sang. petite phrase cynique qui terminait  La Répétition d’Heiner Goebbels, et qui est un peu le point de départ du nouveau spectacle du compositeur et artiste  allemand.
Le spectacle fait aussi  penser à cet Atlas de Meredith Monk, bel opéra qu’elle avait créé à Houston en 91 où nous l’avions vu. Même fausse naïveté, même exigence musicale,  même rigueur dans le gestualité, même thématique du renoncement aux joies de l’adolescence; à cette différence près que cette fois ce n’est plus une jeune fille  mais quelque  quarante jeunes  filles qui prennent possession du plateau avec des danses, des poèmes, et surtout des chants où elles confrontent leurs point de de vue sur le passage à l’âge adulte dont elle prennent bien conscience.
Il y a, entre autres, une très belle scène à la fin, où elles apportent sur un petit pré leurs peluches comme des victimes expiatoires;  deux d’entre elles, de façon presque sadique  ouvrent le ventre de leur ours,  vieux compagnon de leur enfance et en enlèvent lentement la bourre… C’est sans doute ces petites scènes avec quelques unes de ces jeunes filles qui sont parmi les plus émouvantes, grâce aussi et surtout aux chants admirablement interprétés par le groupe dirigé au cordeau par Karmina Silec.

Les chœurs sont tout aussi remarquables de virtuosité, parfois un peu secs dans une rigueur presque militaire qui ne rappelle pas de très bons souvenirs, mais il y a une telle fluidité dans la gestuelle que l’on en est sinon ému, du moins touché,  comme on l’est par ces voix d’une grande pureté et par les images poétiques que Goebbels sait faire surgir.
L’unité de ce collage qui va, entre autres,  d’extraits de L’Emile ou de  l’éducation de Rousseau au bulletin météo, en passant par Djinn, Un Trou rouge entre  les pavés disjoints et Projet pour une révolution à New-York d’Alain Robbe-Grillet, ou Everybod’s Autobiography et Exact Change de Gertrude Stein, n’est  pas toujours évidente mais qu’importe! L’essentiel  est ailleurs, et sans doute plutôt dans  l’état de grâce qui naît, une fois passées les dix premières minutes un peu laborieuses, de cet ensemble vocal a capella d’une qualité exceptionnelle.
Karmina Silec sait faire passer sans difficultés ses jeunes  chanteuses , des chants populaires slovènes à Brahms ou à Schönberg, ce qui représente un  travail important de mise en place, en harmonie avec les déplacements sur  le plateau.

Goebbel lui,  semble moins à l’aise, dans la mise en scène, des derniers moments du spectacle  pour conclure ce poème lyrique qui semble-comment dire les choses?- se terminer plus que finir vraiment... Alors à voir? Si la qualité musicale reste la même qu’au Théâtre de la Ville qu’au Théâtre national de Maribor doté d’une excellente acoustique, ce spectacle de 90 minutes mérite largement d’être vu, à la fois pour ses qualités chorales et  gestuelles, et pour la  direction de Goebbels et de  Karmina Silec..

Philippe du Vignal

Unique représentation  en anglais doublée en slovène donnée pour l’ouverture du  Festival de Maribor le 16 octobre.
Représentations au Théâtre de la Ville à Paris du 25 au 27 octobre  en anglais surtitré en français.

Jeunez ze jolie

Jeunez ze jolie (169-173) présenté par le Collectif 12.

Depuis plusieurs années, le Collectif 12, dirigé par Frédéric Fachena et Laurent Vergnaud, présente, en ouverture de saison, une rencontre entre compagnies jeunes et moins jeunes, dont ils vont pouvoir  accompagner les démarches les plus intéressantes en leur offrant une résidence dans leur lieu chaleureux.
Tous les premiers mardis du mois, une réunion se tient avec les différents partenaires, les artistes en résidence et la vaillante petite équipe permanente pour mettre au point la programmation de ce lieu qui permet à des compagnies d’émerger, puis de diffuser leur spectacles dans d’autres théâtres. Y ont été notamment accueillis:  Christian Bourigault,  chorégraphe, Ludovic Pouzerate, auteur et  metteur en scène du groupe Krivitch et Mirabelle Rousseau du TOC.

Je voudrais être légère d’Elfriede Jelinek, avec Mirabelle Rousseau.

Sous une bâche bleue qui nous protège de la pluie menaçante, nous sommes assis sur le trottoir, face à la vitrine du Collectif 12. Mirabelle Rousseau, assise à une table, y chantonne, roule une cigarette. On entend sa voix  grâce à un haut-parleur qui résonne aux oreilles des rares passants étonnés, dans cette longue artère reliant le centre  de Mantes à sa périphérie : “Je ne veux pas jouer, je ne veux pas voir le reflet d’une fausse image des acteurs, je ne veux pas de théâtre !”
Curieusement, c’est bien de vrai théâtre qu’il s’agit dans cette vitrine. Mirabelle Rousseau promène agilement sa haute silhouette impérieuse, et elle fait bien passer l’humour plutôt noir d’Elfriede Jelinek: “Les acteurs doivent montrer leur travail (…) on pourrait présenter les vêtements tous seuls sur scène (…les acteurs ont tendance à être faux, alors que les spectateurs sont vrais (…) le sens du théâtre c’est d’être sans contenu et soudain l’insignifiant se met à signifier (…) Comment faire disparaître du théâtre ces taches sales que sont les acteurs (…) Les acteurs, qu’ils débarrassent les planches, et  tout sera bien !”.
Après Turandot et le Congrès des blanchisseurs de Brecht et Le Précepteur, le TOC, fondé  en 2002,  fait preuve d’une belle originalité. On pourra voir un deuxième spectacle de cette compagnie  dans cette même  vitrine, plus tard dans la soirée.

En vie par le GK, mise en scène de Gabrielle Cserhati.

C’est du théâtre caché ! Une navette nous emmène près du cimetière d’Ivre, on nous fixe un rendez-vous devant le stand de pâtes du Franprix voisin, nous y retrouvons un jeune homme qui nous guide dans un dédale de rues jusqu’à une maison nous nous devons trouver un centre de stérilisation de l’eau.
Certains d’entre nous doivent enfiler les blouses bleues pour assister à une stérilisation ionique, une seule consigne : fermer les yeux pendant l’opération. On nous guide vers une autre pièce où toutes sortes de bouteilles d’eau sont disposées, et nous pouvons goûter à des parfums différents.
Un jeune homme propose un slam, ça tourne court, il y a un professeur de gromelo de Bamako qui ne parvient pas à s’exprimer, un couple se dispute sur la conception d’un enfant. On entend:  “Il faut me vidanger de ma déshumanité, 70 ans, vivant mais déjà mort !”
Ces improvisations hasardeuses  avec  des comédiens pas très sûrs d’eux semblent restées à l’état d’ébauche et n’ont pas touché leur but, tout au moins ce jour-là.

www.mezzaninesspectacle.eu

La Composition comme explication de Gertrud Stein par Estelle Lesage.

  Nous revoilà devant la vitrine lumineuse du Collectif 12  où Estelle Lesage a repris place. Il ne pleut plus et quelques passants s’arrêtent ; cette fois, c’est un  texte de Gertrud Stein qu’elle profère et qu’elle répète : “la différence (…) rien ne change de génération en génération, personne n’est en avance sur son temps (…) quand arrive l’approbation, la chose devient classique, commencer, commencer et recommencer encore, tout est semblable sauf la composition(…). J’ai commencé à faire des portraits de n’importe quoi et de n’importe qui, tout était si semblable que ça devait être différent”.
Estelle Lesage est assise, se lève, enfile des chaussettes, les enlève, il y a un coup de feu, c’est la guerre. C’était le sens du temps dans cette Composition…
Ces spectacles singuliers en vitrine, interprétés par deux excellentes comédiennes avaient été donnés au Festival d’Avignon. Le TOC, après dix années de travail,  fait preuve d’une grande originalité et d’une vraie pertinence qui a pu s’imposer grâce à une résidence au Collectif 12.

www.letoc.blogspot.fr

My Name is… de Dieudonné Niangouna, mise en scène, scénographie et jeu d’Harvey Massoumba.

Harvey Massoumba, artiste congolais,  a commencé le théâtre comme comédien aux côtés de Sony Labou Tansi en 1992. Et  il a côtoyé Dieudonné Niangouna et joué dans plusieurs de ses pièces, ainsi que dans celles de Bernard-Marie Koltès, Tchicaya Utam’si, Koulsi Lamko….En 2003, il crée sa propre compagnie N’sala qui marque son retour au Congo après treize ans passés au Cameroun.
Il émerge d’un trou mystérieux Sur la scène, une grande toile où sont projetés un flot d’images lumineuses avec un trou mystérieux d’où il émerge pour  bramer avec force le texte de Niangouna : « Les flics sont payés pour faire régner le désordre (…) je souffre, c’est vilain d’écrire ce que le monde sait déjà (…) le plaisir est à ceux qui l’inventent ».
On a du mal à retrouver son chemin dans ce flot intense de paroles et d’images.  On ne décroche pas pour autant  mais il n’y pas de  vraie montée dramatique. . Le spectacle, créé en 2011 au Festival Mantsina a été présenté aux Francophonies en Limousin et à l’Institut Français de Brazzaville.
ciensalaenvol@yahoo.fr

Edith Rappoport

Au Collectif 12.Mantes-la-Jolie, jusqu’au 17 octobre .

Shakespeare et le désordre du monde

Shakespeare et le désordre du monde  par   Richard Marienstras, avant-propos d’Élise Marienstras, textes édités et présentés par Dominique Goy-Blanquet..

 

Shakespeare et le désordre du monde dans analyse de livre 9782070138890-191x300Spécialiste de la littérature élisabéthaine, Richard Marienstras a publié sur Shakespeare des essais fameux, Le Proche et le Lointain (1981) et Shakespeare au XXI ème siècle (2000). Paraît aujourd’hui Shakespeare et le désordre du monde,un recueil posthume de l’auteur disparu en 2011, ouvrage poursuivi par  son épouse  et Dominique Goy-Blanquet.
Selon elle, les tragédies du grand Will parlent « du désordre du monde dont le mal qui est tapi en l’homme est responsable, de la Fortune et de l’Histoire qui font de l’homme leur jouet. » Toutefois, nulle complaisance dans la noirceur ou le cynisme total n’incline à la désespérance ni au désenchantement absolu, pense Richard Marienstras.
L’œuvre de Shakespeare ne cesse de fasciner son public – hier, aujourd’hui et demain – à travers des thèmes universels qui sont le lot de chacun : l’amour, le désir, la tromperie, la jalousie, la volonté de puissance, la peur de la mort, la fraternité virile, le courage, le crime et son châtiment.
Selon Marienstras, des motifs plus troublants encore, avec le temps, viennent s’ajouter à la séduction des thèmes initiaux, à travers des analyses plus directement contemporaines : la fonction du rêve, le cheminement du désir, l’obsession du pouvoir, la mise en cause du sacré par l’histoire et de l’histoire par la tragédie, de la tragédie par l’absurde et le grotesque. « Et encore : la situation de l’individu dans un monde où tout se dérobe, où les certitudes du passé sont battues en brèche par la modernité… »
Cette vision du monde est déjà largement politique à l’heure où le sacré, l’individuel, le naturel et le social sont appréhendés ensemble, sans le moindre ordonnancement. Comme le dit Peter Brook, l’œuvre shakespearienne ne propose pas une vision du monde, mais « est » simplement le monde. De là, la multiplication des discours contradictoires – marxistes, freudiens, démocrates, extrémistes, mystiques et matérialistes – concernant ces intrigues historiques engagées dans leur temps et que tous veulent s’approprier.
Shakespeare est à la fois éternel et…contemporain à l’extrême, dépasse le clivage des générations et  sait mettre en scène  l’homme aux prises avec les événements qui font l’Histoire, les passions, les violences et les malheurs. C’est une mise à l’épreuve existentielle, à travers laquelle l’homme rompt ou se plie pour renaître ailleurs, autre ou lui-même encore.
Aujourd’hui, les temps sont  difficiles – toujours et à jamais -, si l’on observe les crises et les guerres qui surgissent dans nombre de  pays. L’écart entre l’espoir et la déception est douloureux. Marienstras souligne qu’il ne faut surtout pas baisser la tête devant la difficulté d’un présent semé d’embûches.
Shakespeare  enseigne à nous émouvoir profondément de la souffrance comme à nous émerveiller de la grandeur : il nous rappelle ce que l’on peut exiger de l’homme et du monde, et ce que l‘on peut exiger de soi : sentiment des valeurs, pitié, passion et clairvoyance. Revisitons sans nous lasser Richard II, Timon d’Athènes, Le Roi Lear, La Tempête…
Tentons de suivre la roue de l’Histoire sur laquelle nous roulons. Elle ne mène pas forcément au malheur mais à la recomposition, pour le meilleur, de soi et du monde

Véronique Hotte

Éditions Gallimard

 

 

Rencontre entre Edward Albee, Israël Horovitz, Marie-France Ionesco et Emmanuel Demarcy-Mota

Rencontre entre Edward Albee, Israël Horovitz, Marie-France Ionesco et Emmanuel Demarcy-Mota dans actualites photo-21

Rencontre entre Edward Albee, Israël Horovitz, Marie-France Ionesco et Emmanuel Demarcy-Mota.

C’est à l’initiative de la maison française de la New York University dirigée par Francine Goldenhar que s‘est tenue cette rencontre. Le public était venu nombreux  à la NYU, et Tom Bishop,  le modérateur et responsable du Centre de culture et de civilisation française dans cette même université,  a eu du mal à limiter les questions en fin de rencontre. ..Au programme: le  théâtre de l’absurde  à l’occasion du passage à la Brooklyn Academy of Music du  Rhinocéros d’Eugène Ionesco dans la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.
Tous étaient d’accord pour dire que la notion de « théâtre de l’absurde » était scolaire et réductrice; beaucoup de gens étaient aussi venus voir Edward Albee (84 ans), un des derniers  dramaturges mythiques encore vivants, l’auteur de
Qui  a peur de Virginia Woolf, représentée pour la première fois à Broadway, au Billy Rose Theater en 62 et récompensée  en 63 par un Tony Award et par le New York Drama Critics’ Circle Award comme meilleure pièce de théâtre. Elle avait été  adaptée ensuite  au cinéma la même année par Mike Nicols, avec Elizabeth Taylor et Richard Burton.
Volontiers moqueur, Albee a ironisé sur le concept de théâtre de l’absurde, l’important étant pour lui la découverte dans sa jeunesse d’auteurs comme Pirandello, Beckett ou Ionesco, qui lui ont fait vivre une période intellectuellement florissante, en particulier en France. Puis il a évoqué sa rencontre avec  Eugène Ionesco,  dont la peinture , selon lui, n’était pas à la hauteur de ses écrits.
Israël Horovitz (73 ans) auteur entre autres de
Le Premier,L’Indien cherche le Bronx et Le Baiser de la Veuve, est sans doute  l’un des dramaturges américains les plus joués dans le monde. Il a dit se  sentir très proche de la France et Grasset a publié en 2011 Un New-yorkais à Paris. Celui que Ionesco appelait « notre doux voyou américain » confirme que l’appellation « théâtre de l’absurde » n’a pas,  pour lui, beaucoup de sens…Comme  Albee, il aussi évoqué ses rencontres avec Ionesco, quand les pièces de l’auteur d’origine roumaine,  étaient jouées au théâtre du Lucernaire -alors situé rue de la Gaieté- mais sans faire recette.
Marie-France Ionesco, elle,  a parlé de la première venue de son père à New York, et elle a souligné l’importance de son  travail  sur le langage puis  a lu un texte de lui
Pourquoi j’écris.
Quant à Emmanuel Demarcy-Mota,  qualifié de « King of Young Genius » (!) pour sa mise en scène par Israël Horovitz, il a tenu à s’exprimer en français. Il a fait remarquer qu’Eugène  Ionesco avait  décidé d’écrire toute sa vie en français. Il préfère  à l’expression « théâtre de l’absurde », celui de « théâtre de l’insolite », à propos d’un théâtre qui ne ressemble à rien de ce qui existait à l’époque.
Il a monté
Le Rhinocéros la première fois quand il avait 15 ans, puis à 35 ans et cite trois phrases de l’auteur qui ont orienté son travail: « vouloir être de son temps c’est déjà être dépassé », « oser penser par vous-même »,  et « le comique n’est comique que si il est effrayant ».
Emmanuel Demarcy-Mota a souligne la réaction imprévue du public américain qui a ri à chaque représentation. Robert Abirached parlait effectivement en 1966, à propos de la réception par le  public des pièces d’Eugène Ionesco  « Elle sont d’une gaieté nerveuse et tendue faite de désarroi de panique et de révolte ».  Le metteur en scène du
Rhinocéros  a aussi insisté sur l’importance de la notion de troupe pour ce spectacle, surtout en tournée.
Quant à Béranger, personnage principal de la pièce, ce n’est , pour lui, ni un héros ni un marginal et il estime  qu’il est  dans la liminalité. Ionesco dans sa pièce dit-il, n‘offre pas de recours contre le mal qu’il dénonce,  ce que Robert Abirached avait déjà  souligné:   « Quant à la moralité à tirer de ces fables : son jeu consiste précisément à n’en formuler aucune et à laisser l’histoire ouverte. A chacun de conclure comme il l’entend « .
Emmanuel Demarcy-Mota  conclura :  » Ma mise en scène ne veut pas donner de réponse, mais fait apparaître des questions, pour aider le public dans son dialogue avec le poète « .

Jean Couturier

Rencontre du 5 octobre 2012

www.nyu.edu/maisonfrancaise

 

Villa+ Discurso

 Villa+ Discurso, texte et mise en scène de Guillermo Calderón.

 

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©Valentino Saldivar

Augusto Pinochet, commandant en chef des armées au Chili,  avait cinquante six ans en 73,  quand  il renverse le gouvernement de Salvador Allende. Très doué pour la dictature,  il fera torturer et/ou exécuter des milliers d’opposants à son régime mais en 88, Pinochet n’obtiendra pas la majorité des voix et devra démissionner de la Présidence de la République.
Arrêté pour pour violation des droits de l’homme en 1998, il sera retenu à Londres pendant deux ans, puis autorisé à rejoindre  le Chili en résidence surveillée. Mais  il mourra  en  2006 avant d’être jugé pour meurtres et enlèvements.

C’est un page tragique du Chili encore bien présente dans les mémoires des familles qui ont eu les leurs emprisonnés ou tués. Guillermo Calderón, qui a 41 ans, a donc grandi pendant  la prise du pouvoir par Pinochet,  et son idée est de montrer dans ce spectacle  » que le traumatisme de de la dictature est hérité par les jeunes générations ». (… ) La culture, ajoute-t-il, a tenté de faire œuvre de mémoire ».
Dans le premier volet de ce diptyque : Villa, il y a sur le plateau nu , quelques chaises dépareillées, un bureau en bois et posée dessus, une maquette de la trop célèbre Villa  Grimaldi où eurent  lieu tortures et exécutions de 73 à 90, .et une desserte avec de nombreux verres.  Trois jeunes femmes, dont on apprendra qu’elle font  partie d’un comité chargé de résoudre l’avenir de cette encombrante villa, Grimaldi  discutent pour savoir s’il faut choisir d’en faire un musée, ou bien la laisser en l’état.
En fait, ce qui fait question, c’est tous les ennuis que provoquent, après une période historique très lourde, la mémoire des lieux où se sont passées des atrocités. Et la France n’a pas toujours réussi non plus à bien gérer ce genre de choses. Le village martyre d’Oradour- 650 victimes- incendié par le nazis fut laissé tel quel; Mais on a préféré vite oublier que  plusieurs  lieux parisiens- l’hôtel particulier de la rue Saint-Dominique où était basée la Direction des spectacles du Ministère de la Culture, ou l’Hôtel Lutétia,  boulevard Raspail qui avaient été des centres de torture pendant l’occupation allemande..
Les trois jeunes femmes parlent beaucoup et très vite des différentes options: l’une d’elles craint que l’on ne tombe dans l’esthétisme si l’on veut réhabiliter le lieu et que le musée  ne  soit pas vraiment la forme appropriée.
Et quand, à un moment, elles décident de voter, on ne saura jamais,  parmi les trois,  quelle est celle qui a voté blanc! D’où un sujet évident de grave conflit au sein du trio.  Ce qui, de façon très habile, pose les limites du vote démocratique. La direction des trois actrices est précise, et Francisca Lewin, Macarena Zamudio et Carla Romero se sortent au mieux de l’exercice   périlleux que leur impose Guillermo Calderón; la moitié de son texte  est  assez répétitif   aurait pu nous être épargnée. Et les micros HF,  dont on voit mal une fois de plus ce qui les justifie, n’arrangent rien!

La seconde partie:  Discorso est une sorte de parodie de discours présidentiel, en référence à Michelle Bachelet, Présidente de la république de 2006 à 2010, et  dont le père, général de l’armée de l’air , torturé par les sbires de Pinochet, mourut en prison. Débité à tour de rôle par les trois comédiennes drapées chacune dans un écharpe bleue, blanche et rouge , ce Discorso porte notamment sur la notion, entre autres,  de pardon, de vengeance en politique,  de  révolution  avec ce constat désabusé: « Il n’y a pas de révolution heureuse » ou de pouvoir: « Je suis seulement venue, j’ai gouverné et je m’en vais ».
Ce second texte, lui aussi,  un peu trop long, a cependant le mérite d’aborder les grandes réflexions de fond que pose tout espace dépositaire d’une  mémoire historique. Même avec des phrases courtes et débitées à un rythme très rapide qui lassent vite..

Théâtre politique,  puisque la scène, dit Guillermo Calderón, est le lieu idéal pour penser politiquement?  Sans doute, quand il joue son spectacle au Chili dans des espaces de torture pendant l’ère Pinochet. Mais ici, sur la scène des Abbesses, cela n’est  pas du tout  évident, et ce Villa+ Discurso a un côté sec et démonstratif… Il y manque sans doute une fiction pour dire la réalité de cette époque troublée et de véritables personnages qui donneraient  véritablement vie à ce  spectacle quand même un peu ennuyeux…
Alors à voir?  Oui, pour avoir une idée du théâtre au Chili, sinon on peut s’abstenir…

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au  19 octobre

Le Porteur d’histoire

 Le Porteur d’Histoire, texte et mis en scène d’Alexis Michalik.

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©Julien Lemore

 

Ce spectacle a fait salle comble au festival off d’Avignon, et poursuit son chemin au Théâtre 13 qui l’ a co-produit, avant d’aller, chose rare, dans le théâtre privé, précisément au Studio des Champs-Elysées. Preuve en est que les  frontières entre  théâtre privé et public commencent enfin à bouger, comme au Théâtre de la Madeleine qui  accueille Françon  avec La Dernière  Bande de Beckett. Ou le Théâtre de Paris où Marion Bierry monte, avec disons…  beaucoup moins de succès, Le Tartuffe.
Sa recette! Un tissu d’histoire ou plutôt d’histoires qui s’entrecroisent et se complètent au fur et à mesure du récit. Nous assistons en somme, à la réunion de plusieurs conteurs qui emportent les spectateurs dans  différents univers, « qui incarnent, dit Alexis Michalik,  un nombre illimité de personnages fictionnels ou historiques. Au fil du récit, ils deviennent moteurs et instruments narratifs ».
On va ainsi du Moyen-Age à la Révolution et à l’époque contemporaine; il y a des dizaines de  personnages inconnus ou célèbres comme Marie-Antoinette et on se ballade d’un continent à l’autre, du Maghreb à l’Europe,  avec tout le plaisir qu’on peut goûter au conte, ressuscité avec bonheur par Alexis Michalik  qui s’était déjà fait connaître avec deux Skakespeare: Roméo et Juliette et La Mégère apprivoisée Les adultes sont comme les enfants qu’ils ont été et adorent entendre des histoires
C’est un théâtre simple: sur un plateau vide, aucun décor autre que le jeu des lumières,  quelques tabourets, et deux  portants avec  des costumes  utilisés en fonction de chaque personnage. Et surtout avec cinq comédiens : Éric Herson-Macarel,  tout à fait remarquable, qui mène le jeu  et Amaury de Crayencour, Évelyne el-Garby Klai, Magali Genoud et Régis Vallée. Leur présence sur scène  est tout à fait impressionnante et le rythme  qu’ils donnent au spectacle donne une belle énergie au texte.
Qu’importe le ou les sujets de ce récit choral, où les petites histoires individuelles rejoignent la « grande Histoire »,  il faut se laisser emporter dans ce voyage verbal  où notre imaginaire personnel peut se libérer.

Jean Couturier

Théâtre 13 jusqu’au 14 octobre, puis au Studio du Théâtre des Champs Elysées, à partir du 2 février 2013.

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