Racheter la mort des gestes
Racheter la mort des gestes, chroniques chorégraphiques 1 de Jean-Claude Gallotta
Le chorégraphe grenoblois invite le public à partager une danse tchekhovienne. Le passé de Jean-Claude Gallotta vient en permanence nourrir le présent de la scène.
C’est d’ailleurs une référence du passé, un article d’Hervé Guibert dans Le Monde en 1984, à propos d’un spectacle du chorégraphe qui donne son titre à cette création.
Déjà, il y a quelque 20 ans, Claude-Henri Buffard, le concepteur avec Jean-Claude Gallotta de Racheter la mort des gestes, notamment dans le choix des textes, parlait de la notion de D.T.M (danse, texte, musique): « Après une décennie purement chorégraphique, voilà que les corps des danseurs, leur savoir scénique explosent en rythmes, en paroles et en sons. Continuant ainsi à accompagner la recherche de Gallotta qui, après avoir délivré la danse de la chorégraphie, peut bien entreprendre de la guérir de son aphasie. La danse, le théâtre et la musique des années 90 ont-ils besoin de se tenir un peu plus chaud que par le passé en occupant la scène ensemble ? ». Cette notion d’association des formes appartient au langage du chorégraphe, auquel s’est ajoutée l’image.
Des films projetés en fond de scène, comme un extrait de Lawrence d’Arabie, côtoyent des fragments de danse, et compléter ainsi ce journal intime du passé de l’artiste. Pêle-mêle, sont évoqués avec George Mac Briar (90 ans), un des invités du spectacle, une figure possible de Merce Cunningham qui avait dit au chorégraphe: « Ne jouez pas les héros » , ou la mort de sa mère, qu’on lui avait annoncée un soir de représentation à Paris. Des moments intenses et parfois dérangeants, comme ce duo de personnes handicapés en fauteuil roulant, alternent avec des instants de grâce plus légers, comme cet extrait dansé de Daphnis et Chloé sur une musique d’ Henry Torgue.
Une citation d’un texte de Gilles Deleuze ou le Discours sur l’Afrique de Nicolas Sarkozy font aussi irruption dans ces moments dansés. Autre caractéristique de l’écriture chorégraphique de Gallotta: la présence de non-professionnels sur le plateau, qui ont touché, lors d’improvisations, la sensibilité de l’artiste. Deux très beaux instants de danse de groupe ouvrent et ferment cette création sur des musiques de Michel Delpech et d’Alain Bashung.
Le tout forme, à la manière de Georges Perec, une sorte de Je me souviens, à la fois visuel et textuel, tout à fait remarquable.
Le public, le soir de la première qui a acclamé les trente artistes, semblait ainsi adhérer pleinement à la réflexion d’Hervé Guibert lue au début du spectacle par Jean-Claude Gallotta: « Qui est le chorégraphe, sinon ce grand fada sacré que la société semble payer pour le rachat de la mort des gestes ? « .
Jean Couturier
Au théâtre de la Ville jusqu’au 10 novembre