L’Education populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu
L’Education populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu, conférence gesticulée de Franck Lepage.
Franck Lepage a mené la première partie de sa carrière dans la Culture, » la Culture avec un grand Cul « . Il y a renoncé depuis plusieurs années, ayant compris » que la culture, ça sert à reproduire les pauvres, pas à les supprimer. On dit aussi que la culture, ça sert à reproduire les rapports sociaux. Moi, j’en ai eu marre de les reproduire « .
Nous sommes quelque 200 spectateurs-il y a beaucoup de militants de l’Éducation populaire-dans une grande salle « rien-valente » comme dirait Ariane Mnouchkine, dans le quartier de la Petite Hollande de Montbéliard, de plus en plus déserté par ses commerçants et ses habitants, malgré une architecture d’ensemble plutôt réussie, des services sociaux et un campus universitaire.
La conférence est annoncée pour un durée de quatre heures avec un entracte et un buffet ! Franck Lepage nous attend en bermuda, une chemise à fleurs, chaussé de bottes, un poireau à la main. Et il retrace son parcours avec une verve et un humour surprenants: » Il m’est arrivé cette chose terrible, dit-il, j’ai arrêté de croire à la Culture, alors, j’ai quitté Paris. Quand vous êtes dans la Culture, vous habitez Paris. C’est là que sont tous les cultivateurs chez nous.
Je ne le souhaite à personne…Vraiment, c’est une expérience terrible. À sept ans, j’avais déjà perdu le Père Noël. À dix-huit ans, j’avais arrêté de croire en Dieu. Déjà vous devenez beaucoup plus seul, puis à quarante-sept ans (…) je suis devenu athée culturel (…)j’avais fini par me dire que c’était une vraie religion…la religion de gauche, en somme. Une nouvelle forme de sacré: l’Art !
Quand je dis, j’ai arrêté de croire à la culture, c’est idiot comme phrase ! Non, j’ai arrêté de croire, pour être très précis, en cette chose qu’on appelle chez nous la démocratisation culturelle. C’est l’idée qu’en balançant du fumier culturel sur la tête des pauvres, ça va les faire pousser, et qu’ils vont rattraper les riches ! ».
On n’en finirait pas de citer des extraits de cette épopée hilarante de Franck Lepage qui semble improvisée, mais dont le texte des plus savoureux a été édité par les éditions du Cerisier en 2006 à Bruxelles, à l’occasion du soixantième anniversaire des Centres d’Entraînement aux Méthodes Actives (CEMEA).
Franck Lepage s’était installé en Bretagne pour rompre avec les colloques qu’il devait animer et auxquels il avait cessé de croire, mais ses tentatives pour faire pousser des tomates, des oignons et des poireaux furent un échec. Il se cassa une jambe après une chute en parapente, ce qui lui fit annuler plusieurs conférences gesticulées (il en a donné plusieurs centaines). Le spectacle, disait-il n’avait toujours pas commencé…
Le spectacle : Franck Lepage s’était mis en tête de retrouver quelques grands anciens, qui avaient commencé à construire un ministère jusqu’alors partagé entre l’Éducation et les Beaux-Arts. et c’est la rencontre avec Christiane Faure qui avait joué un rôle important en 1944. Après l’échec d’un premier contact téléphonique-il l’avait appelée Monsieur- elle lui donne enfin rendez-vous et lui raconte l’avortement de ce ministère rêvé, confié à Malraux qui plane dans de grands rêves de grandeur mais qui abandonne rapidement l’Éducation populaire qui sera reléguée et oubliée par le ministère de la Jeunesse et des Sports.
Mais Christiane Faure refusa tout enregistrement et prise de notes… Franck Lepage s’est donc adonné à une série de portraits de personnages plus vrais que nature, qui entouraient Mademoiselle Faure quand elle permit la création du ministère de l’Éducation Nationale dans la France libre en Algérie avec le recrutement d’instructeurs d’éducation populaire avec entre autres, Chris Marker, Pierre Schaeffer… jusqu’à l’abandon de ce rêve populaire du ministère sous Malraux.
Cette conférence gesticulée hilarante est une œuvre de salubrité publique!
Edith Rappoport
Au centre Jules Verne, Montbéliard, le 6 novembre. Coopérative d’Éducation populaire Le Pavé