Le Ministre japonais du commerce extérieur de Murray Schisgal, mise en scène de Stéphane Valensi.
Murray Schisgal est un auteur américain, par ailleurs scénariste de films, (86 ans ce mois-ci) que Laurent Terzieff nous avait fait connaître en France il y a déjà un demi-siècle, avec des pièces comme Love ou Les Dactylos. Quant au Ministre japonais du commerce extérieur, inspirée du célèbre Revizor de Gogol, il l’a située de nos jours à Dukpond dans le New-Jersey. On est dans la maison de Roger Eichelberry, le maire qui pense avoir raté sa vie et croit avoir trouvé un bon filon. Il a appris en effet que le Ministre japonais du commerce extérieur allait venir dans leur ville et il a réuni quelques-uns de ses conseillers municipaux: le chef de la police, une juge ancienne alcoolo, un médecin directeur de clinique, personnages en qui il a entièrement confiance, pour leur demander de ne révéler la chose à personne.
Il leur fait vite comprendre que cette visite peut être tout à fait providentielle pour leurs finances personnelles s’ils gardent le secret et s’ils savent investir à temps pour spéculer sur des terrains à vendre: ils pourraient enfin réaliser le rêve américain que leur pays leur a refusés… Et la machine à fantasmer se met en marche chez ces petits-bourgeois, aussi cupides qu’aveugles, prêts à sauter dans le train fou de la corruption, au mépris de toute morale publique.
Le ministre et son » assistante » arrivent donc en kimono, avec des vieilles valises; en fait, ce sont deux comédiens minables qui ont trouvé un bon moyen de se faire loger et nourrir pendant quelques jours et, si possible, de se procurer un peu d’argent sur le dos de leurs victimes, à coup d’enveloppes qu’ils acceptent sans aucun scrupule. L’épouse snobinarde du maire qui rêve de voyages et leur fille, ado modèle américain, en salopette bleue, qui rêve au mariage proposé par le ministre, ne sont pas non plus les dernières à croire en ce père Noël nippon qui le permettrait de fuir leur milieu petit bourgeois. Comme ces deux agents immobiliers sans scrupule qui font penser aux deux Dupont, tout heureux de réaliser une affaire juteuse. Le maire lui-même croit dur comme fer qu’il va pouvoir aller se balader au Japon, grâce au ministre, pour faire une conférence sur sa minable collection de couvertures amérindiennes. Bref, tout le monde rêve, sur des airs américains populaires…
Bien entendu, la chute inévitable de cette farce cruelle ne tardera pas, quand, premier accroc, l’assistante du ministre verra son amant allongé sur le canapé avec la fille du maire et quittera aussitôt la maison. Le soi-disant ministre japonais, sentant les choses mal tourner, trouvera un prétexte pour la retrouver et pour se rendre d’urgence à l’aéroport… Et il y a une très belle scène finale, absolument silencieuse, où le maire, son épouse et leur fille sont assis avec leurs valises, prêts à rejoindre le ministre pour aller avec lui à Tokyo, entourés de leurs amis. Commençant à réaliser mais un peu tard, qu’il se font fait avoir…
Aucun protagoniste de cette galerie de personnages assez naïfs pour croire gagner de l’argent facilement n’attire la sympathie, et ce jeu de massacre où deux minables petits escrocs réussissent, du moins quelques jours, à tromper les autres par de belles paroles, est de tous les temps, et de tous les pays. Les hommes sont toujours prêts à croire en des placements miracles, au mépris de toute réalité, et de toute morale…
Et la farce cruelle concoctée par Schisgal, avec les procédés comiques que cela suppose, pourrait fonctionner… Mais pour qu’elle soit crédible, et elle peut l’être même si les effets sont parfois gros, elle exigerait, bien entendu, une mise en scène de haut niveau. Mais là, on est vraiment très loin du compte! D’abord, à cause d’une dramaturgie et d’une direction d’acteurs d’une faiblesse exemplaire: surjeu, diction souvent approximative, accent soi-disant japonais qui se perd en route, manque de rythme, costumes qui se veulent drôles mais qui ne sont que vulgaires, scénographie maladroite pourtant signée André Acquart!
Pourquoi avoir, par exemple, avoir affublé les deux escrocs de kimonos et de perruques ? Le début du spectacle qui a beaucoup de mal à démarrer, est particulièrement accablant et cette satire qui se voudrait féroce de la société américaine, devient, dans cette mise en scène, assez ennuyeuse et tombe souvent dans le plus mauvais boulevard. Stéphane Vensi semble avoir oublié que farce ne signifie surtout pas n’importe quoiM et il y faut m^me encore plus de rigueur. Même un comédien tout à fait exemplaire comme Marc Berman (le maire) semble ici avoir eu du mal à trouver ses marques, et Nathalie Lacroix (son épouse), au jeu tout à fait correct, se met ensuite à cabotiner puis à crier sans raison. Et on lui fait changer de costumes plusieurs fois, ce qui n’arrange pas les choses et n’est pas sans rappeler là aussi le boulevard!
Que peut-on sauver du naufrage? Pas grand chose, si ce n’est cette dernière scène où les personnages, en silence, disent tout en quelques minutes à peine: leur confiance ébranlée puis très vite la découverte de leur crédulité et leur désarroi: il y a alors comme une immense tristesse qui s’empare du plateau pendant que le lumière baisse. C’est tout à fait impressionnant de vérité. Mais la belle réussite de cette fin ne saurait compenser la médiocrité et la vulgarité de l’ensemble.
Alors à voir? Oui, mais pour quelques minutes seulement. Donc à vous de décider si l’enjeu en vaut la chandelle!
Philippe du Vignal
Théâtre 13 (jardin) jusqu’au 16 décembre.