Le Journal d’une femme de chambre
Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau, mise en scène de Jonathan Duverger.
Extase et amour, horreur et supplice, l’état de domesticité décrit par Mirbeau – même s’il conduit à la connaissance approfondie de l’être humain, via l’intimité des maîtres et la fréquentation de leurs obsessions charnelles – reste une condition non privilégiée. Quand on est issu de la misère – un père marin disparu et une mère alcoolique, il faut à tout prix trouver du travail en ville, dans une » maison », et consentir aux caprices de la patronne, tandis que le patron abuse de votre fragilité sociale et de votre soumission naturelle.
En fait, Célestine est portée sur la chose – elle aime ça – et si les humiliations pleuvent, elle s’en sort d’une autre façon, plutôt désinvolte et libre. Une observation en guise d’enseignement : les bourgeois puent , tout comme le faisait le lit de sa propre mère dépravée. Des rayons de soleil pourtant envahissent ses jours, même si une nuit profonde – celle de la mort – enserre un jeune amant, Monsieur Georges, qui trépasse dans le bonheur d’avoir connu l’amour dans les bras de Célestine. Émue, elle apprécie la beauté du sentiment absolu et porte des fleurs mélancoliques sur la tombe de l’amant. La vie peut ainsi connaître des éblouissements salvateurs qui témoignent de la beauté pure de l’être.
L’existence pourtant ne fait pas l’impasse sur des situations plus inavouables et infiniment condamnables : Célestine pourrait se libérer de sa condition au prix d’une alliance avec un homme de peu de foi, violeur et assassin d’enfant qui l’attire, malgré cela ou bien à cause de cela. L’offre rêvée? Se prostituer dans un café du Havre : d’une servilité sociale face aux maîtres de ce monde, la jeune femme passerait à l’aliénation du commerce avec la chair et le sexe. Qu’on soit pauvre ou riche, la même perte d’humanité et de conscience identifie tragiquement les êtres…
Dans un décor soigné de Jean-Michel Appriou: la maquette d’une maison de maître avec ses petites fenêtres éclairées et un escalier en colimaçon, Natacha Amal incarne avec brio la femme de chambre, généreuse et plantureuse, telle une Hollandaise du bord de mer en sabots. Elle exprime avec sincérité et abandon les multiples états d’âme qui la traversent, douleur comme plaisir, amoureuse d’elle-même comme des hommes qui la satisfont dans sa chair.
Visage expressif, intense et varié: elle ne boude pas son bonheur d’être sur un plateau de scène. Une belle âme de comédienne dans un corps épanoui…
Véronique Hotte
Théâtre de l’Ouest Parisien, jusqu’ au 12 novembre.