Les Jeunes, texte et mise en scène de David Lescot.
Artiste associé au Théâtre de la Ville, David Lescot présente actuellement, dans le cadre du parcours Enfance et Jeunesse, deux créations : Quarante-cinq tours(cf. Théâtre du Blog )et Les Jeunes.
Auteur, metteur en scène et musicien, Lescot, avec Les Jeunes,nous plonge dans l’univers des ados et de la musique. Il écrit un texte d’une grande liberté, déjanté juste ce qu’il faut, pour être compréhensible : l’histoire de trois garçons , Igor, Honoré et Jick, qui décident, à douze ans, de monter leur groupe rock, Les Schwartz, avec guitare, basse et batterie. La musique, pour eux ? ”Si le morceau était une voiture, la basse serait le moteur… La batterie ? Ça serait les roues, la guitare ? Ça serait le volant”, et les bons tuyaux qu’ils se passent, valent tous les contrats d’éducation artistique stockés dans les cartons :” Tu laisses la première corde à vide, tu appuies huit fois dessus avec ton pouce, tu mets ton doigt là, tu appuies huit fois dessus avec ton pouce, tu enlèves ton doigt, tu appuies huit fois sur la première corde avec ton pouce, tu mets ton doigt là, tu appuies huit fois dessus avec ton pouce”… etc.
Ils ont la niaque, ces garçons, et des idées ! Seule ombre au tableau et en concurrence directe, un groupe rock monté par trois filles, les Pinkettes, au moins aussi exotiques qu’eux, dans lequel la chanteuse chouine plutôt qu’elle ne chante, normal, “Y a pas de paroles”, justifie-t-elle. « Elles puent la mort !” disent-ils, en roulant des mécaniques, avant de leur rouler des pelles. Ils les observent, comme des entomologistes, et les voilà tous programmés dans un même Festival en Bourgogne, qui finit par tourner court.
Ce sont les mêmes actrices qui interprètent les garçons du groupe Schwartz et les filles des Pinkettes, avec un art du détail qui tue : coup de peigne balayage, petit gilet relooké, tee-shirt sur-ajouté, chaussettes qui relâchent sur les godasses : Jick joue Louna, Honoré devient Ouna et Igor se mute en Lou (Alexandra Castellon, Bagheera Poulin, Marion Verstraeten). Là est une clé du talent de l’auteur, qui nous entraîne, de simulacre en simulation, au rythme chaloupé du changement d’identité. La métamorphose est magique, on y croit à mort, et autant qu’elles : elles sont aussi spontanées en garçons qu’en filles et ont l’air, sur le plateau, de bien s’amuser. Les six jeunes, dans cette installation d’art brut, ressemblent à s’y méprendre, à ceux que vous rencontrez, au square, au collège, dans le métro ou au coin de votre rue, vous n’êtes pas dépaysé. On se croirait dans un studio de répétition ou une salle de concert et trois musiciens jouent in live, guitares, basse et batterie (David Lescot, Flavien Gaudon et Philippe Thibault).
Le texte livre le catalogue raisonné des catégories et marques de guitares électriques : la hollowbody et la solidbody, et vous prend à témoin des polémiques entre adeptes de la Gibson ou de la Fender.
Igor, Honoré et Jick, puis Louna, Ouna et Lou, racontent, chacun à sa manière, dans quel chaudron musical, ils sont tombés, à leur naissance, avec ou sans berceuse, de Led Zeppelin à Duerme negrito, prétexte aussi pour placer le décor, côté parents, petits croquis tendres mais bien has been, un autre monde (Martin Selze et Catherine Matisse sont les représentants du monde adulte) : “En ce temps-là, tout le monde veut être jeune. Et tout le monde veut être comme les adolescents. Tout le monde veut être adolescent. Aux adolescents, on donne tout. On prête tout. On vend tout. Mais aux adolescents, on prend tout. On vole tout ”.
Trapier, le manager propose ses services et propulse les Swartz du Printemps de Bourges à l’Olympia-première partie, puis au Zénith, les journalistes traquent. Une galerie de personnages défile de l’Ingé Son au chanteur de las Putas, du choeur du Public au chœur des Fanatiques. Les choses enflent, garçons et filles ne touchent plus terre, jusqu’à ce qu’aussi vite, tout se délite : ça parle d’absentéisme au collège, de défonce et de médicaments, d’extrêmes.
Le père d’Honoré fait une entrée remarquée et assène à son fils une râclée publique bien alignée, quoique tardive, avant de l’enfermer. On retrouve Louna, aphasique et anorexique, dans une clinique, après burn out, dépression et déconnexion… Le tableau s’assombrit et c’est un peu bâclé.
Le spectacle nous plonge dans le monde des ados, et de plein fouet, avec un texte rythmé où se côtoient l’humour et la violence, mais l’alphabet est codé : détournement, évitement, étanchéité entre générations, transgression, rites d’initiation, recherche d’appartenance, territoires symboliques, tel est ce temps des tribus, du clan, du pacte, des “riffs” sanglants, leur vérité, leur sociabilité.
Comme le dit Michel Serres : « Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout ré-inventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître…. Ils n’ont plus la même tête. Ils n’habitent plus le même espace. Ils n’ont plus le même monde mondial, ils n’ont plus le même monde humain », dont acte.
Brigitte Rémer
Théâtre des Abbesses, du 8 au 24 novembre : 8, 9, 10, 24 novembre, à 15h – 13, 15, 16, 19, 20, 22, 23 novembre, à 14h30 – 13, 16, 17, 22, 23, 24 novembre, à 20h30, puis en tournée en France.