Fouilles
Fouilles par et avec Noëlle Renaude et Nicolas Maury, Session de l’Ecole Pratiques des Auteurs de Théâtre de Théâtre Ouvert
Avec Noëlle Renaude la surprise est souvent au rendez-vous! Nous avions suivi, de 94 à 97, le feuilleton Ma Solange comment t’écrire mon désastre, Alex Roux, écrit pendant quatre ans pour l’acteur Christophe Brault. Non pas un monologue mais des paroles plurielles pour une seule voix : fragments de mémoire, de conversations; non pas l’histoire d’un homme mais le bruissement d’un monde. À l’arrivée, une somme de vingt quatre heures de théâtre, présentée en 2002 au festival Théâtre en mai de Dijon.
Nöelle Renaude récidive, partageant avec l’acteur Nicolas Maury une nouvelle aventure littéraire et théâtrale, avec deux textes plus personnels, mais tout aussi luxuriants: L’enquête et Accidents, qu’ils ont coupé, taillé, « bricolé », pour en livrer trois soirs de suite, des extraits différents. Soit six heures et demi d’un joyeux chantier à ciel ouvert…
Pour la première fois, Noëlle Renaude a osé le « je » et Nicolas Maury, seul en scène, a joué le jeu de pénétrer par effraction dans cette intimité. L’écriture : d’où ça provient et par où ça transite ; ce que ça devient et ce qu’il en advient.Pourquoi et comment on en vient à écrire pour le théâtre ? Avec L’Enquête, Noëlle Renaude remonte aux sources de sa propre écriture, suivant les méandres d’un parcours acharné , semé de doutes, d’embûches et d’échecs .
De ces Fouilles, elle exhume aussi bien ses propres souvenirs d’écriture que les rencontres humaines, littéraires et théâtrales qui les accompagnent: des personnages et des lieux surgissent, comme autant d’éclats de mémoire:l’appartement de Mme Destombes, graphologue, et son bric-à-brac de vestiges accumulé par un mari archéologue ; le cabinet céladon de la dentiste ; le Satrape Mausole, à qui, en 353 av. J.C. sa sœur et épouse Artémise 2 éleva un tombeau colossal ; Artémisia , une toile de Rembrandt admirée par N. Renaude, un jour de canicule à Madrid ; l’atelier du maître où pose, en Artémise, Saskia van Uylenburgh qu’il a épousée en 1625. Tout comme Noëlle posa pour son mari peintre. NR (comme elle se nomme elle-même) nous raconte ses feuilletons pour Bonnes Soirées, ses études de japonais, la difficulté de traduire un poème de Ba Sho, les listes des Notes de chevet de Sei Shonagon et celles que lui a laissées sa mère… »Je suis devenue écrivain, en écrivant et auteur, en m‘autorisant à l’être », dit-elle dans Accidents, deuxième texte en jeu, important extrait d’une correspondance de 300 pages échangée pendant des mois avec Barbara Métais-Chastanier. « Oh! là! là Barbara ! », s’exclame-t-elle à certaines questions de la jeune dramaturge qui l’interroge sur le théâtre, sur le statut de l’écriture, de l’acteur, et de l’auteur.
La plume alerte de Noëlle Renaude et la virtuosité feutrée de Nicolas Maury rendent vivante cette approche théorique qui fait remonter d’une autre manière le cours de l‘écriture pour en dessiner la mémoire. L’acteur, l’air de ne pas y toucher, avec une nonchalance toute féline, épouse l’écriture telle qu’elle s’avance par bonds et ruptures : « un vrai capharnaüm » dit-il, aussi à l’aise dans Claudel que dans un traité d’acoustique, au ras d’un texte en demi-teinte où l’humour masque une véritable émotion.
Embarqué dans cette (en)quête radicale, marathon de mots jubilatoire, au bout de trois heures de spectacle, nous n’avons pas vu le temps passer et nous avons regretté de ne pas avoir assisté aux deux soirées précédentes. On peut espérer qu’il y ait des suites scéniques et éditoriales à ce travail…
Mireille Davidovici
Théâtre ouvert en octobre dernier.
L’intégrale de Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux est publiée aux éditions Théâtrales.