Manifeste Pour la vie d’artiste, de Bartabas
Manifeste pour la Vie d’artiste de Bartabas
C’est un livre engagé et généreux, un témoignage de Bartabas, écuyer, metteur en scène et fondateur en 1984 du Théâtre Equestre Zingaro qui, sur cent-quarante pages, en ouvre cent à ses amis, pour parler de leur démarche créatrice, comme le veut la collection.
Il y parle de sa rencontre avec le cheval, qui a façonné sa vie et lui a donné un matériau de travail exceptionnel, une curieuse rencontre au départ, née du besoin de dominer sa peur.
Bartabas cherche, en permanence, la justesse dans la relation avec le cheval. « L’homme n’impose pas, il propose, et le cheval dispose, dit-il, inversant l’image classique du cavalier qui domine sa monture. « Dresser un cheval, ce n’est pas lui faire acquérir des automatismes, c’est d’abord se construire avec lui un vocabulaire commun, puis une grammaire commune, puis, s’il le veut bien, finir par dire des poèmes ensemble ». Face au cheval, Bartabas parle d’humilité, et reconnaît « qu’après une vie entière auprès d’eux, ils gardent une part de mystère ».
Au quotidien, avec sa troupe, qu’il définit comme une tribu, plus que des longs discours c’est l’attention portée aux autres qui prime. Comme lui, ses compagnons de route ont la force des révoltés et partagent la même éthique, autour du cheval, ouvrant sur un même rapport à l’esthétique: « Nous nous sommes tous choisis mutuellement. Symboliquement, notre « allure » est celle de la caravane. Habiter dans une caravane, c’est vivre à échelle humaine. C’est notre étalon-vie, comme d’autres mesurent leur réussite à l’étalon-or ». Avec eux, il invente le concept de cabaret équestre.
Chaque spectacle de Zingaro est une aventure. « Ce sont trois ans de nos vies qui y sont consacrés, trois ans imposés par la survie économique de l’entreprise ». Même si l’aventure théâtrale, comme il le souligne, échappe à la loi du profit. « Une création scénique comme la nôtre n’est pas figée, n’est pas définitive. Elle est forcément une expression en pleine évolution ».
La musique des spectacles, langage parmi les langages, a pour objectif de mettre le spectateur en état de perception. Du Rajasthan ou de la Corée, de la Géorgie ou des Carpates, les musiciens font un bout de route, et repartent, laissant à la compagnie un peu de leur savoir-exister et de leur savoir-aimer. Alors, c’est dans la relation avec le public que le spectacle existe. Bartabas parle de la rue, là où il a commencé, quand les gens s’arrêtent pour regarder le montreur de gestes. » S’ils ne s’arrêtent pas, le « génie »que vous croyez être n’existe pas. C’est l’instant partagé avec les spectateurs, dit-il, qui donne du sens à tout spectacle, une « communion en forme de rituel ».
Le travail qu’il réalise depuis bientôt quatre décennies, au-delà des spectacles présentés (Chimère, Eclipse, Loungta, Battuta, Darshan, Cabaret I, II et III, Le Centaure et l’animal, et Calacas, actuellement, dans son lieu magique d’Aubervilliers), se prolonge dans la transmission : la création de l’Académie du spectacle équestre de Versailles, créée en 2003, est une école d’un genre nouveau, une sorte de compagnie-école, où s’inventerait une philosophie du « vivre ensemble ». « C’est une école lente, dit-il, où j’essaie de leur transmettre une philosophie, une énergie, un état d’esprit ».
Resté fidèle à sa révolte et poursuivant son travail d’artisan, Bartabas reconnaît avec honnêteté qu’il a une position ambiguë face au système, qu’il utilise et qu’il dénonce ne même temps. »Notre place est donc sans doute là, dans cet entre-deux inconfortable : nou sommes à la fois reconnus et maintenus en position de survie, à la fois citoyens et hors-la-norme, à la fois donneurs de bonheur par nos spectacles et empêcheurs de subventionner en rond par notre exigence ».
Cette première partie de l’ouvrage, Chevaucher la vie, acte de foi de Bartabas, son Manifeste, témoigne de l’engagement total de l’artiste et de l’exigence de la création. Dans la seconde partie, Bartabas présente chacun de ses invités, tous, comme lui, artistiquement engagés, et leur demande de s’exprimer : Alain Cavalier, filmeur -Alexandre Tharaud, pianiste -Alain Passard, maître d’une maison de cuisine-Chris Christiansen, jongleur – Ernest Pignon-Ernest, créateur d’images et de collages-Dominique Mercy, LE danseur – Luis Francisco Espla, torero-Ko Murobushi, danseur, spécialiste du Nô – Christophe Soumillon, jockey – Cabu, dessinateur–Jack Ralite, homme politique, fondateur des Etats Généraux de la Culture-Laurent Terzieff, acteur et metteur en scène-Pina Bausch, danseuse, chorégraphe et directrice du Tanztheater de Wuppertal, chacun à leur manière, avec de poèmes, dessins, impressions et réflexions, parlent de création et confirment que la vie et l’œuvre, souvent, se confondent.
Quelques photos de Bartabas, de ses spectacles et de ses invités, complètent, avec simplicité, cette approche sensible d’un homme dans le tourbillon de sa vie, qu’il partage avec nous par la scène et par la trace qu’il veut bien nous livrer. Son Manifeste pour la vie d’artiste, est pour nous, un manifeste pour la vie, tout court.
Brigitte Remer
Editions Autrement, collection Manifeste, en collaboration avec Claude-Henri Buffard.