Roméo et Juliette
Roméo et Juliette de William Shakespeare, traduction de Pascal et Antoine Collin, mise en scène, adaptation, scénographie et chorégraphie de David Bobee.
La célèbre pièce n’est sas doute pas la meilleure des comédies de de l’immense Shakespeare, et moins connue que le mythe des deux fameux amants malheureux de Vérone. David Bobee, jeune metteur en scène de 34 ans, basé à Caen, s’est attaqué à ce pavé. Il avait, cette année, mis en scène, nous a-t-on dit, un Hamlet de très bonne facture.
Sur le plateau nu, avec un sol et un mur de fond cuivrés, où sont disposés des praticables rectangulaires qui servent à tout, une bande de jeunes gens plutôt sympathiques, dont quelques-uns, surtout les plus âgés d’entre eux, sont vraiment comédiens. Comme Bobee est modeste, il signe son travail en tant que-excusez du peu-metteur en scène, adaptateur, scénographe et chorégraphe... Il a confié les costumes à Marie Meyer qui a habillé tout le monde en jeans, tee-shirts, basketts, de façon sans doute à faire contemporain et à situer les choses en banlieue. Mais le coup du jean/tee-shirt/veste de cuir il y a quelque cinquante ans quand le Living Theater avait inauguré la chose, créait un certain étonnement sur une scène officielle mais maintenant! Si c’est pour voir sur un plateau , ce que l’on voit dans la vie, quelle facilité et surtout, quel intérêt?
Il y a dans cette mise en scène, sans doute aussi pour faire moderne et djeune, de temps à autre, un petit coup de danse hip-hop, des acrobaties réalisées par deux beaux athlètes, et quelques chansons. Et puis aussi quand même, les scènes écrites par Shakespeare… Passées à la moulinette d’un langage qui se voudrait actuel mais assaisonnées de vulgarités que l’on voudrait nous faire passer pour shakespeariennes, sans doute là aussi, pour faire plus « djeune »… Plus racoleur, je meurs!
Ces jeunes gens essayent d’incarner les personnages mais n’y arrivent évidemment pas. « Je ne fais jamais d’audition, dit Bobee, j’invite sur scène des gens que je rencontre dans la vie. Ils sont danseurs, acrobates, comédiens, professionnels, amateurs ». Le résultat ne se fait pas attendre: la plupart, peu ou pas dirigés, jouent faux comme ce n’est pas permis. Il n’y évidemment aucune unité dans ce semblant de jeu, et la sonorisation du plateau rend les voix uniformes. Comme elles sont souvent couvertes par une musique omni-présente qui fait parfois penser à du Phil Glass(le génie en moins), on s’ennuie très vite. D’autant plus que la pièce n’a vraiment rien de passionnant.
Seuls, arrivent à s’en sortir tant bien que mal, Mahdi Dehbi (Roméo) et Sara Llorca (Juliette), elle en robe et qui a une belle présence-ils viennent tous les deux du Conservatoire national- ainsi que Véronique Stas (la nourrice) qui a du mal à s’y mettre-et on la comprend-mais est ensuite très juste. Il y a même une très belle scène entre Juliette et elle. Bobee qui se prend pour un scénographe, a imaginé un décor de fond cuivré assez laid avec des fenêtres en ogive, du genre vitrine de magasin d’autrefois, ce qui n’aide en rien . Il n’hésite pas à écrire qu’il a « ressenti le besoin de travailler avec des acteurs et danseurs qui auraient eux-mêmes la peau cuivrée » (sic) Tous aux abris!
Il y a parfois quand même de belles images et un certain rythme dans cette réalisation prétentieuse qui voudrait être « populaire » mais qui accumule les poncifs du théâtre contemporain comme, entre autres, un plateau nu avec des lumières frontales parfois éblouissantes face public, ou latérales et rasantes, des courses dans le public ou un jeu sur les passerelles des côtés de la salle. Il n’y a pas d’entracte et ce pudding de presque trois heures est long, long, comme un jour sans Juliette.
On serait heureux de savoir, par quel miracle, la chose a pu atterrir à la salle Jean Vilar, de toute façon beaucoup trop vaste pour cette comédie. Mais c’est un privilège qu’il ne méritait franchement pas! Le public, où il y a de nombreux lycéens, n’est pas très attentif mais, bizarrement, il y a eu peu de désertions et de SMS envoyés pendant la représentation…. Mais quelle déception!
Il nous souvient qu’à quelques dizaines de mètres du plateau, dans une salle de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot rayée depuis de la carte par les bons soins de M. Goldenberg, directeur du Théâtre à l’époque et qui ne l’est pas heureusement resté, des élèves qui créeront ensuite la compagnie Gérard-Gérard avaient réalisé un spectacle d’une heure vingt, sans décors, mais solide, bien interprété, à la fois drôle et émouvant. Cela s’appelait aussi Roméo et Juliette... Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence, dirait Ionesco! C’était il y a cinq ans… Et ils continuent à le jouer encore un peu partout en France…
Philippe du Vignal
Théâtre National de Chaillot jusqu’au 23 novembre.