Nouveau Roman, texte et mise en scène de Christophe Honoré.
© Jean-Louis Fernandez« Je peux dire que j’ai découvert les ruines du roman avant d’en connaître la splendeur » dit Christophe Honoré. Son frère le confirme en préambule du spectacle : « Christophe a découvert la littérature grâce à Hiroshima mon amour et à la lecture des livres de Marguerite Duras empruntés au lycée, au fin fond de sa Bretagne natale ».
Ayant grandi à cette Ecole, Christophe Honoré affiche un souci pointilleux de la forme, au cinéma comme au théâtre où il interroge la littérature. En faisant revivre ici le petit cénacle qui, autour de Jérôme Lindon et de son éminence grise, Alain Robbe-Grillet, qui lança le « Nouveau Roman » mais qui restera à l’écart du groupe que rejoindront Marguerite Duras, et Catherine Robbe-Grillet. « J’ai remis en cause le statut du personnage, » explique Christophe Honoré. Dans un décor composite, flanqué d’écrans vidéo, entre hall de piscine, tribunal et amphi poussiéreux, le metteur en scène et ses acteurs ont librement composé le spectacle à partir d’ un immense matériau: romans, films, interviews, journaux intimes de ceux qui inventèrent l »a-littérature », comme le disait Claude Mauriac. Il y a aussi les témoignages filmés d’écrivains d’aujourd’hui: Lydie Salvayre, François Bégaudeau, Geneviève Brisac, Philippe Sollers…
»Ce que j’appelle réalisme, c’est toujours du réel qui n’est pas encore pris dans des formes convenues », proclame Nathalie Sarraute. Joignant le geste à la parole, même s’ils ne sont pas tous d’accord, les autres écrivains brûlent les livres de Balzac, Flaubert, Loti, France, Aragon… Même les ouvrages de Sartre et de Beauvoir, considérés comme de vulgaires littérateurs, seront condamnés au bûcher!
Cependant, miné par des dissensions intestines, le groupe s’effiloche, malgré la volonté d’Alain Robbe-Grillet, et Claude Ollier est exclu comme aux meilleurs temps du stalinisme…Et les Prix Renaudot de Butor, Nobel de Claude Simon, Goncourt de Duras sont fêtés du bout des lèvres par le groupe. Butor et Duras désertent alors pour Gallimard…et Robbe-Grillet finit en académicien !
Durant ces trois heures et demi qui s’égrènent sur l’horloge numérique, le public est invité aux débats théoriques du groupe, à ses chamailleries et querelles. On apprend que certains se sont engagés contre la guerre d’Algérie et que les éditions Lindon ont été plastiquées par l’O.A.S., à la suite de la publication de La Question d’Henri Alleg. On entend aussi la prose magistrale de Claude Simon, scandée par Sébastien Poudéroux jusqu’à l’essoufflement : un moment de grâce…
Nous pourrions nous passer de la recette de la soupe aux poireaux de Marguerite Duras et autres anecdotes superfétatoires. Mais c’est le parti-pris d’Honoré, comme les chansons ou le débat avec le public qui fait office d’entracte: ils redonnent de l’élan à une machine qui risquait de s’épuiser. Certains s’agaceront, d’autres se laisseront emmener par les acteurs dans ce bric-à-brac inventif et gentiment satirique, ravis de voir l’austère Nathalie Sarraute sous les traits d’une Ludivine Sagnier en talons-aiguille, Alain Robbe-Grillet campé en boy-scout par Jean-Charles Clichet et Marguerite Duras en pantalon rouge (Anaïs Demoustier).
Quant au timide Claude Mauriac, il est ressuscité par Julien Honoré. Michel Butor est lui, interprété par Brigitte Catillon, l’aînée de la bande, alors qu’il est loin d’être le plus âgé du groupe. Christophe Honoré s’est donné toute liberté et on a la surprise de voir apparaître, vers la fin, Françoise Sagan, figure de l’anti-Nouveau Roman, incarnée par Benjamin Wangermeee qui, auparavant, jouait Claude Ollier. Se venge-t-il ainsi de son exclusion…
La seule liberté que Christophe Honoré ne s’est pas octroyée: faire interpréter Samuel Beckett. Mais son visage hante le spectacle, en photo sur la porte du bureau de Jérôme Lindon. Beckett était jalousé par les autres, parce qu’il lui vouait un culte démesuré et qu’il le citait souvent en exemple… On ne touche pas au roi des écrivains…
On l’aura compris, Nouveau Roman est un voyage au long cours dont seuls les spectateurs avertis profiteront. Pour ceux qui ne veulent pas tenter l’aventure, mieux vaut s’abstenir!
Mireille Davidovici
Théâtre de la Colline, rue Malte-Brun, Paris XX ème, jusqu’au 9 décembre. T. : 01-44-62-52-52.
Théâtre Liberté de Toulon du 10 au 12 janvier. T. : 04-98-00-56. Théâtre de l’Archipel à Perpignan du 17 au 18 janvier T. : 04-68-62-62-00