L’affaire de l’esclave Furcy
L’affaire de l’esclave Furcy, de Mohammed Aïssaoui, adaptation et mise en scène d’Hassane Kassi Kouyaté et Patrick Le Mauff.
C’est la bande-son (les aboiements d’une meute de chiens) qui donne le ton, avec la traque d’un homme noir qui va en mourir. L’action se passe à l’Ile de la Réunion, alors appelée Ile Bourbon, au début du XIXème siècle. Furcy, jeune homme noir et esclave exemplaire, assistait à la scène, de l’autre côté de la Rivière-des-Pluies, et le cri de cet homme le hanta.Le récit, porté par Hassane K. Kouyaté, seul en scène, retrace le combat livré par Furcy pour faire entendre le droit et faire reconnaître son affranchissement : démontrer qu’il est un homme libre parce qu’il est né libre.
Son procès durera vingt-sept ans. « C’est le plus long procès jamais intenté par un esclave à son maître, trente ans avant l’abolition de 1848 » , dit Mohammed Aïssaoui, l’auteur de cette extraordinaire enquête, qu’il a reconstituée à partir d’archives laissées à l’abandon (lettres manuscrites et plaidoiries), et pour laquelle il a obtenu le Prix Renaudot Essai, en 2010.
L’histoire valait d’être dite: c’est un choc, jusque dans son vocabulaire: Madeleine, la mère de Furcy, esclave née sur les bords du Gange, fut vendue à une religieuse du nom de Dispense, à l’âge de neuf ans : « Elle n’avait presque rien coûté » et passa plusieurs années à Lorient avant que Dispense ne la raccompagne dans son pays, via l’Ile Bourbon où la religieuse tomba malade. Sentant sa mort prochaine, elle donna Madeleine à une certaine Mme Routier, sous réserve qu’elle l’affranchisse, ce qu’elle fit, vingt ans plus tard, sans que personne ne le sache vraiment.
Mais, avant de mourir, en 1808, elle avait organisé sa succession avec minutie, léguant Furcy et sa mère à Joseph Lory, son neveu et gendre, un homme puissant. Sa lettre-testament, s’inscrit sur écran, comme d’autres documents, à certains moments du spectacle, dont les titres des chapitres et quelques dessins. La sœur de Furcy, Constance, une sang-mêlée, avait été rachetée comme il était souvent d’usage, par le colon qui l’avait conçue avec une esclave, sa mère: elle était donc affranchie. Elle avait ensuite acquis un nom, en se mariant : elle était Mme Jean-Baptiste, « une femme de couleur libre, une quarteronne : mulâtre, marron, quarteron, tous ces termes avaient été créés pour désigner des animaux »…
A la mort de leur mère, Furcy et Constance, héritent de trois malles: deux, qu’on leur retire, sont pleines de vêtement amoureusement confectionnés par leur mère, la troisième qu’on leur laisse, pleine de papiers et jugée peu importante, car Madeleine était analphabète. Or, au fond de cette malle, Constance qui, elle, savait lire et écrire et l’avait appris à son frère, trouve l’acte d’affranchissement de leur mère, datant de 1789… Des effluves, venant de France, laissaient entendre quelques bruits de révolte.
Furcy avait trois ans et aurait dû aussi être libre. Ils trouvent également dans cette malle, un épais dossier pour son affranchissement, qui donne les clés de la situation : » Madeleine avait consulté un homme de loi qui l’avait informée que, selon la réglementation, Joseph Lory lui devait dix-neuf ans d’indemnités, des « arrérages »selon son expression, pour avoir été maintenue en esclavage ». Elle était allée trouver son maître, lui avait proposé d’annuler ces indemnités contre la liberté de son fils. Joseph Lory, leur « propriétaire », avait menacé de les tuer, alors » elle opposa le silence à l’injustice ».
Furcy s’adresse alors au procureur général de la Cour royale de Saint-Denis, Gilbert Boucher, demandant l’application de la loi. Avec l’aide de son substitut, Jacques Sully -Brunet, le procureur, conscient des risques qu’il encourait, décide d’aider Furcy : » Qu’est-ce qui pousse un homme à tendre la main à un autre ? Un regard, une pensée suffit parfois. Presque rien. Gilbert Boucher n’hésita pas une seconde « . Il envoya à Lory une Notification, qui le mit hors de lui. Pour réponse, il accusa Furcy de rébellion, et le fit arrêter avec force humiliation. Le puissant propriétaire se fit appuyer par le non-moins puissant Debayssayns de Richemond, riche sucrier qui faisait office de commissaire général-ordonnateur de l’Ile, et qui avait fait rétablir l’esclavage sur l’Ile, en 1802.
A partir de là, toutes les compromissions se mirent en place au Tribunal de Saint-Denis. Furcy fut ballotté de procès, en Cour d’appel, puis en Cour de cassation à Paris, où s’était même rendu le procureur Boucher. « Tout le monde le savait, il faudrait un miracle pour que la Cour reconnaisse des droits à l’esclave « .
Furcy puisait sa force dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il serrait dans ses mains et dans l’engagement du procureur et de son substitut qui, personnellement, le payèrent cher: le premier fut limogé, le second, révoqué!
Mais Furcy devint une figure emblématique pour tous les « noirs de pioche »qui, comme lui, étaient privés de liberté. Par peur de la contagion, au cœur de la bataille juridique, Furcy est à nouveau vendu, pour quelques sept cents piastres, à une famille de L’Ile de France, (l’actuelle Ile Maurice) et y restera de 1818 à 1836.
Beaucoup d’inconnues demeurent sur ces années d’absence.L’auteur, Mohammed Aïssaoui, s’est penché sur des courriers retrouvés entre Furcy et l’ex-procureur Boucher. Il note que Furcy, sous administration anglaise à Maurice, qui fait de lui un…. meuble et met en défaut son propriétaire, sera émancipé en 1829, qu’il se mit à son compte comme confiseur, mais qu’il poursuivra, avec détermination, son combat pour la liberté absolue, à la recherche des papiers lui donnant une identité.
Le spectacle se termine sur le texte le plus important retrouvé par l’auteur : la plaidoirie de Maître Thureau lors du jugement de la Cour royale, le 23 décembre 1843, en présence de Furcy, après renvoi de la Cour de cassation. Elle fut des plus attendues et remarquées, mais le doute demeura, jusqu’à la lecture du verdict, par le Président. D’une voix sûre et qui ne prêtait à aucune équivoque, celui-ci affirma : « Sur la base de toutes ces considérations… La Cour dit que Furcy est né en état de liberté ». Furcy était donc libre, et refusa les dix-mille francs de dommages et intérêts qui lui étaient octroyés. On ne sait s’il était encore en vie le 20 décembre 1848, lors de l’abolition de l’esclavage, ni quand il mourut.
Conteur, acteur et metteur en scène, Kouyaté a choisi la posture du conteur, avec, autour de lui, une passerelle de bois, et, au centre une sorte de terre noire, volcanique. L’histoire, dans sa complexité, ne permet pas de repérer précisément, les géographies de cet espace, indéterminé. Au fond, des illustrations s’affichent sur le cyclo.
Le prologue, présentant l’auteur et la démarche du livre, introduit le spectacle, et la conclusion, qui donne lecture du verdict et des derniers moments avant le verdict , sortent l’acteur du récit, donc du cercle, pour parler au nom de l’auteur.
Il y a ce jeu entre le dedans et le dehors, qui existe déjà dans l’écriture et aurait pu être davantage exploré, et l’hésitation entre le conte et le théâtre donne l’impression de quelque chose d’inabouti. Sans doute, Hassane K. Kouyaté aurait-il intérêt à remettre son destin dans les mains et la lecture d’un metteur en scène, totalement: il aurait tout à y gagner. Nous sommes là à mi-chemin, même si l’on a envie de dire : qu’importe ! Par l’aspect documentaire, le spectacle nous donne des informations sur des pans de notre histoire colonisatrice, dont on a si peu parlé, en termes d’anéantissement, physique et moral.
Brigitte Rémer
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