Hans-Walter Müller et l’Architecture de la disparition
Hans-Water Müller et l’Architecture de la disparition par Alain Charre.
« L’air est un corps » ainsi commence Le livre des appareils pneumatiques et des machines hydrauliques, le plus ancien traité de physique qui nous soit parvenu, écrit par Philon de Byzance au troisième siècle de notre ère*, rappelle justement Alain Charre, où sont répertoriées des multitudes de combinaisons entre les flux hydrauliques et les dynamiques constructives de l’air.
Cet historien de l’architecture moderne et contemporaine a raison de faire le pont entre les recherches sur la mécanique des fluides qui préoccupait déjà les savants de l’Antiquité et celles de l’ingénieur anglais, Frederik William Lanchester, qui inventa la célèbre voiture voiture Daimler mais aussi dès 1917, il y a donc un siècle, les premières structures gonflables, même si les techniques de l’époque ne permettaient pas encore d’envisager une application pratique en architecture.
Et il faudra attendre les années 40 pour qu’un architecte américain, Walter Bird crée une société la Birdair Structures qui construisit le fameux « radôme » destiné à protéger la première antenne de télévision transatlantique dans le village breton de Pleumeur-Bodou en 1962. Suivront d’autres structures gonflables notamment à l’Exposition universelle d’Osaka, à Pontiac dans le Michigan, mais aussi à Nîmes pour couvrir provisoirement les arènes en 88.
Hans-Walter Muller, formé à l’école polytechnique de Darmstadt, est à la fois ingénieur et architecte; nous avions déjà rencontré en 70 où il fréquentait les milieux de l’avant-garde des arts plastiques et vivait encore à l’époque dans un grand loft à La Plaine Saint-Denis. Mûller comprit très vite les avantages multiples de ces structures gonflables dont on connaît le succès actuel en termes de salles de spectacle.
H. W. Müller, de façon géniale, se lança dans la conception de volumes qui n’avaient plus besoin de filins ni poutrelles métalliques, juste d’air soufflé et qui étaient capables en plus d’affronter des vents violents. Volumes fragiles sans doute mais, comme le souligne très bien Alain Charre, du fait de cette fragilité, retenant sans doute le geste destructeur d’un vandale potentiel.
Alain Charre relève que cette architecture remet en cause et de façon radicale deux paramètres essentiels: l’opposition entre dehors et dedans, mais surtout, et davantage peut-être, l’absence de murs porteurs ou non qui « dissipe les certitudes et relève l’éventualité de la disparition ». Ce que laissait déjà présager des architectures conçues au 19 ème siècle comme le Crystal Palace anglais de Paxton, cet assemblage de verre et de fer, à la fois léger et lumineux, comme ensuite le Grand-Palais à Paris.
En effet, la civilisation occidentale a toujours construit des maisons, des palais, des cathédrales, et des lieux de spectacles de forme et d’aspect tout à fait différents mais toujours fondés sur la notion de durée. Le dur en construction- la pierre, le bois, le torchis,la brique, le fer, et la durée en termes d’années, sont niés ipso facto dans l’ architecture gonflable, mais cela ne peut pas nous interroger.
Pour Alain Charre, ce recours au gonflable « représente même une étape à méditer, à l’aube de vastes migrations dues aux guerres et au réchauffement climatique ». Il faudrait ajouter comment la mise en place d’une simple membrane peut nous renvoyer à une autre conception de la vie en société, voire à un nomadisme que nous refusons encore mentalement. Entre la tente du bédouin et une structure gonflable comme habite maintenant H.W. Müller près de Paris, où est finalement la différence, sinon dans le mode de vie individuel et en société…
Cela peut faire froid dans le dos que cette nouvelle façon de repenser un modèle de l’habitat mais on est bien obligé de constater que nos petits-enfants n’habiteront sans doute plus toujours dans des immeubles comme ceux du centre historique de Paris et des grandes villes, ou dans les tours de banlieue… Peut-être pas non plus dans des structures gonflables,très gourmandes d’espace au sol mais dont l’invention laisse quand même présager des changements dans l’habitat, ne serait qu’à titre temporaire…
On ne peut tout détailler de ce livre très riche où Alain Charre se livre à un long et patient travail d’analyse de cette nouvelle architecture et il y a de nombreuses et bonnes photos.L’enseignant d’histoire de l’architecture, qu’il n’oublie jamais d’être, explique très bien que les architectes/ingénieurs comme H. W. Müller ont toujours dû « trouver la solution juste flatteuse et confortable », comme cette merveilleuse et grande bulle blanche du théâtre itinérant qu’il avait conçue pour la compagnie des Arts Sauts.
»Qu’est-ce qu’habiter la Terre sans laisser de traces? « Dramatique question, qui, dit Charre, avait été déjà pressentie par Walter Benjamin qui voyait venir « l’homme sans traces ». Cette grande et belle réflexion sur cette architecture de la disparition est un excellent outil de réflexion, même et surtout pour des gens qui n’ont pas une formation d’architecte, comme entre autres, les femmes et les hommes du spectacle vivant mais aussi les politiques…
Philippe du Vignal
*Consultable en ligne.
Editions Archibooks, collection crossborders sous la direction de Martine Bouchier. 19€