Maître Puntila et son valet Matti

Maître Puntila de Bertolt Brecht, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

   Cela se passe dans ce beau théâtre, dont la rénovation pleinement réussie a été menée à bien par Marc Jeancourt, qui dirige aussi l’Espace Cirque d’Antony. Guy-Pierre Couleau, après plus d’une vingtaine de mises en scène et plusieurs résidences à Gap et dans la région  Poitou-Charente, a été nommé directeur de la Comédie de l’Est, à Colmar. Il a rassemblé une belle équipe pour ce Maître Puntila qui reste d’une actualité étonnante: en particulier, Luc-Antoine Diquero, discret et malicieux Matti, Pierre-Alain Chapuis, Puntila, maître féroce quand il est sobre, et généreux ami de ses domestiques  quand il est ivre , François Kergourlay en avocat véreux et Serge Tranvouez en juge…
Brecht avait écrit cette pièce en Finlande en 1940, et elle avait été créée à Zurich en 1948. Puntila est un propriétaire terrien dont l’alcoolisme notoire transforme étrangement la personnalité. Son chauffeur et valet Matti en fait les frais mais sait tirer un parti habile des ivresses quotidiennes de son maître. Il parvient à lui faire embaucher à nouveau un métayer injustement licencié, se met presque en situation d’épouser sa fille, dont les fiançailles avec un attaché prétentieux vont échouer de façon lamentable. Attirée par Matti, elle échouera quand même à l’examen qu’elle doit subir pour devenir la femme d’un chauffeur.Mené tambour battant dans une forêt d’écrans blancs, avec des songs interprétés en allemand, ce Maître Puntila séduit une salle pleine de jeunes, étrangement silencieux pendant la représentation.

Edith Rappoport

Théâtre de la Piscine de Chatenay Malabry jusqu’au 25 novembre.
www.theatrefirmingémier-lapiscine.fr


Archive pour novembre, 2012

Les Trois Soeurs

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©VICTOR VASILIEV

Les  Trois Soeurs d’Anton Tchekhov, mise en scène de Lev Dodine.

La pièce a été créée en 1901, soit trois ans avant la mort de Tchekov, et elle est devenue une œuvre culte, souvent revisitée, dans le monde entier avec des versions pauvres, riches modernes, ou traditionnelles, le panel est très large. En France,  elle avait été créée par Georges Pitoëff en 1929, puis, entre autres, par André Barsacq avec trois vraies sœurs: Odile Versois, Hélène Vallier et Marina Vlady (67). Comme le fit, il y a quelques années , Volodia Serre qui jouait aussi le rôle d’André avec ses trois sœurs. Il y eut aussi la version très personnelle mais tout à fait intéressante de Matthias Langhoff (94), celle de Piotr Fomenko (2004), de Stéphane Braunschweig,  d’Alain Françon (2010), et il ne se passe pas une année sans que la pièce ne  soit montée plusieurs fois en France…
C’est dire qu’était attendue, venue tout droit de Russie, la mise en scène de Lev Dodine, directeur du Théâtre Maly de Saint-Petersbourg depuis 83, metteur en scène et pédagogue exemplaire, qui créa, entre autres,  Frères et sœurs d’Abramov, mais aussi Les Etoiles dans le Ciel du matin  et surtout le formidable Gaudeamus d’après Bataillon de construction de SergueÏ Kalédine, et plus récemment: La Cerisaie, La Mouette,  et Oncle Vania qu’on avait pu voir à Bobigny.
Les Trois Sœurs, c’est, dit Lev Dodine: « un pan entier de vie vu par Tchekhov à travers sa personnalité, son imagination, la perception douloureuse de sa maladie, sa vision à la fois sceptique et optimiste de la vie telle qu’elle nous échappe parfois, indépendamment de nos désirs et de nos aspirations. Tchekhov évoque le poids de la vie et du destin auquel il faut résister tout en sachant que nous perdons ce combat. Il parle avec ferveur du formidable désespoir de notre vie, de la divergence tragique entre nos désirs et la réalité « .

Les Trois Sœurs, c’est avant tout un moment de l’histoire  de trois jeunes femmes installées dans une province éloignée de Moscou, Moscou la ville adorée où elle ont passé leur enfance, dont elles parlent avec nostalgie et qu’elles veulent à tout prix retrouver. Olga  Prozorova n’a que 28 ans, professeur puis directrice de lycée, elle  a remplacé un peu ldans la famille eur mère décédée. Leur père est mort,  lui, il y a juste un an au début de la pièce. Macha (25 ans), elle, s’est mariée avec un professeur de lycée insignifiant et  va vite tomber amoureuse du lieutenant-colonel Verchinine (42 ans), qui commande un régiment stationné dans la ville de 100.000 habitants. Les officiers de ce régiment forment une sorte d’intelligentzia locale que l’on admire, et font presque partie de la famille Prozorov.
Verchinine, lui,  a connu la famille Prozorov autrefois et est marié à une femme dépressive qui lui pourrit la vie en tentant régulièrement de de suicider.
Quant à Irina, la plus jeune (20 ans), elle  travaille sans  goût au bureau du télégraphe  et acceptera d’épouser le lieutenant Touzenbach qu’elle n’aime pas. Leur frère Andreï, veut , dit-il, devenir professeur d’université mais perd au jeu  jusqu’à hypothéquer la maison familiale; il va se marier avec Natacha qui va vite faire  la loi dans la maison Prozorov et chasser la pauvre vieille nourrice Anfissa, depuis trente ans dans la famille, au motif qu’elle ne travaille plus et qu’elle  leur coûte cher.
Il y a aussi le capitaine Saliony, aussi brutal que vulgaire, qui se compare au grand écrivain Lermontov;  amoureux fou  d’Irina, il tuera en duel son rival le pauvre Touzenbach.

Tcheboutykine, 60 ans, un  médecin militaire, lui, attend sa retraite et  noie dans l’alcool son désespoir de n’avoir pu sauver une patiente. Et  Fetodik, un sous-lieutenant, amoureux fou d’Irina qui  lui offre des cadeaux; Feraponte, lui , est  un vieux portier sourd, qui porte les messages, parfois en provenance de Moscou.
La pièce se déroule sur deux ans. La mise en scène de Lev Dodine est très respectueuse des didascalies données par Techekov, en particulier pour les bruits et la musique comme pour les costumes. Moins pour la scénographie un peu prétentieuse il y a bien la grande table nappée de blanc pour le déjeuner derrière  la façade en bois d’une  maison ,suspendu a des rails et qui bouge!  dès qu’un des personnages s’assied sur le rebord  d’une de ces fenêtres  sinistres sans vitres de cette datcha. Il y a aussi un escalier de quelques marches où la plupart des scènes vont se jouer, et qui descend vers la salle.
La façade de la maison avancera deux fois et resserra l’espace surtout à la fin.Ce type de scénographie dehors/dedans, moderne/classique  qui fait un peu branché, ne fonctionne pas vraiment bien. Il implique  en effet un jeu assez statique, et  comme l’éclairage est des plus limités, excepté dans les premiers rangs, on a peine à voir vraiment les personnages. On ne comprend pas  non plus pourquoi Lev Dodine a tiré ces Trois Sœurs plutôt du côté de la noirceur permanente, la fois physique et morale.

Nous étions assis à un rang un peu en hauteur, et  la pièce nous a semblé bien loin ! Redescendu plus bas après l’entracte, même si on a du mal cette fois à lire le sur-titrage,  les personnages nous sont alors d’une grande proximité et toutes les scènes semblent être jouées en gros plan. Les acteurs, tous exceptionnels de vérité dès la première seconde où ils entrent en scène possèdent alors  une présence fabuleuse. En particulier, Irina Titichina (Olga), Elena Kalinina (Macha) et  Ekaterina (Irina) et Alexander Zavaiov (Tcheboutikine). La dernière scène surtout, avec cette vague de tristesse qui emmène Irina, quand elle apprend la mort de Touzenbach, et Macha, désespérée de voir partir Verchinine qui va quitter la ville à jamais, pendant que Tcheboutykine chantonne cyniquement, est impressionnante et on en a les larmes aux yeux.
Ce qui suppose une direction d’acteurs, une unité dans le jeu et une distribution évidemment très soignées. Après avoir vu une bonne quinzaine de Trois Sœurs en français comme en russe, c’est,  de ce point de vue, la plus réussie.  Et on chercherait  en vain un moment de faiblesse, sauf peut-être la scène du samovar, ici  presque évacuée pour des raisons mystérieuses qui tiennent sans doute à la scénographie. Et, quand on est près de la scène, la pièce est comme neuve, à tel point que cela devient, par moments, presque magique:  Lev Dodine sait dire comme personne les illusions perdues et les amours frappés au coin du destin malheureux.
Comme nous le faisait justement remarquer Christine Friedel, il réussit à mettre en valeur le texte de Tchekhov comme on ne l’entend pas  souvent  dans les autres mises en scène des Trois Sœurs. Quand, par exemple, Koulyguine, le mari de Natacha, avoue à Macha que c’est elle qu’il aurait dû épouser. Et les trois heures passent  bien grâce surtout, redisons-le, au jeu des acteurs, et malgré  un rythme quand même trop lent dans la première partie avant l’entracte.

Au total, une mise en scène  quelque peu décevante-on a connu Lev Dodine mieux inspiré-mais cela fait toujours du bien de retrouver un texte aussi fabuleux en langue originale qui  nous parle encore plus de cent ans après sa création, et servi par des comédiens aussi humbles qu’efficaces.
Alors à voir? Oui, mais sans doute plus pour l’interprétation que pour la mise en scène, mais, après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on voit une pièce de Tchekhov jouée par des comédiens russes aussi exceptionnels. Mais on risque d’être un peu déçu,si on n’a jamais vu la pièce et nombre de spectateurs disaient  être venus surtout pour voir une mise en scène du grand Dodine.
Nous vous recommandons en tout cas  d’essayer vraiment d’être au plus près du plateau. Les Trois Sœurs, et on a encore la preuve-est une pièce  fondée sur une certaine intimité avec les personnages, faite pour des salles plus petites, où l’on peut avoir une véritable proximité avec les personnages…

Philippe du Vignal

MC 93 de Bobigny jusqu’au 21 novembre à 20 heures.

 

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Le point de vue d’Anastasia Patts, doctorante russe à Paris:

  Lev Dodine, devenu le seul roi de la scène russe après le décès de Piotr Fomenko en août 2012, met en scène cette pièce pour la première fois, avec une scénographie d’Alexandre Borovski, son collaborateur depuis toujours qui a recréé l’ espace morne d’une propriété en train de se détruire. (Pourtant, on n’est pas dans La Cerisaie!). Soit la façade d’une maison domaniale  en bois  que l’on aurait  abandonnée, avec cinq fenêtres au premier étage, comme des yeux crevés, qui ouvrent sur un abîme noir où la lumière n’apparaît presque jamais sauf un scintillement de bougies allumées. Image d’isolement  de cette maison où il n’y a plus de vie malgré la présence de ses habitants…
Comme dans le théâtre classique russe, les comédiens se retrouvent très souvent en train de parler le regard tourné vers le public. Pas d’accompagnement musical, à part La Valse sentimentale de Tchaïkovski, une vieille romance russe et un fragment de Vivaldi! Lev Dodine semble insister sur le vide de cet espace. qui semble exhaler une fatigue absolue et  une dévastation intérieure qui perdureraient depuis longtemps.
Apathie, existence perdue et résignation: la scène devient ainsi la métaphore de l’intérieur de personnages anéantis mais qui continuent à vivre machinalement, avec une âme déjà morte qui ne sera plus jamais animée. Les célèbres phrases de la pièce: “ A Moscou”, et “ Il faut travailler ” ne sont alors rien d’autre que de vaines tentatives pour s’envoler quand on n’a pas d’ailes.
Lev Dodine met en valeur les silences tchekhoviens surgissant entre les phrases sincères, comme des cris d’âme qui restent sans réponse.Les acteurs jouent bien, d’après la méthode Stanislavski.Mais, si  Lev Dodine  veut représenter une absence de vie, sa mise en scène,  elle, manque malheureusement quelque peu de vitalité.

Anastasia Patts

Les trois petits Cochons

Les Trois Petits Cochons, adaptation de Marcio Abreu et Thomas Quillardet, mise en scène de Thomas Quillardet.

Les trois petits Cochons f-340-509cf295334aeThomas Quillardet avait mis en scène avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité, Le Repas de Valère Novarina et Villégiature d’après Goldoni et s’était attaqué de façon moins heureuse aux Autonautes d’après Julio Cortazar et Carol Dunlop. (voir les compte-rendus dans Le Théâtre du Blog).
Le conte des Trois petits Cochons remonte sans doute au Moyen-Age et a  été, au vingtième siècle, plus connu par le court-métrage de Walt Disney (1933) qui, de façon assez puritaine,  avait évacué la mort deux premiers petits cochons et celle du loup, ce qui rendait  le récit  assez anodin. Tex Avery, plus finement, en 42,  inventa un grand méchant loup qui avait la tête d’Hitler…

Thomas Quillardet a, lui, décidé de revenir à une  version  où la mort comme le deuil sont tout à fait présents mais  conjugués à un burlesque assumé. Les trois petits cochons partent ainsi à la découverte d’un monde inconnu où le danger et le fantastique font partie de la vie quotidienne.
Il s’agit d’une maman cochon qui a décidé d’envoyer ses enfants loin de la ferme où ils ont toujours vécu avec elle pour qu’ils voient du pays. Sans doute pour qu’ils échappent au couteau du charcutier qui  s’apprête déjà à transformer la truie en boudin et saucissons.  L’histoire ici, à la fois contée et jouée ,n’échappe pas à la règle du voyage initiatique qui est celle de très nombreux contes pour enfants; on  notera qu’il n’y a pas de père dans cette curieuse famille!
Ils vont alors beaucoup marcher dans des contrées lointaines et se construire chacun une maison en paille grâce à Claude,  un homme qui deviendra leur ami et qui leur donnera la matière première.
Mais le loup va  les détruire toutes les trois, et manger le premier petit cochon; les deux autres se construiront une vraie maison mais en bois, que le loup détruira en soufflant dessus aussi et dévorera le deuxième petit cochon. Le troisième petit cochon, instruit par ce sinistre voyage, se fera une maison en plaques de fer. Le loup, qui voulait absolument entrer, passera par la cheminée mais tombera dans la grande marmite de soupe où ils s’ébouillantera… et le seul petit cochon resté vivant aura ainsi une délicieuse soupe toute prête. Cruel mais bien vu!
 Il y a dans la salle,  des adultes mais aussi un nombre de petits enfants (cinq à six ans)tout à fait impressionnés par cette remarquable mise en scène, pleine  d’humour qui peut se lire à plusieurs niveaux, et dont la direction d’acteurs est exemplaire.
C’est Bakary Sangaré (la Mère et Claude), et Serge Bagdassarian (le méchant charcutier puis Le Loup), et Julie Sicard, Stéphane Varupenne et Marion  Malenfant qui incarnent les trois petits cochons, habillés de patauguas, lunettes, chaussettes blanches. ils portent tous, pour la maman une grand robe d’autrefois, et  un bonnet de coton-cela fait penser aux dessins de Beatrix Potter, et pour les autres des chemisettes à carreaux.
Les cinq acteurs ont une formidable présence et  ont visiblement plaisir à jouer ensemble. l y a,  entre autres, une très belle scène où le grand méchant loup arrive avec un caddie plein d’accessoires et de disques qu’il veut faire entendre aux trois petits cochons, pour les séduire, et il écarte  ceux dont il  ne veut pas comme ces Fables de la Fontaine dites par les acteurs de la Comédie-Française,  avant de prendre un souffleur à feuilles mortes et de faire s’envoler les trois maisons de paille, au son d’un orchestre rock. Ou la dernière scène du spectacle quand  une voix off dit:  » Par respect pour  nos plus jeunes spectateurs, nous n’avons pas voulu montrer la mort du grand méchant loup ».  Ce qui était en fait difficile. On voit alors  Serge Bagdassarian, affalé dans la marmite et le dernier des petits cochons savourant une louche de ce délicieux potage.

Le spectacle est ainsi fait de multiples et délicieuses  touches d’humour, par exemple quand la mère raconte l’histoire qui commence à avoir lieu devant nous, ou quand le grand méchant loup dit qu’il était triste quand il a dévoré la sœur du petit cochon. On oubliera la seconde maison de bois  faite de décors à l’envers: astucieux mais pas très convaincant, et les chansons… en anglais.
Mais, à ces bémols près, quel merveilleux spectacle, à la fois dénué de prétention  et d’une grande précision, et qui dit beaucoup de choses aux enfants émerveillés par  les personnages fantastiques de ce conte cruel et burlesque à la fois, qui remue aussi les adultes.

Philippe du Vignal

Comédie-Française. Studio-Théâtre à 18h 30 jusqu’au 30 décembre. (Attention la jauge est très limitée et  plusieurs représentations affichent déjà complet)

Antigone

Antigone de Sophocle, par le Théâtre National Palestinien, texte arabe d’Abdel Rahman Badawi, texte français et mise en scène d’Adel Hakim, musiques du trio Joubran.

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©Nabil Boutros

 (« Allez voir absolument ce spectacle et vous redécouvrirez Sophocle »)écrivait Philippe du Vignal, qui   parlait du contexte dans lequel travaillent les comédiens, entre Jérusalem et la Cisjordanie : un théâtre sous occupation. La reprise vaut d’être signalée, elle est suivie d’une tournée en France et accompagnée d’une petite forme : Chroniques de la vie palestinienne  (Théâtre du Blog du 27 mars).
Antigone et Ismène (Shaden Salim et Yasmin Hamaar) de noir vêtues, font face aux cadavres de leurs frères, Polynice et Etéocle, drapés de linceuls blancs, morts de s’être entre-déchirés. Lamentations, incantations et rituel de mort devant Créon (Hussam Abu Eisheh), leur oncle et devant le Chœur aux costumes anthracite, sur une musique des profondeurs, composée par le Trio Joubran.Antigone informe sa sœur de l’ordre édicté par Créon, de refuser sépulture à Polynice, perturbateur dans la Cité et lui livre sa volonté d’enfreindre l’ordre. Ismène tente de l’en dissuader. Le Chœur, conteur et commentateur, relate les combats, puis les conditions de la victoire, dans une prosodie épique proche de la plus ardente geste hilalienne.
Créon, en un discours populiste digne de certains chefs d’Etat bien contemporains, s’autoproclame Gouverneur de Thèbes. Un garde (Daoud Toutah) lui rapporte que ses ordres ont été transgressés, on lui donne pour mission de rechercher le coupable : Antigone est amenée, enchaînée, et brave son oncle de manière frontale. Inflexible et tyrannique, celui-ci lui promet la mort : Je regarde la mort comme un bienfait, répond-elle, dans sa beauté provocatrice.
Tirésias, devin en principe écouté, (Mahmoud Awad) tente d’inquiéter Créon et l’invite à plus d’humanité, en vain. Hémon, fils du tyran et bien-aimé d’Antigone qu’il a le projet d’épouser, (Alaa Abu Garbieh), plaide auprès de son père : Calme ta colère, reviens sur ta décision mais se heurte à son obstination. Créon délivre  sa sentence : Antigone sera emmurée vivante, et  joint l’acte à la parole. Le messager, comme oiseau de mauvais augure (Kamel Al Basha), témoigne du malheur, alors que Créon envisageait de revenir sur sa décision. Mais trop tard, Antigone s’est pendue et Hémon, à sa vue, s’est transpercé d’un glaive.  Quand elle entend les rumeurs de la ville, Eurydice, épouse de Créon, se donne aussi la mort. Les oiseaux ne chantent plus et Thèbes est en souffrance, la malédiction est sur elle, de génération en génération.
Alors, la voix de Mahmoud Darwich : Sur cette terre… il y a ce qui mérite vie.. nous ramène aux tragédies d’aujourd’hui auxquelles Sophocle se superpose. Et la porte se referme sur Antigone, vêtue de blanc et couverte d’un voile noir, image forte. L’espace sacré s’estompe et le mur creusé de meurtrières, laissant filtrer la lumière, mur support des écritures, grecque, arabe et française qui s’affichent, (scénographie et lumières d’Yves Collet) retourne au néant.

Brigitte Rémer

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez, du 8 novembre au 5 décembre 2012, puis en tournée : 26 avril 2013, Forum Culturel de Blanc-Mesnil – 30 avril, 2 et 3 mai, Centre Dramatique Régional de Tours – 7 mai, Théâtre Liberté de Toulon – 14 au 17 mai, Taps Scala de Strasbourg – 28 au 30 mai, Nouveau Théâtre de Besançon.

Et aussi, Chroniques de la vie palestinienne : 24 novembre, Ivry/Espace Robespierre – 21 au 26 mai 2013, Maison des Métallos.

 

 

 

 

 

Les voyages du comédien

Les Voyages du comédien de Georges Banu.

Les voyages du comédien dans analyse de livre 9782070138838-300x300Au film magnifique de Theo Angelopoulos,  Le Voyage des comédiens (1975), fait écho aujourd’hui Les Voyages du comédien, essai de Georges Banu – homme de théâtre français d’origine roumaine pour lequel les arcanes du théâtre d’art de nos dernières décennies ne font pas mystère.
Pour le critique au regard aigu, » L’histoire de la scène moderne s’articule autour de ce Mur de théâtre à jamais intégré dans les esprits, fût-ce pour le défendre ou le combattre. Et cela mènera au dilemme, inlassablement relancé, du jeu  « de dos ou de face« . Comment appréhender l’acteur glissé dans l’enveloppe de son personnage comme dans un gant ?
Ce qui subjugue le spectateur  face à l’acteur sur  scène, c’est la constante liberté de ce dernier à casser et à fissurer le fameux pacte de clôture. C’est un acteur insoumis qui préfère les échanges furtifs avec le public, installant avec audace son « moi », là où on ne l’attendait pas. La loi de la séparation scène/salle n’est pas entièrement abolie mais l’acteur lui désobéit : » Comment rester insensible à ce frémissement d’un « moi » d’acteur qui s’agite et se montre, malgré l’autorité nullement rejetée du caractère à jouer ?  » Le spectateur éprouve un sentiment de complicité avec cette révolte sourde de l’acteur qui s’oblige à goûter à la liberté, quant au rôle, au metteur en scène, au public. Le voyage s’accomplit par étapes, de l’acteur européen à l’acteur oriental en passant par l’acteur étranger.
De Gérard Philipe à Sotigui Kouyaté,  Valérie Dréville ou André Wilms. L’analyse du corps, associé à l’âme de l’acteur, ouvre à un calcul de probabilités considérables. En 68, c’est le corps nu dans les mises en scène du théâtre  d’avant-garde qui surprenait le public, remplacé aujourd’hui par le corps travesti qui déstabilise , avec des interprètes comme Olivier Py, Michel Fau,  et des metteurs en scène comme Warlikowski… Par ailleurs, quand le corps maniériste exacerbe sa virtuosité, cela peut être un récital éblouissant : par exemple, Redjep Mitrovitsa dans Hernani,  mise en scène d’ Antoine Vitez, Isabelle Huppert dans Orlando, mise en scène de  Bob Wilson.
Quant aux corps fatigués d’acteurs mythiques, comme l’allemand Berhnard Minetti  décédé en 97, ou nos Michel Piccoli  et Jeanne Moreau, ils drainent sur le plateau une pléiade de personnages, tout en ressuscitant le passé du spectateur. L’acteur âgé confirme la persistance de la mémoire et le travail du temps dont il est l’allégorie scénique.
Georges Banu se fait le témoin artistique d’une existence qu’il arpente sur les chemins du théâtre, dans cet espace de l’entre-deux de la vie et du rêve, un territoire qui lui sied naturellement, sur les marges de la scène et du plateau, dans la salle encore ou près du foyer ensuite, pour converser avec les interprètes, metteurs en scène, auteurs, scénographes, musiciens ou bien traducteurs. Au service constant de l’art du théâtre.

 

Véronique Hotte

Gallimard. 17€

La Femme et le Travesti

La Femme et le Travesti de Chantal Aubry.

La Femme et le Travesti  dans analyse de livre aubry » Pas pour les machos » dit gentiment la dédicace. Donc, nous voilà prévenus, il va falloir, juste dans l’axe mettre les pieds là où il faut  dans un territoire à priori féministe bon teint . Disons tout de suite que c’est un livre tout à fait solide qui traite à  la fois de la tradition du travestissement dans le spectacle vivant, puis de l’acteur travesti en Occident et enfin, plus près de nous, du travestissement comme mode choisi de création artistique.
Cela signifie nombre d’univers souvent très éloignés les uns des autres avec, au départ, la notion de contrainte. Chantal Aubry, grande féministe,  a raison de souligner que le travestissement dans l’histoire de l’humanité à a commencé par « un clivage masculin/ féminin qui s’exprime par la domination masculine et l’appropriation par l’homme du corps de la femme, » (phénomène ajoute-t-elle,  particulièrement flagrant dans les sociétés désignées par les ethnologues comme patriarcales, soit celles du pourtour méditerranéen, du Moyen-Orient, de l’Inde, de la Chine et du Japon.

Avec comme conséquences, un travestissement à la fois obligatoire quand la femme veut sortir du périmètre qui lui est imposé: guerrière, écrivain…Et pour l’homme chaque fois qu’il lui faudra représenter une femme, que ce soit dans les rituels religieux et bien entendu  ensuite dans les spectacles avec,paradoxalement, une mise en valeur de la sublimation du corps féminin, alors qu’il est à priori exclu: Grèce antique, opéra chinois, danse indienne gotipua de l’Orissa, et bien entendu,  Shakespeare, etc… Ce qui  s’est révélé encore plus flagrant à l’époque moderne jusqu’à devenir une base de la subversion, et un genre qui a envahi le domaine artistique, qu’il s’agisse de spectacle vivant ou d’arts plastiques .
C’est le fil rouge de ce livre où l’auteur traite dans une suite de chapitres de l’histoire de ce travestissement; en particulier,  celle des onnagatas japonais « incarnation d’une féminité repensé par les hommes » selon la belle expression du  metteur en scène japonais Moriaki Watanabe; c’est dans le renouvellement de cette tradition que se situera Kazuo Ohno, un des fondateurs de la danse butô mort en 2004.
Chantal Aubry consacre aussi quelques pages à l’acteur chinois Mei lanfang que l’Occident et l’Amérique-en particulier des metteurs en scène, réalisateurs et théoriciens comme Chaplin, Meyerhold, Eisenstein, Piscator, Brecht et Craig-découvriront avec  délices dans les années 1930.

Chantal Aubry analyse aussi très bien les relations difficiles entres les deux sexes dans la Grèce antique, comme le révèle la mythologie avec ses délirantes histoires de dieux  nés hors mère comme Dionysos ou Athéna, dont on peut percevoir l’écho chez Eschyle  et Euripide. Une lecture féministe, comme le rappelle Chantal Aubry, à propos de celle de Sue Ellen Cas  dans Feminism and Theater,  considère  que,  dans son jugement à la fin de l’Orestie, quand  Athéna acquitte Oreste, elle « consacre la supériorité masculine et la mise en forme officielle de la misogynie, fondé sur la parentalité mâle ».On peut en effet se demander ce qui se serait passé si Oreste avait été du sexe opposé… Mais on n’est encore que dans une démocratie balbutiante, fondée en grande partie sur l’esclavage, et où la femme était avant tout considérée comme la reproductrice de l’espèce et où la prostitution faisait les délices des maris.
Chantal Aubry resitue  bien les choses à propos des Elizabéthains: Skakespeare bien entendu,  et le génial Marlowe: pas de suprises, on n’apprend que ce que  l’on sait déjà mais la relation, même rapidement traitée,  qu’elle établit avec des metteurs en scène contemporains comme Laurence Ollivier, Declan Donnellan ou Krysztof Warlikowski, 9782812604058-212x300 dans analyse de livreest tout à fait intéressante.
Comme l’est l’analyse de ce curieux héritage du travestissement, quand les actrices  ont eu enfin  droit de cité sur la scène européenne et  où les dramaturges comme Tirso de Molina ou Calderon de la Barca se font fait alors un plaisir de construire des intrigues à l’érotisme des plus ambigus.

Les chapitres: Du travesti contraint au travesti émancipateur  et Amazones et Bright Young People retracent  rapidement la vie de quelques unes des amazones qui se sont illustrées à la fin du 19ème siècle et au début du vingtième,  où le style de vêtement glisse   le plus souvent  vers ce que Chantal Aubry  appelle « un style d’élégance aujourd’hui complètement entré dans les mœurs ».
Enfin, pour clore ce livre, l’auteur consacre un chapitre sur le travestissement, qui opéra une belle  révolution dans le théâtre et la danse  des années 70: la matière on peut s’en douter, ne manque pas et faute de temps sans doute, c’est plus un survol des compagnies ou artistes, français ou étrangers qui  ont fait du travestissement un art à part entière comme les Cockettes ou le Theatre of Ridiculous de John Vaccaro à New York, ou en France les fameuses Mirabelles,  Copi, Arias ou Savary et plus tard, dans les années 90, Olivier Py, et Michel Fau.
Et en danse, Pina Bausch,  bien sûr, mais aussi Alain Buffard ou Marc Tompkins. On aurait aimé que ce chapitre,  soit plus fourni, puisque c’est une période que Chantal Aubry a bien connue quand elle était la responsable d’un service culturel au quotidien  La Croix mais bon…
En tout cas, le travestissement  a toujours été et restera, comme elle  le dit, « malgré l’opprobre, un vecteur de créativité qui a porté l’art et la théâtralité à un point d’incandescence », ce dont témoigne très bien  ce livre,  et c’est l’essentiel.  Et l’iconographie, à la fois riche et précise,  dûe à Eve Zheim,  est de tout premier ordre.

Au chapitre des inévitables réserves: des imprécisions dans les références, des orthographes différentes dans les noms propres,voire des constats historiques sans fondement sûr. Et un recours trop systématique aux adverbes de manière,  et dans les citations et  légendes de photos, à des adjectifs quelque peu excessifs. Et les Editions du Rouergue s’honoreraient de ne pas utiliser de police de caractères où le h et le k peuvent être facilement confondus, et où le chiffre zéro est rayé, ce qui est inutile et fatiguant.

Philippe du Vignal

Editions du Rouergue, 2012; ouvrage préparé avec le concours du Centre national du livre. 191 pages

La Supplication

La Supplication, Tchnernobyl, chronique du monde après l’apocalypse de Svetlana Alexievitch *, adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk

La Supplication supplication1Ils sont quatorze garçons et filles tout frais émoulus de l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Lille. De noir vêtus, ils se déploient en une longue et lente marche funèbre, chœur des rescapés de la plus grande catastrophe technologique du XXe siècle. Svetlana Alexievitch, biélorusse, a été irradiée, Tchernobyl c’est son histoire au même titre que celle de milliers victimes de «  cette guerre par-dessus les autres guerres » .
Comme elle l’a fait avec la guerre en Afghanistan pour Les Cercueils de Zinc, elle a enquêté, rencontré des habitants de Tchernobyl, des soldats et des ouvriers envoyés sur les lieux, qui témoignent de l’indicible, de l’invisible, de l’inconcevable. De ce qui est resté et reste encore un secret bien gardé. Elle a restitué leurs paroles. Et Stephanie Loïk les a portées au théâtre avec ses élèves.

Ici le théâtre se fait le porte- voix de ces « anonymes » et il se démarque d’un documentaire par une sa forme très stylisée.  Les acteurs ne jouent pas les personnages interviewés par Svetlana Alexievitch, le texte est distribué collectivement et ils se meuvent avec des gestes amples, vaste corps multiforme qui se contracte ou se dilate, troupe homogène d’où émerge des figures singulières. Une femme parle des particules de césium dans son jardin. Un soldat survivant du front d’Afghanistan raconte comment il s’est battu contre un ennemi d’autant plus redoutable qu’il est invisible, et une enseignante évoque les enfants pâles, sortes de mutants, imperméables à la poésie de Pouchkine. Une mère supplie que la médecine prenne comme cobaye sa petite fille née avec un corps sans orifices. Ce cortège de morts vivants défile pour témoigner devant une journaliste.

Le spectacle, composé au cordeau, chorégraphié au millimètre, et ponctué de chants russes, est d’une grande rigueur et d’une sombre énergie. Il permet d’apprécier une jeune troupe talentueuse, que le Théâtre du Nord accompagne et soutient au sortir de son école. Il incite aussi à lire le livre de Svetlana Alexievitch paru en 1997 (toujours interdit en Biélorussie paru aux éditions J.C. Lattès et J’ai lu, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain) ainsi que les Cercueils de Zinc publié en 1991 qui provoqua un véritable scandale dans son pays et Svetlana Alexievitch a été jugée à Minsk pour atteinte portée à la mémoire des soldats soviétiques.

Stéphanie Loïk qui revendique un « théâtre engagé  » dans une forme qu’elle « peaufine depuis des années », estime  qu’«il est important que ce soit par la bouche de jeunes acteurs que Tchernobyl soit dit ». Eux qui n’étaient pas nés le 26 avril 1986.

On peut regretter que le propos en fin de parcours prenne un tour didactique, alors que les paroles de ce drame humain vécu au quotidien sont déjà assez fortes pour alerter et inciter à se questionner sur le nucléaire, quand elles disent l’attitude révoltante des pouvoirs publics quels qu’ils soient à l’égard à des populations.

 

Mireille Davidovici

Théâtre de l’Atalante 7-26 novembre 2012, 10 place Charles Dullin 75018 Paris. Location : 0146061190
Anis gras, 30 novembre-8 décembre. Arcueil. Location :0149120329

Sallinger

Sallinger  de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Paul Desvaux et Céline Bodis.

De Salinger, nous conservons de très anciens souvenirs de L’Attrape-Coeur, publié en 1951, lu avec ravissement quelques années plus tard.   Bernard-Marie Koltès s’est emparé de son nom en redoublant le l, pour  le titre de cette pièce où il  peint la vie des pauvres émigrés sud-américains de New-York,  au moment de la guerre du Viet nam.
Ce spectacle-en espagnol surtitré-a été créé au Teatro San Martin de Buenos-Aires. Sur scène, trois containers,  dont l’un  s’ouvre pour laisser pénétrer un cortège funèbre  qui suit le cercueil du Rouquin ; le jeune homme s’est suicidé pour échapper à la guerre.  Sa veuve explose de chagrin sur le toit de la chapelle du défunt et son amie qui  tente de la rappeler à la raison, réussit quand même à la faire descendre à terre.
Dans un autre  container, on peut voir la famille du Rouquin,: une vieille mère attentive, un père prostré dans son fauteuil et désabusé quant à l’éducation à donner à ses enfants, un  jeune frère qui s’acoquine avec le voleur d’une grosse limousine, et une jeune sœur amoureuse de ce frère et désespérée à l’idée de le voir lui-aussi partir pour le Viet nam. Il y a une belle scène de jalousie, quand elle insulte la veuve du Rouquin en la traitant de grosse poule, alors qu’elle est ravissante.
Ce tableau de bas-fonds  est brossé avec énergie par des acteurs qui mâchent bien leur langue, dans une série de numéros plutôt solitaires, par exemple, quand Le Rouquin sort de son cercueil pour admonester son jeune frère et le faire partir  pour  l’armée. Mais, malgré un beau travail d’acteurs, les non-hispanophones souffrent des difficultés  à lire les surtitrages et de la durée du spectacle: deux heures vingt! Soit, comme souvent, vingt minutes de trop !

Edith Rappoport

Théâtre 71 de Malakoff, mardi et vendredi à 20 h 30, mercredi , jeudi, samedi à 19 h 30, dimanche à 16 h jusqu’au 24 novembre.
www.theatre71.com

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Dark Spring

Dark Spring, d’après Sombre printemps d’Unica Zürn, conception, adaptation et mise en scène de Bruno Geslin.

 

Qu’y aurait-il à commenter ? Ce que l’on entend, ce que l’on voit, c’est le sombre printemps d’Unica Zürn, la vision d’une vie explosée,  à la frontière de l’enfance, comme si tous les possibles avaient été vécus. Unica Zürn décrit les farouches désirs sexuels d’une petite fille, et sa passion amoureuse et fatale pour un homme vu à la piscine. Brûlée, consumée au feu de cette passion, quelle vie peut exercer une attraction aussi forte que la mort ?
Claude Degliame lit ce texte, devant un pupitre, puis un autre, le dit, l’écoute, l’attend. Elle le fait  avec une grande simplicité, rejoignant l’enfance qu’elle porte en elle, avec, en même temps, tous les rôles qu’elle a tenus et qui, eux, tiennent du fantasme. Ce corps-là, vêtu d’un simple robe noire, chaussé de godillots, elle l’a prêté à tout un pan de l’histoire du théâtre, audacieux, sensuel, direct, d’une force qu’on ne peut oublier et qui est là, maîtrisée, contenue dans sa voix. Elle peut être cette enfant qui a tout vécu.
L’image d’une jeune fille l’accompagne de temps en temps, presque illustrative. Surtout environnée par la musique du groupe Coming Soon, grave, presque religieuse dans son énergie juvénile. Et dans une scénographie  indiquant seulement l’espace parfois voilé du dire, dans une magnifique et sombre lumière, avec de très belles images  de plongeurs-oiseaux. Images fantasmées de la piscine de la petite fille, images des âmes volantes et de la mort : on est là dans un pure poésie visuelle.
Le très beau spectacle de Bruno Geslin est  repris au théâtre Paris-Villette. Malgré une inacceptable décision “d’en haut“ ( ? ) de fermer ce théâtre. Rappelons, encore et encore, que le théâtre Paris-Villette a été le creuset, l’écrin du meilleur de la création théâtrale de ces dernières années. On n’alignera pas les noms : allez-y, regardez les affiches qui récapitulent cette fabuleuse histoire, profitez de son sursis, et que les “décideurs“ capitulent, pour une fois, pour leur honneur et pour la très, très bonne cause de l’art du théâtre.

Christine Friedel

Théâtre Paris-Villette 01 40 03 72 23

http://www.dailymotion.com/video/xlzts3

Juste la fin du monde

Juste la Fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de  Serge Lipszyc.

Juste la fin du monde indexJean-Luc Lagarce est l’un des auteurs  français les plus joués aujourd’hui, devenant peu à peu un auteur populaire, lui qui, de son vivant, était plus reconnu pour ses mises en scènes de classiques que pour ses propres pièces.
Juste la fin du monde met en scène la visite manquée du fils aîné à sa famille : il vient annoncer sa mort prochaine, mais n’ose pas le faire ou n’y arrive pas, et repart oppressé par les petites querelles familiales et les grands malentendus.
Thème essentiel, qui détermine son style d’un parler/écrit toujours en train de se corriger, dans la bouche de tous les personnages, à la recherche du mot si possible, juste. Dans cette famille, on assiste presque à un expérience de laboratoire : l’aîné revient après de nombreuses années, qu’est-ce que cela va produire ? Test avec la petite sœur, volubile, puis avec la belle-sœur, inconnue, gênée avec le cadet, « taiseux  » puis des plus bavards .Quant à la mère, elle essaie juste de tout concilier. Impossible, évidemment.
Avec un fond si riche de malentendus, de gêne, il est tentant d’aller du côté de la comédie, ce que fait aussitôt Lipszyc. Et il n’y va pas avec le dos de la cuiller…Parfois, ça marche, et l’on rit franchement à se reconnaître dans ces ratages familiaux. Mais certaines  scènes relèvent de l’exercice d’école, et d’autres ne s’en remettent pas. Jean-Luc Lagarce, encore une fois, invente sa poétique propre du malentendu, qui a parfois juste besoin d’une simple écoute, sans fariboles, sans explications.
Il est dommage, par exemple, que les hésitations de la belle-sœur soient, dans cette mise en scène, soumises à une mimique de correction grammaticale de l’ “intellectuel de Paris“ : c’est inutilement réducteur, pour l’un comme pour l’autre des deux personnages.
En même temps, on comprend le choix de cette pièce pour l’ARIA (Association des Rencontres Internationales Artistiques ) qui travaille à la formation, au partage entre professionnels et amateurs, à la décentralisation théâtrale dans une Corse, peu gâtée sur ce plan. Mais on aurait aimé que ces missions, au lieu d’être montrées dans le spectacle, décapent, renouvellent la pièce et la lecture qu’on peut en faire.
Mais là, malgré de bons passages de comédie, on reste sur sa faim.

Christine Friedel

Étoile du Nord  21 h. T: 01-42-26-47-47
À 19h30, par une partie de la troupe : Une Entreprise laborieuse, d’ Hanoch Levin

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