Nosferatu
Nosferatu, adaptation d’après Bram Stoker et mise en scène de Grzegorz Jarzyna.
Cela se passe dans un très grand salon ou salle à manger vaguement Arts Déco avec parquet à chevrons; il y a de grands canapés et une table susceptible d’accueillir une dizaine d’invités, des miroirs un peu partout et de hautes porte-fenêtres avec des voilages blancs. Il y a aussi, sur le côté, une sorte de curieuse petite pièce aux parois de verre où vit un valet psychiquement atteint. Circulent, plus qu’ils n’y vivent vraiment, dans ce salon imaginé par la scénographe Magdalena Maciejewska, des personnages eux aussi quelque peu Arts Déco parlant et se déplaçant peu.
Cela fait penser à un plateau de cinéma avec de beaux effets lumineux imaginés par Jacqueline Sobiszewski: le vent souffle dans les grands voilages blancs des portes-fenêtres, de la brume envahit le salon, et il y a presque en permanence, signée John Zorn, une musique angoissante , avec des cris de corbeaux et des coups de tonnerre… Jarzina, c’est volontaire, a mis en valeur une série d’images pour faire sens.
Le salon est réparti entre différents espaces de jeu et les comédiens qui ont des micros HF sans doute pour faire plus cinéma, jouent avec lenteur et précision, et adoptent des attitudes que ne renieraient pas les personnages des tableaux de Hooper. Les personnages, surtout celui des femmes, est bien mis en valeur et Jarzina a mis l’accent sur le désir et la fascination sexuelle que peut exercer un corps.
Le metteur en scène polonais de Varsovie qui s’était fait connaître, notamment au Festival d’Avignon, avec des spectacles conçus d’après des romans comme le Docteur Faustus de Thomas Mann ou L’Idiot de Dostoiveski, s’est emparé cette fois du mythe de Nosferatu, à partir du célèbre roman de Stoker en privilégiant les gros plans, la narration et les effets visuels, à travers des sortes de tableaux très esthétisants, où il privilégie la lumière et le son qui, dit-il, sont des choses fondamentales parce qu’ils laissent une empreinte plus profonde, comme une sorte d’ imagerie subliminale dans l’esprit du spectateur ».
Mais on sait, par expérience, que l’adaptation d’un roman à la scène est toujours périlleuse, surtout quand il s’agit d’un grand classique du fantastique comme le livre de Bram Stoker publié en 1897. Ici, Jarzina a privilégié l’aspect narratif du roman et il a su créer parfois de belles images; il possède une parfaite maîtrise du plateau et une excellente direction d’acteurs, et Wolfgang Michel qui joue Nosferatu pourrait être inquiétant.
Et cela fonctionne? Non pas du tout…Et on pouvait s’y attendre! Vouloir recréer du fantastique au théâtre, c’est déjà difficile et il faudrait ici que les personnages ne soient pas de simples silhouettes de bande dessinée mais aient une véritable identité pour qu’ils puissent être quelque peu crédibles et que l’on commence à s’intéresser à leur histoire. Ce qui est loin d’être le cas! Et pour l’atmosphère lourdement chargé d’érotisme et de sexualité qui est à la base même du roman de Stoker, il faudra repasser.
Il y a juste une scène vraiment remarquable et tout à fait réaliste: la séance d’autopsie de Lucy qui fait froid dans le dos. Mais plus tard, quand le sang- un vague liquide rouge- se met à couler, il faut vraiment s’accrocher pour y croire. Cette histoire remise au goût du jour et telle qu’on nous la raconte, devrait être envoûtante mais le spectacle est assez ennuyeux. En fait, c’est toute cette adaptation qui souffre d’un manque de dramaturgie évident.
Et ce bricolage genre cinéma n’a rien de bien convaincant.D’accord, la chose est loin d’être facile sur plateau de théâtre où fantastique et érotisme n’ont jamais fait bon ménage mais, que l’on sache, on n’a pas mis un couteau dans le dos de Jarzina pour qu’il nous livre sa version de Nosferatu, surtout après de nombreux films, en autres, ceux de Murnau, Ford ou Coppola…
Le public, polonais comme français, visiblement déçu, n’a guère applaudi, et les comédiens qui semblaient assez tristes, se sont vite enfuis dans les coulisses… Dommage!
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué du 16 au 23 novembre aux Ateliers Berthier/Odéon.