La Place Royale

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©Christophe RAYNAUD DE LAGE/WikiSpectacle

La Place royale de Pierre Corneille, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

Qu’est-ce que la Place royale ? Le nouveau lieu à la mode, pour la jeunesse dorée du temps de Corneille, le lieu des parades amoureuses et des rivalités, de l’exhibition des conquêtes. Alidor a conquis Angélique, mais il a lui-même été conquis… Inacceptable, insupportable à qui ne veut rien devoir qu’à sa volonté propre. Il va donc “donner“Angélique à son ami– »un autre moi-même »- Cléandre.
Angélique, trahie, ulcérée, accepte d’épouser n’importe qui, à savoir Doraste, le frère de son amie Phylis. Ça ne fait pas les affaires d’Alidor, qui reconquiert sa pauvre amante pour la redonner à son ami : belle loyauté entre hommes… Enlèvement, quiproquo : c’est Phylis qui se retrouve dans les filets de Cléandre, et s’y trouve bien.
Idem pour Cléandre : mieux vaut posséder une joyeuse coquette qu’une amoureuse déçue et éplorée. Restent sur le carreau : tous les amoureux de la papillonnante Phylis, son frère, Angélique et Alidor. Angélique, la femme d’un seul amour – « pour aimer comme il faut, il faut aimer ainsi »-choisit le couvent, et Alidor célèbre sa chère liberté : « Je cesse d’espérer et commence de vivre / Je vis dorénavant, puisque je vis à moi ».

Evidemment, il y a de quoi rire ; où a-t-on vu un  » amoureux extravagant  » (le sous-titre de la pièce) cherchant à tout prix à se défaire d’un amour heureux et comblé ? En même temps, il n’y a pas de quoi rire. Corneille préfigure ici un Don Juan intellectuel, plus manipulateur que séducteur, non sans sadisme, un dandy des sentiments. Angélique a quelque chose d’une princesse de Clèves meurtrie : Alidor a badiné avec l’amour. On oserait presque dire qu’il y a là quelque chose de racinien. C’est dire la richesse et la liberté de cette comédie cruelle, écrite en un temps où Corneille n’a pas peur du baroque.
Anne-Laure Liégeois a placé l’affaire dans un parquet de bal. Après tout, la journée doit se conclure par un bal, quel que soit le mariage final. C’est le lieu idéal de la comédie, comme l’antichambre, le « cabinet superbe et solitaire », est le lieu idéal de la tragédie, où tout le monde se croise, y compris ceux qui ne devraient surtout pas se rencontrer. C’est le lieu de l’attente, de la séduction, des potins…
En ce sens, il n’est peut-être pas juste de vieillir les personnages : une telle radicalité que ce soit celle d’Angélique ou celle d’Alidor – n’appartient-elle pas plutôt à l’extrême jeunesse ? On comprend mieux le parti pris avec les raisonnables jouisseurs, Phylis et Cléandre, qui acceptent, comme on dit, de faire une fin .
Le rythme est rapide, la langue, pourtant difficile, fluide. Même les formules sentencieuses chères à Corneille trouvent à peu près leur place dramatique. Car elles sont faites pour ça : chaque fois qu’un personnage parle « en général » (voir le mot d’Angélique sur l’amour unique), c’est de lui qu’il parle, et à un partenaire bien précis. Reste qu’on est un peu déçu par les acteurs : Denis Podalydès est  un Alidor brillant, drôle, mais trop désinvolte. Elsa Lepoivre a la vitalité voulue (on n’ose pas dire le piquant) mais Florence Viala a mis du temps ,le soir de la première, à entrer dans cœur d’Angélique.
Cela manque de douleur, à commencer par celle d’Alidor : pour les plus âgés d’entre nous, souvenez-vous des stances finales balancées à la Johnny Hallyday, du siège d’une moto, dans la mise en scène d’Hubert Gignoux. Et du triomphe à la voix cassée de Philippe Demarle dans la réalisation  de Brigitte Jaques.
Qu’Anne-Laure Liégeois nous pardonne : parfois, la mémoire du théâtre se superpose au spectacle. Elle a quand même pensé à la douleur : depuis le début de la pièce, une fille (Muriel Piquart) fait tapisserie; sans rien dire, sans amertume, elle attend. Et elle sait qu’elle n’aura rien, qu’une « dernière valse » à la Mireille Mathieu, avec le plus désabusé des garçons. Bravo : il fallait cette douleur sans un mot, comme si l’inconnue payait pour les beaux parleurs qui se l’interdisent.

Christine Friedel

Comédie Française /Vieux Colombier


Archive pour 4 décembre, 2012

Les Mille et Une Nuits, parcours exposition

Les Mille et Une Nuits, parcours-exposition conçu et réalisé par l’Institut du Monde Arabe.

 

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Ida Rubinstein et Vaslav Nijinsky, George Barbier© IMA / Nabil Boutros

Il est le plus célèbre et le plus influent des ouvrages de littérature arabe, qui établit un lien exceptionnel entre l’Orient et l’Occident. Recueil anonyme de contes populaires arabes issus de la tradition orale, primitivement d’origine persane (la première mention date du VIII ème siècle), il s’enrichit d’éléments égyptiens, indiens, iraniens, grecs et mésopotamiens au cours des temps. « De manuscrit en manuscrit, de copie en ajout, de traduction en retraduction, Les Mille et Une Nuits sont le fruit d’un incroyable processus d’élaboration » lit-on dans le document qui accompagne l’exposition.
La première version française des Mille et Une Nuits, celle d’Antoine Galland, (douze tomes parus entre 1704 et 1715), fait référence et devient la source où puisent les traducteurs européens qui s’en emparent : « Son influence est considérable, elle alimente la vague de l’orientalisme et aussi la littérature fantastique ». D’autres versions suivront, dont celle d’André Miquel et Jamel Eddine Bencheikh, publiée en 1991. De nombreux artistes l’illustrent, comme Gustave Doré et Léon Carré.
Le récit-cadre, et que l’on trouve dans toutes les versions, est l’histoire de Shéhérazade : Le sultan Shahryar, blessé par l’infidélité de son épouse, la condamne à mort et,  pour se venger, décide de faire exécuter chaque matin, la femme qu’il aura épousée la veille. Shéhérazade, la fille du grand vizir, se propose de l’épouser et, aidée de sa sœur, raconte chaque nuit au sultan une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le sultan ne peut se résoudre alors à tuer la jeune femme et remet l’exécution de jour en jour, afin de connaître la suite du récit commencé la veille. Peu à peu, Shéhérazade gagne la confiance de son mari qui,  au bout de mille et une nuits, renonce à la faire exécuter.
Ce récit est complété de nombreuses autres histoires, parmi les plus connues : Sindbâd le Marin et ses sept voyages, Ali Baba et les Quarante Voleurs, ou Aladin et la lampe merveilleuse, qui ne sont pas issus des plus anciens manuscrits, mais furent ajoutées ultérieurement.
C’est cette complexité-là qui se dégage de l’exposition, conçue à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’Institut du Monde Arabe, et s’organise en sections : l’aventure du texte, cette élaboration, au fil du temps et des géographies ; la Bibliothèque desNuits  qui montre l’engouement de l’Occident pour les récits d’Orient, et que l’on retrouve dans toute la production littéraire, à compter du XVIIIème siècle ; Les mondes urbains : Bagdad, Damas, Le Caire, la ville où la plupart des contes se déroulent, qui représente « le point d’ancrage de la civilisation arabo-musulmane, dans sa diversité socioculturelle. Damas, grande ville médiévale, Bagdad, métropole des Abbassides, Le Caire, fondé par les Fatimides d’Egypte » note le dossier de presse ; L’élan amoureux, thème central de tous les contes ; La guerre et la cruauté, la mort sur les chemins de bataille, et conter pour ne pas mourir ; Les mondes intermédiaires, anges et démons, djinns et fées, formules magiques et talismans, l’irruption du fantastique, avec génies et elfes ;Les contes de la mer et les voyages, traversées terrestres ou maritimes, rencontres merveilleuses ou terrifiantes, dangers de toutes sortes.
L’infinie variété de l’iconographie, venant cette fois d’Occident contrairement aux textes, accompagne la diversité des thèmes, et ne peut ici, que nous séduire, de même que les traces de ces Mille et Une Nuits qui ont nourri toutes les formes d’art que l’on retrouve dans l’exposition : théâtre, cinéma, opéra, ballet, peinture, littérature, photographie. Près de 350 œuvres d’époque et de styles différents sont montrées, provenant de nombreux musées nationaux et internationaux, ainsi que de collections particulières, dont des manuscrits rares, montrés pour la première fois.
Avant leur passage en Occident, les Mille et Une Nuits étaient souvent présentées comme un texte sans images. Deux des plus beaux manuscrits illustrés sont ici exposés, (sur vingt répertoriés et cent-quarante identifiés, grâce à de récentes recherches), ainsi que les oeuvres d’artistes orientalistes mêlés aux peintres modernes, comme Adrien Dauzats, Antoine Barbier, Pablo Picasso, RenéMagritte, Kees Van Dongen, François-Louis Schmied, Léon Bakst. Ce dernier a signé les décors des Ballets russes de Diaghilev, pour la chorégraphie de Fokine, sur la suite orchestrale de Rimski-Korsakov, Shéhérazade, l’exposition présente les aquarelles originales de : Dessin de costume pour la danse sacrée du Dieu Bleu, 1912 – et pour Nègre d’or, dansé par Vaslav Nijinski dans le rôle-titre, 1910 – Ida Rubinstein et Vaslav Nijinski, de Georges Barbier, 1913.
On trouve aussi des faïences et céramiques illustrant les scènes clés des Mille et Une Nuits, des laques, huiles, gouaches d’or et d’argent, de la pointe sèche, des lithographies, photos de théâtre, encres, terres cuites à glaçure, ivoires sculptés et taillés, photogravures et gravures, lampes à huile et objets divers de métaux précieux.
La scénographie inventive permet une déambulation toute en finesse et le parcours est une somme de belles rencontres où la découverte, la grâce et le merveilleux sont au rendez-vous : hologrammes, animations en ombres, écoute au casque de contes en langues arabe et française dans un chaleureux espace circulaire à la lumière tamisée, projections sur coins de murs des films de Georges Méliès, Togo Mizrahi, Lotte Reineger, Douglas Fairbanks, Pier Paolo Pasolini.
Une très belle réalisation de l’Institut du Monde Arabe, pour tous ceux qui, de mythologies en fantaisies, ont envie de rêver un peu.

 

Brigitte Rémer

Institut du Monde Arabe,du 27 novembre 2012 au 28 avril 2013, Niveau 1 et 2, entrée par la faille (côté Seine) ; mardi, mercredi, jeudi, de 10h à 18h ; vendredi, de 10h à 21h30 ; samedi, dimanche et jours fériés, de 10h à 19h. Catalogue co-édité, IMA/Hazan. Manifestations et activités pédagogiques : www.imarabe.org

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