Marsiho

 

Marsiho , texte d’André Suarès, adaptation et mise en scène de Philippe Caubère.

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©Michèle Laurent

André Suarès, un nom qui ne dit plus grand-chose actuellement… Et pourtant! Né à Marseille en 1868, et mort en 1948, ce fut quelqu’un d’important au début du 20 ème siècle, puisqu’il fut l’un des créateurs, avec Valéry, Gide et Claudel, de la célèbre Nouvelle Revue Française (NRF).
On doit surtout à cet auteur nombre d’essais, romans, poèmes et quelques pièces d’inspiration homérique, il fut aussi l’auteur d’ une œuvre qui, encore aujourd’hui, ne manque ni de panache ni de beauté
Le Voyage du condottière, récit d’un voyage en Italie. Même de son vivant, il fut un peu ignoré à la fois par le public et les critiques, même si l’admirèrent des écrivains comme Romain Rolland ou André Malraux.
Ecrivain pauvre et discret, plutôt confidentiel, intransigeant et souvent sévère avec  ses contemporains, il ne rechercha jamais les honneurs et fit preuve d’une rare lucidité quand, l’un des premiers dans la tourmente que connaissait l’Europe, il dénonça avec vigueur dans
Vues sur l’Europe (1933) la montée du nazisme et prédit l’holocauste. Cela suffirait déjà pour qu’on ne l’oublie pas.
Suarès écrivit aussi en 31, une sorte d’hymne à sa ville natale
Marsiho ( Marseille en provencal) dont il parle avec passion et générosité, même s’il n’est pas toujours tendre avec ses habitants comme ces bourgeois dont il dénonce la bêtise et le cupidité. Qui aime bien, châtie bien et Suarès n’y va pas de main morte.  » De toutes les villes illustres, Marseille la plus calomniée. Et d’abord, Marseille calomnie Marseille. Chaque fois qu’elle tâche à n’être plus elle-même, elle grimace, elle se gâte au miroir de sa lie. » Mais l’écrivain reste loin des clichés: le pastis, le folklore à la Pagnol, et dénonce la prétendue modernité de son architecture d’entre les deux guerres.

Et on comprend que, dix ans après une première lecture du texte d’André Suarès, Philippe Caubère ait eu envie de reprendre à nouveau ce long  poème en prose  qui prend parfois des allures de pamphlet, tout en  faisant souvent preuve d’étonnantes fulgurances poétiques. »Par un matin de pierre dure, au temps de Pâques, entre avril et mars, si tu peux rester debout sur le balcon de Notre-Dame-de-la-Garde, quand souffle le mistral et que l’équinoxe joue à la balle avec les bateaux sur la mer, tu fais, sans quitter le roc, la traversée de la tempête la plus sèche qui soit au monde. Regarde Marseille sortir du sommeil, secouer la première paresse qui suit le réveil, et se ruer à la vie de nouveau. Tiens-toi ferme à la rampe. Tu es sur le pont du plus haut bord entre tous les navires; tu n’as peut-être pas ton bon sens si tu te crois à l’ancre. le ciel craque. La grande haleine éparpille le soleil en poudre d’or; elle vibre; jamais elle n’est tarie, jamais elle ne retombe; elle se tisse elle-même en rayons qui dansent. Et les trombes blanches de la poussière se poursuivent dans les rues et les chemins, comme si la terre secouait sa farine. »
Rien que pour ce genre de phrases, on redécouvre avec plaisir André Suarès qui  connaît  tout le pouvoir des mots, même s’il n’est pas l’immense écrivain que dit Caubère…
Et cela donne quoi? Du bon, mais souvent aussi du moins bon… Philippe Caubère entre par la porte en fer, au fond du plateau nu où il y a juste un fauteuil provençal en bois peint et osier.
Mais dès le début, le comédien semble un  peu  désabusé, et déçu par une salle pas vraiment pleine pour un samedi soir…Il fait le travail, il remplit le contrat , oui, sans doute mais on dirait qu’il y avait  chez lui,  ce soir-là du moins, comme une certaine lassitude et sa diction, surtout au début, était parfois approximative. Caubère butait même parfois sur des mots, alors que le texte de Suarès demanderait une grande rigueur dans l’interprétation. Même s’il fait preuve d’une mémoire fabuleuse, puisqu’il enchaîne, snas guère de pauses, des extraits de
Marsiho pendant deux heures, ce dont ne sont pas capables de nombreux comédiens, et non des moindres.Et cela mérite un coup de chapeau!
Mais il est plus à l’aise, comme dans ses célèbres monologues, quand il s’agit de camper plusieurs personnages. A ces moments-là, le comédien  redevient le grand Caubère, drôle, pétillant et capable d’enflammer le public avec un texte exigeant et sans concession, notamment quand il évoque la personnalité des différents quartiers et  l’envie d’ailleurs du Marseillais: « Celui qui naît et grandit à Marseille n’a pas besoin de partir : il est déjà parti ».
S’il y a de grands  moments de belle facture, le compte n’y est quand même pas tout à fait. Il y manque une  dramaturgie suffisante-il aurait fallu un meilleure équilibre entre les différents extraits- et cette profération d’un texte exigeant mais pourtant tout à fait accessible, soutenue par quelques  musiques (Debussy, Wagner ou Schubert) et par les belles lumières de Luigi, est, à l’évidence, trop longue! Ce que Caubère,  qui aurait dû être dirigé par un  autre metteur en scène que lui-même, voudra  sans doute difficilement admettre. Et, même si on ne s’ennuie pas vraiment, une douce somnolence s’installe dans la salle, ce  que  perçoit sans doute  le comédien et  cela ne doit pas l’aider.
Alors à voir? Oui, pourquoi pas, mais avec les réserves indiquées plus haut. Mieux vaut  être en forme pour affronter ce marathon poétique!  En tout cas, vous découvrirez une écrivain capable, par la seule grâce des mots, de nous faire aimer cette ville mythique, sans doute unique en France comme en Europe, et ce n’est déjà pas si mal…

Philippe du Vignal

Maison de la poésie, passage Molière jusqu’au 13 janvier. T: 01-44-54-53-00

 

 

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