Un petite douleur

Une petite douleur d’Harold Pinter, traduction de Gisèle Joly et Séverine Magois, mise en scène de Marie-Louise Bischofberger.

 

Un petite douleur douleurC’est l’une des premières pièces de Pinter et, à l’origine, une œuvre radiophonique que lui avait commandée la BBC, il y a déjà un demi-siècle. Avec trois personnages, dont un qui ne dira jamais rien. On est au début de l’été et un couple d’une quarantaine d’années, Edouard et Flora-vraiment enceinte dans la vie-sont en train de prendre le petit déjeuner quand une guêpe s’infiltre dans le pot de marmelade.
Edouard n’a aucun scrupule à vouloir l’exterminer, tandis que Flora, qui attend  de donner la vie, redoute la mort d’un être vivant, même aussi minuscule. Petite fêlure dans l’entente d’un couple, petite douleur à l’œil d’Edouard dont il se plaint et dont s’inquiète son épouse. Pinter adore les parallèles.
Et il y a un colporteur, un pauvre et pitoyable marchand d’allumettes qui vient régulièrement en bas de leur jardin, sans que l’on sache pourquoi. Flora va aller au-devant de lui et lui proposera alors de venir dans le bureau de son mari qui se lance dans un long monologue. C’est ici un géant de plus de deux mètres tout à fait impressionnant. Edouard lui raconte sa vie en s’écoutant parler mais, comme l’autre, sale et sentant mauvais, continue à se taire, il finit par abandonner la partie. Et c’est Flora qui va s’y coller, et, malgré la répugnance que lui inspire le personnage, elle se met à le cajoler comme un gros nounours.
Mais Edouard revient et se remet de nouveau à parler au marchand d’allumettes qui chuchotera enfin quelques mots. Flora surgit alors et l’emmène main dans la main après lui avoir posé des questions et lui avoir fait des confidences sur son passé… Comme si elle l’avait autrefois connu… Mais comme chez Pinter, on n’en saura évidemment jamais rien.
L’intrigue de cette pièce d’une heure, reste quand même assez mince. On se demande quelle guêpe, excitée par le parfum de la marmelade anglaise, a  pu ainsi piquer Marie-Louise Bischofberger, pour  qu’elle ait  envie de monter cette chose bien légère où l’on perçoit, mais, comme en brouillon, les principaux thèmes pintériens: manque de communication dans un couple,  moments de vie révélés, silences plus bavards que certaines paroles.
C’est plutôt  bien joué par Marie Vialle, Louis-Do de Lencquesaing et Christian Le Borgne, à la présence impressionnante. Mais la direction d’acteurs aurait dû être mieux contrôlée. Où sont en effet l’absurde et le comique intériens , où est l’expression
de « cette incapacité quelconque à communiquer et du « mouvement intérieur qui cherche délibérément à esquiver la communication » pour reprendre les mots de Pinter que l’on trouve  dans les dialogues ciselés de ses piècesOù se profile le drame? Ici, on reste un peu sur sa faim.
Mieux vaut ne pas parler des éléments de scénographie assez hideux-le gravier d’un simili-jardin japonais figuré par de la moquette mal collée! -et sans aucune unité, qui ne facilitent en rien la circulation des comédiens.On s’étonne que Marie-Louise Bischofberger, qui a fréquenté des écoles d’art,  se  soit contentée d’un décor aussi approximatif qui plombe sa mise en scène.
Si on ne s’ennuie pas vraiment-une heure, c’est court-le spectacle n’a quand même rien de passionnant…En grande partie, à cause de la pièce.Et là, c’était  presque mission impossible. On attend Marie-Louise Bischofberger avec un texte plus convaincant…
Alors à voir? Oui, seulement, si vous êtes un fou amoureux du théâtre de Pinter et que vous ayez envie de connaître l’une de ses premières pièces; sinon, vous pouvez vous abstenir. Décidément cette année, Pinter n’aura  porté chance ni à Luc Bondy avec Le Retour ni ici à son épouse avec Une petite douleur... Ainsi va la vie!

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 8 février

 

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