Une faille
Une faille, feuilleton théâtral,(épisodes 5 et 6) mise en scène de Mathieu Bauer.
La première salve d’Une Faille (épisodes 1, 2, 3 et 4), avait frappé fort. Souvenez-vous : un immeuble en construction s’était effondré sur une maison de retraite. En bas, six survivants prisonniers des décombres. En haut, on entendait les pompiers s’activer, la foule -le peuple- gronder et s’inquiéter, et Hugo, jeune technocrate et directeur de cabinet du Maire, s’agiter en pleine tragédie parce qu’il était irrémédiablement absent. Il le harcelait sur ses deux téléphones portables avec la seule question qui vaille : que faire ?
Puis un nouvel effondrement s’est produit. Àu début de l’épisode 5, les prisonniers ne sont plus que quatre. Nabil, le jeune épicier cinéphile a perdu son cher Jacques, vieux critique de cinéma tendance anarchiste râleur, et-double coïncidence nécessaire à tout bon feuilleton-père du promoteur responsable en même temps que victime de la catastrophe. La docteur Nathalie s’adapte, comme les autres, à coups de Jack Daniels, plutôt contente d’être séparée de son banquier de mari compromis dans l’affaire, (coïncidence nécessaire à tout feuilleton, voir ci-dessus).
Le petit groupe des prisonniers ronge son frein, et son poing : il commence à faire faim. En surface, cette histoire fait moins l’actualité, d’où la disparition du peuple vers les coulisses, réduit à la très représentative serveuse du bar: »Non, Monsieur, il n’est pas urgent que je vous serve un demi, en revanche, il est urgent que vous sachiez que nous n’avons rien à faire de votre cynisme, nous avons l’espérance, nous, à long terme, et nous avons raison. » « Poussinet »-gentil petit nom donné au professionnel de la politique par le pompier expérimenté-ne peut qu’être troublé, ébranlé, contraint à reprendre le dessus, toujours suspendu au sans-fil qui le relie au premier magistrat de la ville.
On sent qu’il va évoluer franchement, celui-là. Ce sera pour les épisodes 7 et 8 ? Sous terre, ça évolue aussi, tranquillement. Il y a bien quelques tentations cannibales, mais enfin Une faille n’est pas une série gore. Non, là, en bas, ils ont enfin le temps de parler du monde, et d’eux, et de politique, et de complexité…
Ce double épisode de la série est évidemment moins palpitant que les premiers. L’action y est en sommeil. Cela laisse une belle place au huis-clos, à l’attente. Une place un peu trop grande au discours, aussi, objet bien difficile à manier au théâtre.
Mais ça marche, encore et encore. Pour une très bonne raison : c’est du beau travail. Beau travail de comédiens, de musiciens, de régie ; chaque action, chaque mouvement, chaque détail tombe pile, sans bavure, dans un rythme parfait, dans un accord rare de tous les métiers du théâtre, de la musique et de la vidéo.
C’est la moindre des choses pour un Centre Dramatique National ? On aimerait bien. Encore une fois, Mathieu Bauer commence sa direction du Nouveau Théâtre de Montreuil avec autant d’intelligence politique que de talent musical (pour cela, on le connaissait déjà) et d’astuces mieux ficelées les unes que les autres, joyeuses et sérieuses. Comme dans les séries télévisées, un générique gigantesque défile à toute allure : il a bel et bien fallu tout ce monde-là pour faire un objet aussi précis, avec, en plus, la grâce de la désinvolture. Et le public est là, qui en redemande.
La suite au mois de mai, il va falloir attendre…
Christine Friedel
Nouveau Théâtre de Montreuil T: 01-48-70-48-90, jusqu’au 20 décembre