Le Mystère des mystères d’après E.E. Cummings, mise en scène, scénographie et musique d’Alexis Forestier.
Le peintre et poète américain E. E. Cummings fut profondément marqué par la guerre 14-18 où il s’engagea comme ambulancier. Il sera plus tard accusé de pacifisme. Ami de Dos Passos, d’Ezra Pound, de Gertrud Stein, entre autres figures tutélaires il passait au crible de la moquerie, de l’ironie et de la satire, les relations des êtres entre eux et à la société en général. Mais avec la présence salvatrice de la nature et la rencontre avec l’amour. On pourrait le ranger–lui, l’inclassable Cummings-dans une continuité post-romantique épique.
Sa poésie fait la part belle à la création syntaxique, à un singulier et nouvel ordonnancement singuliers des mots et des phrases pour imposer un être-là à fleur de peau et sensible au monde. De cette leçon d’histoire littéraire et d’existentialisme, Alexis Forestier fait son miel et ouvre les manettes de la poétique de Cummings qui procéde d’une vision à la fois prometteuse et catastrophique de ce début du vingtième siècle et du suivant….
Les inventions techniques et électroniques déferlent, le progrès s’affole et les habitudes et la pensée convenues sont bousculées : « Comment peut-on rester soi dans un tel monde ? Le temps immobile n’existe plus : l’électricité, les chemins de fer, les automobiles à essence imposent un bruit et une fureur qu’on n’avait jamais imaginés ».
Alexis Forestier conçoit son spectacle selon cet enchevêtrement des idées, de la pensée et du rêve, entre enfer et paradis. Avec un espace ouvert à la performance, à la gestuelle à la musique et au chant, une sorte de cirque où les interprètes jonglent et se balancent, d’un art à l’autre, d’un jeu à l’autre, d’un tuyau à l’autre.
C’est une jungle, au sens concret du terme, un assemblage de fils, de cordes, de micros, de tableaux, de panneaux et de paravents derrière on change de parure, et où on joue du théâtre d’ombres sur des écrans récepteurs de la vie qui va.
Des tables en déséquilibre, des tabourets et des chaises instables : l’esthétique de la fresque révèle le chaos infernal d’un monde où on essaie d’avancer coûte que coûte. L’enchantement tient de l’ivresse des formes, de l’invention poétique et d’une musique libre et entêtante qui accompagne l’existence dans la solitude.
Une proposition de spectacle singulière, avec Cécile Saint-Paul, la cantatrice Elise Chauvin, Jean-François Favreau et le concepteur lui-même, manipulateur de fils à la magie scénique appropriée.
Véronique Hotte
Théâtre de L’Échangeur à Bagnolet jusqu’au 22 décembre, du lundi au samedi à 20h30, dimanche à 17h, relâche le 18 décembre.