Tu tiens sur tous les fronts
Tu tiens sur tous les fronts d’après Christophe Tarkos, conception, musique et mise en scène de Roland Auzet
Ça commence par l’idée de deux. Le décor : une moitié noire, une moitié blanche. La musique : un piano que l’on voit, que l’on entend, mais pas de pianiste. Et deux acteurs, jumeaux et différents.
Hervé Pierre parle sans se faire prier, dit les textes de Tarkos, et Pascal Duquenne l’écoute (ou non): il ne dit mot mais n‘en pense pas moins. Ils dialoguent à leur façon, dansant, marchant sur les plates-bandes de l’autre, mettant les pieds dans son plat, ou dans son pot de peinture.
Car assez vite, le deux se complexifie et devient un pluriel. À la poésie simple et obstinée de Tarkos, répond le beau geste de peintre de Pascal Duquenne, traçant des cercles généreux, rouges, noirs, sur le papier » que sa blancheur défend ».
La scénographie de Goury est attaquée avec un beau vandalisme, tout au long de la représentation, dont elle trace la durée : barbouillée, déchirée, crevée, traversée. Et puis le texte reprend le dessus. Cela parle de la vie, de la mort qui est bien nécessaire, d’être là, de se serrer la main, de se donner une poignée de main.
Du coup, à prendre les mots au sérieux, les acteurs le font : moment tranquille et souriant d’échange avec le public, et d’échange entre le mot et le geste. Et puis reprend la danse des deux augustes mais aucun des deux n’est le clown blanc. Ils se soutiennent, s’accompagnent. On dit de Pascal Duquenne, récompensé il y a quelques années à Cannes avec Daniel Auteuil pour son rôle dans Le Huitième jour, qu’il est un acteur « différent ». Certes, il l’est, du fait de son handicap.
Mais quand Pascal Duquenne travaille avec Hervé Pierre-on voit à quel point ce dernier -en congé de la Comédie Française-est sans cesse attentif à son partenaire.Lui aussi, est un acteur différent, ce qui après tout est la moindre des choses : qui irait voir jouer un acteur indifférent ?
Christophe Tarkos nous pardonnera ce jeu de mots à deux sous : ce n’est que minuscule hommage à son amour de la langue, à sa litanie presque artisanale, comme s’il rabotait la langue, non pour la rendre lisse au point qu’on en oublierait les aspérités, mais pour lui rendre la beauté de ses veines.
Pour en revenir au début : on assiste à un duo multiple, complice, jumeau, adverse, chien et chat, tendre dans l’affrontement (pour ne pas oublier tout à fait le titre, sur lequel il y aurait beaucoup à dire).
Une seule critique: il y a presque trop à voir et à entendre. On voudrait s’échapper sur la musique mais la parole, le geste nous arrachent à elle, comme le travail plastique nous arrache parfois au texte. Mais qui oserait se plaindre de trop de générosité et de talents réunis en un spectacle ?
Christine Friedel
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers jusqu’au 21 décembre. T: 01-48-33-16-16