Il était 1001 fois, Sotigui Kouyaté
Il était 1001 fois, Sotigui Kouyaté. Hommage
Il était un et multiple, a décliné les plus grands auteurs, de Shakespeare à Sophocle et fait tinter la voix du griot. Les mots-clés qui le caractérisent : amitié, fraternité, humanité, « une famille manche large« dit son fils, Hassane Kassi, qui organise, avec l’équipe du Tarmac et pour marquer la dernière de son spectacle L’Affaire de l’esclave Furcy, (voir Le Théâtre du Blog du 24 novembre) cet hommage-parcours d’une vie, personnelle et artistique, comme une belle rencontre, chaleureuse, à son image.
Autour d’eux, Esther, son épouse, Georges Banu, observateur et analyste de la vie théâtrale, Rosa Ruffini qui lui a consacré sa thèse, Daniel Rousseau et son saxo, qui offre un morceau en ami et compositeur de la musique du premier film de Dany Kouyaté, son fils aîné qui ne pouvait être là. Dans la salle, plusieurs de ses enfants, la famille élargie, et ses amis. Les interventions sont entrecoupées d’extraits de films et de spectacles, séquences d’interviews et traces des moments forts de sa jeunesse.
Sotigui a rejoint les étoiles au printemps 2010. Il fut l’emblème de la Haute-Volta, devenue plus tard le Burkina Faso, et a porté très loin sa voix. Fils d’un grand griot qui « aimait les silences et ne se retournait jamais en marchant » et d’une sublime cantatrice qui, de baptême en mariage, accompagnait les rituels, il était plutôt dehors que dedans, et partout chez lui. Au pays, la maison est pleine et « la nourriture s’accroche dans les arbres pour que le passant n’ait pas à demander … »
Bon élève, champion poids plume en boxe, capitaine de l’équipe nationale de foot de Haute-Volta, crâneur, sapeur… Il aimait le raffinement du vêtement, grillait les Gauloises et étirait le temps, dormant peu pour ne pas le perdre et sirotant du café. Guérisseur, maître chasseur et gardien de la nature, la brousse était son élément. Il y marche des journées entières, avec ses enfants, rapportait les plantes qui soignent, guérissait les gens, ouvrait sa maison, « il élevait les autres, c’était comme ça« .
Fonctionnaire pendant une trentaine d’années jusqu’à 17h, ensuite et jusqu’à la nuit, il pensait théâtre. Chanteur de tubes qui ont fait le tour de l’Afrique, comme Mariam Touré ou Ah ! Céline, bois ton café qu’on nous fait entendre, il refuse toute commercialisation. Le théâtre vient à lui, d’abord par les histoires qu’il raconte, puis par les Pères blancs qui exportent le théâtre occidental.
Il écrit de nombreuses pièces, dont certaines sont jouées en Afrique. La Fontaine et ses Fables le séduisent, il tourne dans les écoles, en mobylette, pour les présenter, fonde ensuite le premier Ballets de Haute Volta qui feront le tour des Afrique(s), puis le Festival de Ballet des Armées où l’on trouve de grands artistes, comme Salia Sanou.
Il crée à Ouaga sa première compagnie en 1966, autour d’intellectuels et amis comme Jean-Pierre Guingané, un vrai complice, et Gaston Kaboré ; puis il met en place la Fédération des acteurs de l’Afrique de l’Ouest. Il y rencontre Claude Régy dans les années soixante-dix, qui voulait lui faire jouer Les Nègres de Genet mais, pour des raisons politiques, le projet reste dans les cartons. Plus tard, en France, Monique Blin, directrice du Festival des Francophonies de Limoges, accompagnera son travail théâtral.
Georges Banu parle, de la rencontre, fondamentale, entre Sotigui et Peter Brook, de leurs échanges permanents : « Il faisait partie de l’univers de Brook, présent et comme venu d’ailleurs, celui dans lequel Brook s’est incarné ». Le Théâtre des Bouffes du Nord, lieu emblématique s’il en est, collait bien à la vérité et à la magie de leur rencontre.
Sotigui a marqué les spectacles de Brook : avec le rôle de Bhishma dans Le Mahabharata, en 1985, adapté à l’écran en 1988, dans une grande présence poétique et une aura secrète qui nous rapprochent du théâtre sacré, au sens vrai du terme. Bhishma, « l’homme le plus fragile et le guerrier le plus intransigeant « , dont l’image de Sotigui, allongé et percé de flèches, a fait le tour du monde. Avec son interprétation de Prospéro, maître des songes et de l’imaginaire, d’une extrême douceur, dans La Tempête. Avec Le costume, en duo avec Bakary Sangaré, qui jouait Ariel dans La Tempête, son « frère » disait Sotigui.
Il est le mage, le sage, un fonctionnaire, mais n’utilise pas le comique accrocheur ni ne joue sur le charme. Et même s’il ne raffolait pas du spectacle, dit Banu, il le portait, sa voix venait d’ailleurs, avec intimité, chaleur et tristesse. Sotigui « incarne à la fois un personnage et quelqu’un d’autre que lui« . Là est sa force.
On pourrait encore citer L’Homme qui, en 93, d’après L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau d’Oliver Sacks, ou encore Tierno Bokar, d’après Vie et Enseignement de Tierno Bokar, le roman d’Amadou Hampâté Bâ, en 2004, son dernier travail théâtral avec Peter Brook. On n’imagine pas l’amitié avec Brook. Il n’était jamais très loin. « Il a besoin de moi » disait Sotigui.
Hassane Kassi Kouyaté parle avec émotion de la mise en scène qu’il a faite, en 2006 d’En attendant Godot, pour le Festival Paris Beckett. Il dirigeait Dany son frère aîné, et Sotigui, son père : « Je l’ai connu en tant que père, en tant que maître, il m’a mis en scène, on a été collègue chez Brook, on était amis. Il arrivait avant tout le monde et partait après tout le monde. En recherche permanente, il disait : Est-ce que je peux essayer quelque chose ? C’est un comédien qui bonifie le metteur en scène et celui qui joue à côté de lui » et toujours, il disait ce qu’il pensait, mais avec élégance : « Ce n’est pas la vérité… C’est la mienne, ajoutait-il »…
S’il « adorait le théâtre et en avait fait son choix de vie » comme le souligne Esther, son épouse, il n’était pas en reste avec le cinéma et avait tourné dans une vingtaine de films. C’est en participant à des films de conscientisation, sur la médecine notamment, avec les Allemands, qu’il avait débuté, à la fin des années soixante. Son premier film véritablement, tourné par Mustapha Alassane, en 1972, s’intitulait FVVA. Femmes, Voitures, Villas, Argent, c’est en le montrant qu’il introduisit le cinéma au Burkina Faso, pays qui en deviendra ensuite la plateforme internationale, avec le Fespaco, festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou.
Il tourne, entre autres : avec Mustapha Diop en 1983, Le médecin de Gafiré, et avec Cheikh Oumar Sissoko en 1999, La Genèse ; avec son fils aîné, Dany Kouyaté, Keïta ! l’Héritage du griot, en 1997, puis Sia, le rêve du Python, en 2002, deux scénarios, inspirés par son père. « Diriger un grand acteur et diriger son père, sont deux écueils… dit Hassane, mais ça s‘est bien passé ». Et il rapporte les mots de Dany : « Qu’est-ce que tu penses de la séquence d’aujourd’hui » ? lui demandait-il, « Je pense ce que tu penses, toi… mon fils, fais ton film« … répondait le père. Sotigui donne de l’humanité à ses personnages et les propositions de tournage affluent, y compris des Etats-Unis. « Les scénarios s’entassent, pour lecture », dit Esther.
Il est fait Officier des Arts et Lettres, à Cannes, en 2009, dans le cadre du Pavillon des Cinémas du Monde. A la question que lui pose TV5 : « »Le cinéma africain, ça a un sens ici à Cannes ? Il répond : » Il n’y a pas, à mon sens, un cinéma africain, il y a un cinéma. Le cinéma n’a pas de couleurs, il n’est ni rouge, ni jaune « .Il reçoit, la même année, l’Ours d’Argent du meilleur acteur, au Festival de Berlin, pour London River, de Rachid Bouchareb, avec qui il avait déjà tourné Little Sénégal. C’est Gaston Kaboré, compatriote et ami, qui le lui remet. Son fils Dany dit que, seul, Rachid Bouchareb avait su le filmer.
Souvent absent, toujours en tournée, pour l’épouse, resté en France vraisemblablement pour ses enfants, il ouvre la porte sur le monde. « J’ai embrassé la culture française, ça m’a rendu fort avec ma propre culture, j’ai eu avantage sur la France, par la langue , sûr de ce que l’Afrique peut donner à l’Europe, par sa richesse culturelle « , heureux de ce don et transmission réciproques.
Mais l’Afrique lui manquait. » Sotigui, hors d’Afrique, n’est pas Sotigui » , dit Hassane, ce que confirme Esther : « Hors d’Afrique, c’était douloureux. Là-bas, il respirait vraiment, les amis venaient, pas d’agendas, pas de rendez-vous, une autre communion. Il respirait. En Europe, c’est plus dur, on ne touche pas la terre. La nostalgie de l’Afrique, est une dimension importante ». Et il n’avait de cesse de rendre à l’Afrique ce qu’elle lui avait donné, en une permanente restitution, sorte de devoir de conscience. Sa dernière rencontre fut un stage avec des metteurs en scène, au Burkina. « Moi je suis Sotigui grâce à l’Afrique, je suis Africain avant d’être Sotigui, disait-il. Dans ma culture, on dit : « On parle une fois, on écoute deux fois ». Entre le monde visible et le monde invisible, il y a l’art.
Il est reparti dans sa Haute Volta-Burkina, sans retour, et sa longue silhouette balancée, de griot, de sage, d’artiste et d’ami, n’est pas prête de s’effacer.
Brigitte Rémer
Rencontre animée par Bernard Magnier, au Tarmac, le samedi 15 décembre.