Solness, constructeur

Solness le Constructeur  d’Henrik Ibsen, mise en scène de Jean-Christophe Blondel

« La brièveté de la vie devrait nous garder de la séparation pédante des âges-comme si chaque âge apportait quelque chose de nouveau-, et ce serait l’affaire d’un poète de nous montrer une fois l’homme qui, à deux cents ans d’âge, vivrait véritablement sans contes et sans jeux. » Cette phrase de Nietzsche tirée d’Opinions et Sentences Mêlées ouvre l’histoire de Solness, campée avec une belle vigueur par Jean-Christophe Blondel et ses comédiens et  musiciens.
Solness,est un architecte vieillissant, à  la réputation quelque peu  usurpée; il  a construit nombre de logements résidentiels dans la ville où il réside, grâce à un collègue de grand talent qu’il a mis en faillite et dont il a volé la clientèle. Ce collègue mourant travaillait  avec son fils qui doit se marier avec la secrétaire de Solness, tombée sous la séduction de l’usurpateur.  Solness a une femme soumise et prête à tout accepter (étonnante Valérie Blanchon) qui s’efface devant la volonté impérieuse de son mari, dès qu’elle se manifeste. La dernière commande  de  l’architecte s’achève: des logements surmontés par une tour, dont on dit que l’architecte a peur. Survient une jeune fille qui dit avoir eu, dans son enfance,une relation amoureuse avec Solness qui lui aurait promis de lui construire  le château dont elle rêve.
  Mais il ne la reconnaît pas, tombe sous son charme;  elle le poussera dans ses retranchements et lui fera  avouer la perte de jumeaux, dont sa femme ne se remet pas, pas plus que de l’incendie de la maison familiale et des poupées de son enfance. Solness, poussé à bout, surmonte sa frayeur panique des grandes hauteurs, il escalade « sa tour » et tombe dans le vide.

Jean-Luc Cappozzo à la trompette et Benjamin Duboc à la contrebasse interprètent aussi avec talent l’architecte mourant et son fils dont Solness ne veut pas se séparer, car c’est lui qui dessine les plans. Philippe Hottier,  tour à tour impérieux, vicieux, retors et misérable incarne un Solness usurpateur du talent d’autrui. Mais Éléonore Jonquez ( la jeune fille Hilde, au jeu monocorde et impérieux est trop linéaire. Malgré la longueur du spectacle-trois heures-aéré par un petit entracte pour  changer le décor d’une scénographie simple et remarquable de Marguerite Rousseau, on ne décroche pas un instant.

Edith Rappoport

Théâtre de l’Opprimé,le  21 décembre et en tournée en Normandie, jusqu’au 18 avril.


Archive pour décembre, 2012

Rabah Robert

Rabah Robert de Lazare,

Étrange titre,  pour un  étrange spectacle que ce troisième volet d’un triptyque conçu par Lazare, artiste singulier et passionné qui poursuit un  parcours entamé depuis 2006 avec Passé-je ne sais où. Il revient avec ce spectacle, pour lequel il avait reçu une bourse de création,qu’il avait  mis en lecture à la Fonderie du Mans et aux Bouffes du Nord, dont le premier volet avait été créé à l’Échangeur de Bagnolet en février 2009.
 Le deuxième volet Au pied du mur sans porte , créé aussi à l’Échangeur en 2010 où apparaissait Libellule enfant, une incarnation de Lazare devenu adulte dans Rabah Robert. Libellule est face à son enfance en Algérie, face aussi à la disparition de son père assassiné pendant la guerre. Sa mère  a dû affronter l’émigration, nourrir ses enfants de mets innommables mais elle se levait  la nuit pour peindre des tableaux à la Van Gogh.
Nous sommes engloutis dans un flot d’images étonnantes, parfois  difficiles à capter, mais l’on sent une douleur violente exprimée par un choeur magistral de neuf acteurs. Cette errance dans un passé douloureux se  perd dans des méandres mystérieuses.
Rabah Robert
a été créé au festival Mettre en scène de Rennes et devrait être repris ultérieurement avec les deux premiers volets du triptyque dans un lieu plus vaste que la chaleureuse petite salle du Studio Théâtre de Vitry, qui nous réjouit toujours avec ses ouvertures mensuelles.

Edith Rappoport

http://studiotheatre.fr/rabah-robert.html

Desh -

Desh chorégraphie et interprétation d’Akram Khan.

Les passionnés de la danse khatak seront sans doute déçus en découvrant le solo du chorégraphe. Akram Khan a souvent réussi à associer le kathak tradtionnel à la danse contemporaine, avec des artistes venus d’univers très variés, de Sylvie Guillem à Juliette Binoche, jusqu’à Dany Boyle qui lui a confié un travail chorégraphique  pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Londres.
Pour ce voyage dans sa mémoire personnelle et dans l’imaginaire collectif du pays de ses parents, le Bengladesh, il a choisi un solo très peu… solitaire, car ce « livre pop-up dansé » demande une importante collaboration artistique.
La fable écrite par  Karthika Nair, sans doute un peu trop bavarde, nous transporte  de Londres,  ville où est né le danseur, au pays de ses racines.. Certains textes, en voix off (en anglais surtitré) sont superflus, tant la scénographie, la musique et la danse d’Akram Kahn ont un pouvoir évocateur. Jocelyn Pook, a conçu une bande-son très  impressionnante, en mixtant, par exemple, les bruits d’un carrefour encombré de Dacca, et des chants liturgiques, ou des musiques à la Phil Glass.
La scénographie de Tim Yip, associée aux lumières de Michael Hulls est d’une grande beauté, avec  des projections vidéos de dessins, soit en avant-scène sur un rideau de tulle transparent, soit sur le mur du lointain qui emporte le public dans le bonheur d’une nature rêvée faite d’arbres et d’animaux, ou dans la violence d’une émeute urbaine.
Les lumières viennent magnifier un rideau de lanières de tissus qui descend des cintres. Toute l’équipe technique est au service de ce livre poétique animé. Akram Khan joue et danse seul sur scène, avec une belle énergie. Très émouvant quand, dans un exercice que ne renierait pas Jacques Lecoq, il incarne son père, dont il a dessiné  le visage sur son crâne glabre, que, penché en avant, il offre au public.
En dansant, il retrouve  les gestes du métier de cuisinier de son  père. Pendant  quelque deux heures, le danseur maîtrise parfaitement le plateau, esquivant des passants ou des voitures imaginaires,  ou montant à la canopée des arbres. Quelques objets ponctuent l’évolution de cette exploration dans le temps et dans l’espace. Une masse, frappée violemment au sol, ouvre le spectacle, et un petit arbre souligne l’importance de la terre, symbole de ses racines. Il trône au milieu de la scène avant d’être détruit, lors d’un conflit avec son père.
Une lampe à huile, portée d’un lieu à l’autre, fait le lien entre les scènes. Des chaises de dimensions différentes transforment le danseur, en un enfant perdu dans ses repères, comme s’il ne savait plus où il était. Son corps retrouve furtivement les pas du khatak, pour ensuite redevenir signe, en ombre chinoise. Il est emporté à la fin du spectacle, par une bourrasque de vent et souligne ainsi la rébellion de la nature, dans  un Bengladesh sculpté par la confrontation de la terre et de l’eau.
L’ensemble de cette création, constitue  un superbe théâtre mais finalement plus visuel que dansé…

Jean Couturier

Théâtre de la Ville jusqu’au 2 janvier.

Voilà Godot

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Voilà Godot  de Minori Betsuyaku, en japonais, surtitrage en français d’après la traduction de Kaori Oku et Benjamin Giroux, mise en scène de K. Kyama.

Minori Betsuyaku dont la Maison du Japon avait déjà programmé La Maladie il y a deux ans, revient avec une suite de la célébrissime pièce de Beckett, pour laquelle il a reçu plusieurs prix japonais.D’abord influencé à la fois par Kafka et bien évidemment par Beckett dont il a découvert l’œuvre quand il était encore étudiant,  il a écrit quelque 130 pièces!
« Nous, les étudiants, dit-il,  commencions à sentir la limite du théâtre réaliste destiné à exprimer les pensées socialistes et qui avait pour objectif de parvenir à la révolution étouffions, dit-il,dans cette atmosphère où le théâtre était conditionné par des idéologies. En découvrant le travail de Beckett, j’ai senti une sorte de libération car le théâtre n’avait plus à traiter les problèmes sociaux et politiques, mais pouvait exister en exprimant le drame de chaque individu ».

Le dramaturge a été aussi très attiré par la conception de l’espace qu’avait Beckett, c’est à dire une scène presque nue, ce qui devait être une découverte au Japon et représenter quelque chose d’ attirant pour les jeunes auteurs de sa génération. Pour ce Voilà Godot, il  y a juste un poteau électrique, une petite table, et une station de bus , bien décrites dans les didascalies. Ce qui casse l’horizontalité propre à la scène du kabuki  et du nô, et Betsuyaku qualifie ce type d’espace de « localisé ». Comme il y avait, dans la pièce de Beckett, un pauvre arbre solitaire, ce qu’a parfaitement respecté K. Kyama dans sa mise en scène. Et il a eu raison.
On retrouve dès le début les deux clochards célestes que sont Vladimir et Estragon puis Pozzo et Lucky, que l’on reconnaît avec sa corde au cou, sa vielle valise et son pliant.
Mais-et c’est évidemment nouveau- il y a aussi aussi des femmes comme cette vieille dame qui attend éternellement l’autobus, ou ces deux jeunes préposées à l’accueil  d’abord secrétaires puis infirmières et enfin assistantes d’une entreprise de pompes funèbres qui ont un mal fou à inscrire correctement le nom de Godot: Goro, Gobo, Gozo… Et Godot a cette réponse fabuleuse: « Ecrivez quelque chose avec un point d’interrogation. Comme çà, je serai inscrit « . Ou encore cette jeune mère qui trimbale un garçon déjà grand dans un landeau dont Pozzo dit:  » Elle l’a regardé, puis elle lui a demandé : « Vous êtes Monsieur Vladimir ? » et après ça, elle a dit : « C’est votre enfant » en montrant le bébé dans la poussette. Lucky. – Alors, lui, il a dit : « Sauve qui peut » donc on s’est sauvés, mais en y repensant, c’est parce que ce n’est pas moi qui suis Vladimir, mais c’est ce…
Disons tout de suite que c’est un travail d’une intelligence exceptionnelle, empreint d’un humour et d’une espièglerie merveilleuse. C’est un peu comme si on retrouvait de vieilles connaissances un peu perdues de vue-on ne joue pas En attendant Godot  si souvent que cela-et dont on va connaître les nouvelles aventures.
Et tout de suite, les premiers dialogues ont une incomparable saveur et une absurdité dont on peut se dire que Beckett les aurait sans doute appréciées. Godot est enfin arrivé mais le seul ennui c’est qu’après avoir été tellement attendu, il n’intéresse plus grand monde.
Et c’est de cela,  dont parle précisément la pièce de Bestsuyaku, traité par K. Kyama avec une profonde rigueur et en même temps avec un humour de tout premier ordre. On ne peut tout citer de ces dialogues burlesques mais,  à la fin, on peut se douter que Godot restera un éternel incompris: » Rien à faire, dit-il, . Ils ne veulent pas comprendre que c’est moi Godot, et que je suis là…et Estragon lui répond. – Mais j’ai compris : vous êtes Godot et vous êtes là… et Godot de répliquer. – Vous voyez ? Il ne comprend rien… »
La direction d’acteurs comme la mise en scène de K. Kyama qui, comme on s’en était tout de suite aperçu, nous a dit  avoir pris pour modèle le théâtre nô, possède une force comme on n’a guère l’habitude de voir sur les scènes occidentales. Le plus petit déplacement, le moindre geste: tout est d’une fluidité et d’une justesse ! Et il y a un souci du détail qui n’oblitère jamais en rien le rythme général de la pièce.
Le public, en majorité japonais mais aussi français, a longuement applaudi ces acteurs  qui possèdent un métier exemplaire. En particulier, Yuga Yoshino qui joue Godot avec une subtilité et une intelligence des plus rares. Le salut, entre autres exemples, qui est  la dernière image que l’on garde d’un spectacle,  est ici réglé avec élégance et efficacité, ce qui est  rarement le cas en France! Une belle leçon de théâtre…
Vous ne verrez malheureusement pas ce spectacle joué seulement deux fois qui s’en va ensuite à Berlin. Et c’est vraiment dommage et incompréhensible qu’aucun théâtre français n’ait pu le programmer… Espérons pour une autre année qu’un  grand théâtre français puisse  accueillir le spectacle
!
Merci en tout cas à nos amis japonais de nous avoir offert ce sublime cadeau de Noël.

Philippe du Vignal

Maison de la culture du Japon à Paris les 13 et 14 décembre.

L’Omme vit très bien toute seule

L’Omme vit très bien toute seule, et Contre les bêtes, de Jacques Rebotier

 

Vite, une heureuse surprise à la Java, (105) rue du faubourg du temple. Pour quelques soirs, une autre danse anime le plancher du célèbre bal. En deux volets, Jacques Rebotier, poète, musicien, artiste multi instrumentiste, lance le chant funèbre, en un lyrisme plein d’humour et de rudesse, des espèces en voie de disparition. Honte à l’Omme – c’est ainsi qu’il écrit le nom de l’espèce humaine, sous les espèces de ce qu’il exècre -. Honte au prédateur numéro un. Dans la première partie, due à Hélène Mathon, la parole se distille goutte à goutte, au fil des images, et s’incarne peu à peu de fort gracieuse façon. Sur un écran ouvert à toutes les insinuations, on le verra, est projeté le film (de Christophe Archambo) d’une nature vue au plus près, herbes et eaux, incrusté de bestioles qui ont le charme des illustrations pour enfants. La comédienne, en douceur, glisse dans les interstices la parole impitoyable de Jacques Rebotier. Elle apparaît peu à peu, fait corps avec cette nature projetée, devient naïade, dryade, vouivre, fée des roseaux. Tout contre les bêtes : le charme d’une poésie écologique.

Dans la seconde partie du spectacle, Jacques Rebotier reprend la parole et son écologie poétique. Contre les bêtes, c’est un discours, un pamphlet, un chant de colère devant ce que l’Omme a fait de la terre et du monde, poussé sur le terreau de Rabelais. On est bien obligé d’inventer une langue, pour dire la réalité inédite du monde : adaptez-vous ou disparaissez ! C’est valable aussi pour les hommes, s’il en reste. Jacques Rebotier compte des moutons qui ne font pas dormir, fustige le classement entre “utiles“ (à qui ? ) et “nuisibles“, embrasse la cause des puants, des sauvages, des lucioles et des « pipaillons ». Il joue son poème, le danse, s’énerve qu’on chante encore « le loup, le renard et la belette » dans un pays où l’on serait bien en peine d’en voir. Tout cela sur de misérables petits carrés de fausse herbe : voilà où nous en sommes avec la nature !

Une poésie vigoureuse, abondante, à dévorer de suite, sur place ou ailleurs : l’auteur garde Contre les bêtes à son répertoire.

Christine Friedel

La Java ––01 42 02 20 42 – jusqu’au 22 décembre

Image de prévisualisation YouTube

 

 

Tu tiens sur tous les fronts

Tu tiens sur tous les fronts d’après Christophe Tarkos, conception, musique et mise en scène de Roland Auzet

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© Emmanuelle Murbach

Ça commence par l’idée de deux. Le décor : une moitié noire, une moitié blanche. La musique : un piano que l’on voit, que l’on entend, mais pas de pianiste. Et deux acteurs, jumeaux et différents.
Hervé Pierre parle sans se faire prier,  dit les textes de Tarkos, et  Pascal Duquenne l’écoute (ou non): il ne dit mot mais n‘en pense pas moins. Ils dialoguent à leur façon, dansant, marchant sur les plates-bandes de l’autre, mettant les pieds dans son plat, ou dans son pot de peinture.
Car assez vite, le deux se complexifie et devient un pluriel. À la poésie simple et obstinée de Tarkos, répond le beau geste de peintre de Pascal Duquenne, traçant des cercles généreux, rouges, noirs, sur le papier  » que sa blancheur défend ».
La scénographie de Goury est attaquée avec un beau vandalisme, tout au long de la représentation, dont elle trace la durée : barbouillée, déchirée, crevée, traversée. Et puis le texte reprend le dessus. Cela parle de la vie, de la mort qui est bien nécessaire, d’être là, de se serrer la main, de se donner une poignée de main.
Du coup, à prendre les mots au sérieux, les acteurs le font : moment tranquille et souriant d’échange avec le public, et d’échange entre le mot et le geste. Et puis reprend la danse des deux augustes mais aucun des deux n’est le clown blanc. Ils se soutiennent, s’accompagnent. On dit de Pascal Duquenne, récompensé il y a quelques années à Cannes avec Daniel Auteuil pour son rôle dans Le Huitième jour, qu’il est un acteur « différent ». Certes, il l’est, du fait de son handicap.
Mais quand Pascal Duquenne  travaille avec Hervé Pierre-on voit à quel point   ce dernier -en congé de la Comédie Française-est sans cesse attentif à son partenaire.Lui aussi, est un acteur différent, ce qui après tout est la moindre des choses : qui irait voir jouer un acteur indifférent ?
Christophe Tarkos nous pardonnera ce jeu de mots à deux sous : ce n’est que minuscule hommage à son amour de la langue, à sa litanie presque artisanale, comme s’il rabotait la langue, non pour la rendre lisse au point qu’on en oublierait les aspérités, mais pour lui rendre la beauté de ses veines.

Pour en revenir au début : on assiste à un duo multiple, complice, jumeau, adverse, chien et chat, tendre dans l’affrontement (pour ne pas oublier tout à fait le titre, sur lequel il y aurait beaucoup à dire).
Une seule critique: il y a presque trop à voir et à entendre. On voudrait s’échapper sur la musique mais  la parole, le geste nous arrachent à elle, comme le travail plastique nous arrache parfois au texte. Mais qui oserait se plaindre de trop de générosité et de talents réunis en un spectacle ?

Christine Friedel

 

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers  jusqu’au 21 décembre. T: 01-48-33-16-16

 

Naissance

Naissance de Julien Guyomard mise en scène de Samuel Vittoz.

 


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Étrange et fascinante parabole que cette pièce aux thèmes archaïques et empreinte d’un grande noirceur, surgie d’une lecture de Nietzsche dont un extrait d’Ainsi parlait Zarathoustra est cité en exergue dans le programme. Julien Guyomard a bénéficié d’une résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon depuis en 2006 pour l’écrire.
L’histoire? Au sein d’une communauté paysanne, c’est la fin des récoltes. Tout le monde est réuni pour la fêter dignement mais aujourd’hui, l’heure n’est pas à la joie : les récoltes sont maigres, la famine menace et les familles ne s’agrandissent plus. Il se passe forcément quelque chose.
Pour conjurer ce qui semble être le mauvais sort, une sorte de prêcheur, » l’Ordonnateur » n’a qu’une idée : appliquer les préceptes du Livre saint, recueil des paroles de l’Immobile, la figure divine locale. « On fait n’importe quoi, rien ne pousse, sont frappés par l’Immobile ceux qui tentent d’altérer sa parole ».

Si ce livre est bien lu et que les prières sont bien faites, il ne pourrait  rien arriver de mauvais à ces pauvres paysans.Vertu du verbe? Mais, au milieu de la cérémonie, le fils du porteur d’eau, le dernier enfant du clan, découvre, par hasard, une partie cachée du recueil…
La pièce traite de ce qui fait parole démocratique et de la manière dont l’intelligence collective avance malgré la diversité  des points de vue. Au-delà de  l’interprétation des textes religieux, une question plus cruciale est sous-jacente, celle du comment vivre ensemble ? Les compagnons se révolteront par instants et une mère, violée, prostituée leur apporte la contradiction. Mais, à la fin de la pièce, une prise de conscience  va tous les amener  à reprendre la culture des champs abandonnés…
Malgré une langue savoureuse et dite avec une belle énergie par les comédiens (Gwendal Anglade, Jean-Baptiste Azema, Éric Charon, Damien Houssier, Éric Jovencel, Nans Laborde Joudàa, David Seigneur, Élodie Vom Hofe) qui, tous, maîtrisent bien leurs personnages, le public reste quelque peu  égaré dans les chemins obscurs où veut nous emmener Julien Guyomard.
On ne voit en effet pas vraiment  » les archaïsmes toujours à l’œuvre dans notre société contemporaine  qu’il veut nous nous montrer (…) mais qui apportent une « lumière de notre animalité et de nos comportements ».

Edith Rappoport

Spectacle vu au Théâtre de Vanves le 15 décembre.
Maison du Développement culturel de Gennevilliers du 23 au  25 janvier à 14h30 et 20h30, et le samedi 26 Janvier à 14h30.T: 01-40-85-60-92.
Château de la Roche-Guyon du 26 au 28 avril, T: 01-34-79-74-42

Neige noire

Neige noire,  conception, texte et mise en scène  de Christine Pouquet.

 

Dans un espace cerné de hautes  piles de valises, deux acteurs nous racontent la vie douloureuse et vibrante de Billie Holiday. Incarnée ici par Dominique Magloire, belle chanteuse noire qui joue les rôles féminins du spectacle, et, en  particulier, la mère de Billy  qui avait été abandonnée par son père, un grand guitariste de jazz parti dès sa naissance pour des tournées lointaines…
  Le spectacle met en scène plusieurs personnages traversent  la  vie chaotique de  Billie, née Éléonore Fagan,  qui va connaître la prostitution, la drogue, et le racisme impitoyable  que connaissaient les Etats-Unis,  en même temps que la célébrité qu’elle avait acquise dès quinze ans. Billie Holiday mourra en 1954.
Philippe Gouin, guitariste, joue aussi  le père de  l’artiste, ses souteneurs et ses amants, avec une belle vivacité. Le spectacle fascine les très jeunes enfants qui remplissent le Théâtre Dunois. Mais la violence de cette époque est décrite avec discrétion et Dominique Magloire interprète  superbement les airs rendus célèbres par Billie Holiday…

Edith Rappoport

Théâtre Dunois jusqu’au 23 décembre, T: 01-45-84-72-00

Le Mystère des mystères

Le Mystère des mystères d’après E.E. Cummings, mise en scène, scénographie et musique d’Alexis Forestier.

Le Mystère des mystères mystere-des-mysteresLe peintre et poète américain E. E. Cummings fut profondément marqué par la guerre 14-18 où il s’engagea comme ambulancier. Il sera plus tard accusé de pacifisme. Ami de Dos Passos, d’Ezra Pound, de Gertrud Stein, entre autres figures tutélaires il passait au crible de la moquerie, de l’ironie et de la satire, les relations des êtres entre eux et à la société en général. Mais avec la présence salvatrice de la nature et la rencontre avec l’amour. On pourrait le ranger–lui, l’inclassable Cummings-dans une continuité post-romantique épique.
Sa poésie fait la part belle à la création syntaxique, à un singulier et nouvel ordonnancement singuliers des mots et des phrases pour imposer un être-là à fleur de peau et sensible au monde. De cette leçon d’histoire littéraire et d’existentialisme, Alexis Forestier fait son miel et ouvre les manettes de la poétique  de Cummings qui procéde d’une vision à la fois prometteuse et catastrophique de ce début du vingtième siècle et du suivant….
Les inventions techniques et électroniques déferlent, le progrès s’affole et les habitudes et la pensée convenues sont bousculées : « Comment peut-on rester soi dans un tel monde ? Le temps immobile n’existe plus : l’électricité, les chemins de fer, les automobiles à essence imposent un bruit et une fureur qu’on n’avait jamais imaginés ».
Alexis Forestier conçoit son spectacle selon cet enchevêtrement des idées, de la pensée et du rêve, entre enfer et paradis. Avec un espace ouvert à la performance, à la gestuelle à la musique et au chant, une sorte de cirque où les interprètes jonglent et se balancent, d’un art à l’autre, d’un jeu à l’autre, d’un tuyau à l’autre.
C’est une jungle, au sens concret du terme, un assemblage de fils, de cordes, de micros, de tableaux, de panneaux et de paravents derrière on change de parure, et où on joue du théâtre d’ombres sur des écrans récepteurs de la vie qui va.
Des tables en déséquilibre, des tabourets et des chaises instables : l’esthétique de la fresque révèle le chaos infernal d’un monde où  on essaie d’avancer coûte que coûte. L’enchantement tient de l’ivresse des formes, de l’invention poétique et d’une musique libre et entêtante qui accompagne l’existence dans la solitude.
Une proposition de spectacle singulière, avec Cécile Saint-Paul, la cantatrice Elise Chauvin, Jean-François Favreau et le concepteur lui-même, manipulateur de fils à la magie scénique appropriée.

Véronique Hotte

Théâtre de L’Échangeur à Bagnolet jusqu’au 22 décembre, du lundi au samedi à 20h30, dimanche à 17h, relâche le 18 décembre.

Mein Faire Dame

Mein Faire Dame/Ein Sprachlabor, My Fair Lady/Un Laboratoire de langues mise en scène de Christoph Marthaler, spectacle en allemand et en anglais, surtitré en français.

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©judith schlosser

Dès le début, on est en plein décalage: un père Noël s’est assis  sur un piano à queue, et le public découvre un laboratoire de langues  très Allemagne de l’Est des années 70 et  traité  sur le mode  hyperréaliste par la scénographe Anna Viebrock qui a eu le souci du moindre détail.
A cour, un escalier mène au premier étage où, tout au long du spectacle sera prétexte à des jeux aussi burlesques qu’absurdes. Près de l’escalier, un exceptionnel chef de chant, à lunettes et aux cheveux longs  et au petit ventre moulé dans un pull-over beige à col roulé, joue presque constamment au piano.
Au centre, les cabines avec magnétophones à cassettes, micros et casques pour  les candidats à l’apprentissage des langues. Au-dessus d’une porte,  un écran plat vidéo anachronique diffuse des publicités anciennes et  parfois et furtivement l’image du metteur en scène. A jardin, une autre porte et un harmonium sur lequel joue la créature du docteur Frankenstein! Mais le sens de sa présence reste mystérieuse  pendant les cent dix minutes du spectacle…
De la fable initiale où M. Higgins, professeur de phonétique veut transformer par le langage Eliza Doolittle,  la jeune fille pauvre, il  reste peu de chose. Trois comédiens et trois comédiennes incarnent les deux personnages. Nous entendons, bien sûr, les airs les plus célèbres de cette comédie musicale mais aussi  de savoureuses  mélodies de musique classique: Mozart, Massenet, Wagner ou Schumann.
Les voix, que cela soit pour les mélodies de ces grands compositeurs ou pour les grands standards: Silent night ou Last Christmass,  sont toutes d’une grande beauté. Et gestes et mouvements  délirants mais très précis font  rire un public qui apprécie depuis longtemps les spectacles de Marthaler.
 Les personnages de ce spectacle joyeux et tendre à la fois, qui semblent être tous en décalage, semblent vivre une thérapie de groupe plutôt que suivre un cours de langue. Et la scène finale est  merveilleuse: chaque acteur  vient  au devant du public, marchant avec hésitation,  et commence à danser un semblant de valse fragile, miroir de ce que nous serons  à un âge avancé…

Jean Couturier

Ateliers Berthier jusqu’au 16 décembre

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