La Vénus au Phacochère

La Vénus au Phacochère de Christian Siméon, mise en scène de Christophe Lidon.

La Vénus au Phacochère  vpChristian Siméon, à quelque cinquante-trois ans, est à la fois sculpteur et auteur d’une quinzaine de pièces dont Le Cabaret des Hommes perdus,  pour laquelle il avait reçu le Molière de l’auteur en 2007.
Cette Vénus au phacochère (2012), écrite sous forme de lettres, retrace l’histoire de Misia Godebska, pianiste célèbre et épouse de Thadée Natanson qui avait fondé La Revue Blanche.
Misia s’était mariée trois fois et avait été l’amie-excusez du peu- de Lautrec, Vuillard et  Renoir mais aussi de Jarry et…  de Bergson que Thadée avait refusé d’engager pour tenir la chronique philosophique comme elle le lui avait pourtant demandé. Alors que Thadée Natanson  avait fait paraître De l’infériorité de la femme, un texte de Strindberg qui était  très misogyne comme nombre de ses contemporains.
Le grand  dramaturge n’hésitait pas à prétendre que « la femme n’est que le complément de l’homme. Que les inférieurs dépendent des supérieurs, c’est un bonheur pour le progrès et pour eux » (Sic). Un autre dramaturge, le grand espagnol Félix de Lope de Vega, un peu plus lucide, avait lui, écrit deux siècles avant: « La femme est le meilleur de l’homme »…
En 1896, crise dans le couple: à la première d’ Ubu-Roi au Théâtre de l’Oeuvre, Misia rencontre le richissime patron de presse Alfred Edwards qui veut absolument la séduire à tout prix, même si elle  ne supporte pas bi son cynisme ni sa  vulgarité.  Il lui offre sans arrêt colliers et bijoux comme si elle était à vendre. Mais on sent que Misia va  être obligée de faire le grand écart entre les deux hommes et c’est le début d’une histoire de séduction qui va évidemment tourner mal.
Elle finira par divorcer de Thadée Natanson et par épouser… Alfred Edwards. Le thème avait de quoi séduire un dramaturge comme Siméon et une actrice comme Alexandra Lamy qui avait déjà joué une pièce de lui. Elle interprète donc seule trois personnages: Misia, son mari Thadée et Geai Simson, une amie, créatrice de mode,  en lisant un ensemble de lettres qu’elle « découvre » un peu partout sur des chaises dorées de cocktail accumulées sur la scène.
Alexandra Lamy, sympathique à la scène comme dans ses films et très à l’aise, possède  une excellente diction, ce qui est toujours un atout non négligeable et avait, de toute évidence, l’envie de se confronter en solo à ce texte, ce qui est aussi un autre atout non négligeable.  Soixante minutes durant, elle s’adresse au public avec un savoir-faire certain. Mais si la forme du texte de Siméon peut rappeler Les fameuses Liaisons dangereuses, cet échange de lettres a quelque chose  de bien artificiel et l’énumération fastidieuse des dates d’envoi n’arrange pas les choses.
Alexandra Lamy s’en sort comme elle peut, c’est à dire difficilement. Mal dirigée par Lidon,  elle essaye d’être convaincante en en  faisant  des tonnes sur les plans vocal et gestuel. Ce que l’on apprend justement à tous les élèves-comédiens à ne pas faire, c’est le ba-ba du métier!
Mais miracle: comme cela arrive parfois au théâtre, dans le dernier quart d’heure, elle devient presque d’un seul coup, plus discrète et  plus juste dans son jeu; très émouvante, elle finit alors par nous emmener dans son aventure.
Alors à voir? A vous de décider. Mieux vaut quand même le savoir avant d’aller rejoindre le magnifique petit théâtre de Charles Dullin à Montmartre: les places sont  à 35, 28 et 15€! On ne voudrait pas être mesquin mais cela fait quand même cher pour un quart d’heure de qualité !  Enfin, si vous aimez beaucoup Alexandra Lamy… Quand on aime, on ne compte pas, comme disaient nos grands-mères…


Philippe du Vignal

Théâtre de l’Atelier, jusqu’au 16 février  du mardi au samedi à 20h  et samedi à 17h.


Archive pour 14 janvier, 2013

l’apéro mathématiques

 L’Apéro Mathématiques,  conçu par Mickaël Chouquet, Balthazar Daninos et Léo Larroche, mise en scène de Catherine Pavet et d’Anaïs Pélaquier.

 « Si on pouvait mettre les pieds dans la tête de chercheurs en mathématiques, à quoi ça pourrait ressembler ?  » Titre étrange  adossé au nom des Ateliers du spectacle dirigés par  Jean-Pierre Larroche: une nouvelle génération se pose de vraies questions scientifiques  qui rejoignent étrangement les questions artistiques. Les trois compères (Mickaël Chouquet, Balthazar Daninos et Léo Larroche) ont fait appel à vingt mathématiciens qu’on peut voir sur un grand écran, et qui vont répondre aux questions de Léo Larroche aux manettes de l’ordinateur.
On craint d’abord le pire, une conférence rasante sur vidéo  quand on voit ces chercheurs aligner des opérations incompréhensibles à la craie sur un tableau noir, mais, très vite,  ils déclarent tous qu’ils ne trouvent rien dans le secret de leurs laboratoires. « Les mathématiciens écrivent à la craie, mais ont-ils les mains blanches ? « .
Pour trouver une réponse à cette question,  ils font appel par Skype à deux chercheurs pour découvrir  » l’espace qu’on a dans la tête et la façon dont on se déplace « .  Mais personne ne répond! Nous devons quitter la salle à la recherche de leur « médote » , poursuivant notre enquête sur les gestes des chercheurs, pour nous retrouver face à face dans une galerie où deux cuisiniers préparent à toute vitesse  boissons et petits zakouskis avec un arsenal  de mixers et  de machines  dont il se servent  avec une étonnante dextérité.
Nous changeons plusieurs fois de salle, laissant la place à d’autres spectateurs, pour « aller chercher des choses qui ne sont pas là « . Un très beau final agreste avec une manipulation étonnante de plantes, nous rassemble tous. Les chercheurs pour chercher n’ont pas besoin d’un lieu particulier et cette très sérieuse question, posée avec beaucoup d’humour, se termine  à l’entrée de la salle par la dégustation d’un  jus de carottes et de délicieux zakouskis flambés…

Edith Rappoport

Anis Gras, 55 rue Laplace Arcueil, jusqu’au 19 janvier. T:01-49-19-03-29,
http://www.lelieudel’autre

ateliersduspectacle.org

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Fin de partie

Fin de partie dunnara_meas

© Dunnara Meas

Fin de partie de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon.

Nous vous avions déjà parlé de la belle mise en scène d’Alain Françon,  quand il avait monté la pièce au Théâtre de la Madeleine ( voir Le Théâtre du Blog septembre 2011). Fait rare, deux ans après, le spectacle est passé d’un théâtre privé  à  un théâtre public. Les choses ont évolué; le remarquable décor de Jacques Gabel est toujours aussi imposant, avec ses grands murs gris qui suintent le désespoir,  juste percés de deux toutes petites fenêtres carrées et trop hautes; et avec une porte sinistre côté cour qui mène à la cuisine - »trois mètres sur trois mètres »,  comme prend bien soin de  préciser  Clov, et où il ne cesse d’aller et venir.
Et y a toujours cette même jubilation comme dit Françon, à suivre « l’inventivité verbale et logique de ces disputateurs, leur vitesse de pensée-accrue par la brièveté  et  l’extrême économie des répliques ».On retrouve la célèbre phrase-culte du début prononcé par Clov, le regard fixe: ‘Fini, c’est fini, ça va peut-être finir », que l’on retrouve à la fin: « Bon, çà ne finira donc jamais, je ne partirai donc jamais ».
Françon a vraiment réussi à rendre très vivant ce collage de phrases loufoques avec ses magnifiques excursions dans une  langue triviale, comme dans ce formidable dialogue entre Clov et Hamm  » A moins qu’elle ne se tienne coïte- Coïte! Coite, tu veux dire. A moins qu’elle ne se tienne coite-Ah! On ne dit pas coïte -Mais voyons! Si elle se tenait coïte, nous serions tous baisés »- Et ce pipi?- çà se fait.
On ne dira sans doute pas assez combien Fin de Partie est aussi une réflexion sur le langage et le vocabulaire  quotidiens et sur l’existence, comme l’atteste cette réplique de Nell, joué par Isabelle Sadoyan: « Rien n’est plus drôle que le malheur ».

On retrouve les  interprètes de la Madeleine: Serge Merlin d’abord, immense acteur à la diction si particulière et à la gestuelle d’une précision absolue. Des esprits grincheux disaient le soir de la première qu’il jouait tout de la même façon,  que ce soit Thomas Bernhard, Beckett, etc… Ce qui est faux; Merlin  a un art étonnant de la nuance et atteint souvent   le sublime, même s’il est parfois moins convaincant vers la fin où on peine à l’entendre. Gilles Privat, qui  a succédé à Jean-Quentin Châtelain, est lui aussi excellent et met plus de nuances dans l’interprétation de Clov. Et il y a toujours le merveilleux Michel Robin qui joue Nagg, enfoncé dans sa poubelle et  perdu dans des rêves, et Isabelle Sadoyan.
Mais la salle de l’Odéon est sans doute trop grande pour accueillir Fin de Partie qui demande une vraie proximité entre le public et les acteurs. Que cela ne vous empêche  cependant  pas d’y aller-ce n’est pas si fréquent de voir un telle brochette d’acteurs aussi bien dirigés dans cette  dernière version proposée  par Beckett peu de temps avant sa mort, mais essayez d’être assez près de la scène.

Philippe du Vignal

 

 

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 10 février.

Pourquoi je ne suis pas née en Finlande

Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ? de Praline Gay-Para, mise en scène de Vincent Vernillat.

Pourquoi je ne suis pas née en Finlande praline-2 Seule en scène, Praline Gay-Para nous plonge  avec recul et parfois, avec humour, dans la guerre du Liban, pays qu’elle quitte en 75. La mort de Mariam en est le déclencheur. Cette seconde mère, partie dans son sommeil, réveille sa mémoire. Sous la pluie, elle porte la nouvelle à Wahid, neveu de la défunte. La trame du récit oscille entre l’absurdité de la guerre, par remémoration, l’arrivée en France, et le pays qu’elle s’invente, la Finlande, avec la question récurrente et qui taraude : pourquoi je ne suis pas née en Finlande ?
Là-bas, le Liban : est-ce la guerre qui rend fou, ou est-on fou d’abord ? Pourquoi a-t-elle commencé et comment est-elle partie ? Dix-neuf ans, la plage. Comment traverser la rue ? Comment rejoindre son amoureux, à l’autre bout de la ville ? Comment dormir, pistolet sous l’oreiller ?
Perte des repères,  peur, et tremblements. Occupation par Israël. La guerre transforme le combattant en assassin, sous les ordres du supérieur, goguenard. La première fois qu’on tue, on vomit, après, on s’habitue. Comme un rite d’initiation… Faut-il tuer pour être un homme ? « Celui qui est homme, dans ce pays, on dit qu’il est un âne »… dit la conteuse. Une ligne de démarcation on ne peut plus floue et que l’on peut franchir sans vraiment le savoir, passant du côté des déserteurs… Quitter le pays, par Damas ou par Chypre ? Ce pays, d’ordinaire sucré, feuilles de vigne farcies, gâteau aux dattes… a rendu fou.
Ici, la France: pluie, gris, mais où « je choisis qui j’aime et qui j’aime pas, et où je suis ma communauté ». Un rêve éveillé où Jésus, Mohamed et Moïse jouent au tric-trac, et trichent. Des nuits, pire que la guerre et ce fil permanent qui relie au pays, fil intérieur pour coudre ses déchirures, fil du téléphone, comme un cordon ombilical dans une cabine éventrée où les étrangers de Paris se suspendent, à l’écoute de leurs réalités : « Allo ! 19-961… pas de nouvelles… Allo ! 19-961… ils sont en vie! « . Et toujours le même rêve : « Pas les enfants »! Ne pas leur transmettre la guerre, « ils sont leur propre pays, leur propre langue, ils feront une autre histoire ».
L’ailleurs, la Finlande, comme une utopie… Il doit neiger, là-bas… Et le récit de cette mère qui tente de retrouver son fils, légende du pays, dans une lumière, vermeille comme le sang.
Un banc, trois néons verticaux et un jeu de miroirs, démultiplication de la réalité, pour cette seconde version du récit, scénographiée et éclairée par Samuel Mary.
L’histoire se superpose à celle de la conteuse, qui questionne le monde, et fait du théâtre-récit son territoire de travail. Praline Gay-Para  y excelle et donne de l’épaisseur et de la théâtralité au texte, qui, ici, dans sa conception, comme un éclat d’obus, se fragmente.

Brigitte Rémer

Confluences, 190 Bd de Charonne. 75020. Jusqu’au 19 janvier (sauf les 15 et 16).

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