Tristesse animal noir
Tristesse animal noir d’Anja Hilling, traduction de Silvia Berutti-Ronelt, mise en scène de Stanislas Nordey
Anja Hilling, est à trente sept ans l’une des auteurs les plus appréciés d’Allemagne. Avec Mon jeune cœur si jeune si fou, Sens, Anges ou encore Bulbus, elle s’est vite distinguée par l’originalité de sa dramaturgie.
Et cette pièce ne déroge pas à sa manière singulière: un récit où alternent didascalies et dialogues de six quadras urbains qui débarquent un soir d’été caniculaire dans une forêt, pour s’offrir un barbecue.
L’écriture, comme une caméra embarquée, capte, par le menu, la forêt desséchée par la chaleur, ses bruissements, couleurs et odeurs, le contenu du minibus et le déballage du pique-nique. Ou les conversations révélant les liens amicaux ou familiaux entre les protagonistes, leurs impressions intimes, leurs échanges acidulés comme leurs désirs exacerbés par l’alcool et leur émerveillement devant la nature.
Ils citent la célèbre maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright ou Walden de Thoreau… Ils s’endorment à la belle étoile, bercés par Always on my mind d’Elvis Presley que fredonne le chanteur de la bande.
Mais, au deuxième acte, cette comédie de mœurs vire à la tragédie. Le feu couve tel « un animal silencieux « … « Au début, on le savoure », puis: « On se sent comme un œuf dans un tourbillon de phosphore ». Cris, peur, panique, chaleur, sueur, douleur et soif… C’est le sauve qui peut. Dans une épopée hallucinée que l’écriture déroule au plus près des sensations, fouillant les corps comme le font les flammes. Les comédiens s’en emparent et transportent le spectateur dans le « giron du feu » . Une pluie de suie noire et argentée envahit bientôt le plateau.
Au troisième round, on compte les victimes, on enterre les morts (bêtes et humains) on soigne les plaies qui ne se refermeront pas. Les vies partent en lambeaux, comme la peau des brûlés… Le désespoir de l’homme est insondable face à la nature qui « est bien plus simple » et qui prend ici sa revanche.
Nous aurions aimé que la forêt, soit plus présente telle que la décrit l’auteure avec minutie: un univers bruissant de mille-pattes, scarabées, écureuils, martres, chevreuils… La grande et belle photo en fond de scène et les mille petites ampoules qui flamboient sur le plateau n’y suffisent pas. Pas plus que le tableau en relief du grand animal qui tombe des cintres.
La mise en scène de Stanislas Nordey est mécanique et raide. Il révèle le talent incontestable d’Anja Hilling et fait entendre son écriture si précise, si profonde, mais sa réalisation linéaire peine à trouver son espace et son rythme. Les acteurs, notamment Valérie Dréville, Thomas Gonzalez, Vincent Dissez, et Laurent Sauvage sauvent le spectacle de la platitude: ils habitent le texte et portent parfois les émotions à leur incandescence.
Reste un texte à lire comme un roman.
Mireille Davidovici
Théâtre de la Colline, 18 rue Malte-Brun, Paris ( XX ème) jusqu’au 2 février. T: 01 44 62 52 52.
Espace Malraux Chambéry : T. : 04 79 85 55 43.
Le texte est publié aux Editions Théâtrales et en version bilingue aux Nouvelles Scènes, Théâtre de la Digue.