Intégrale Buchner Woyzeck, La Mort de Danton, Léonce et Léna
Intégrale Büchner Woyzeck, La Mort de Danton, Léonce et Léna, traduction de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil, mise en scène de Ludovic Lagarde.
Büchner né en 1813 et mort du typhus vingt trois ans plus tard seulement-n’aura eu que peu de temps pour écrire ses trois pièces qui sont devenues depuis mythiques, sorte de phares de la création théâtrale contemporaine, et que tout metteur en scène rêve un jour de monter.
D’une intelligence et d’une sensibilité hors du commun, ancrées dans leur temps et pourtant d’une étonnante modernité, elles ne cessent de nous fasciner à la fois par leur scénario et leur dialogue. Et elles auront influencé nombre d’auteurs dont Brecht…
Woyzeck, la dernière (1837)- malheureusement laissée inachevée mais sans doute la plus montée,- a été inspirée à Büchner par un fait divers: l’histoire d’un crime passionnel, celui commis par un pauvre homme, simple soldat et amoureux d’une jeune femme, qu’ilva finir par la tuer à coups de couteau. Woyzeck, comme le dit très justement Ludovic Lagarde, est une exclu de la société comme on dirait maintenant, il n’a ni la culture ni le langage donc pas le pouvoir des mots des chanceux qui ont suivi des études. Ce n’est pas pour rien que les ouvriers typographes ont toujours été à l’initiative des mouvements révolutionnaires et une pièce de Dario Fô, un siècle plus tard aura pour titre: L’ouvrier connaît trois cent mots, le patron 1.000; c’est pour cela qu’il est le patron.
Le meurtrier Woyzeck, pauvre et désemparé face à l’injustice, comme le génial Büchner l’avait bien analysé, est la victime d’une société conformiste et obéissante aux principes moraux de l’Eglise toute puissante à l’époque: « Pauvres gens que nous sommes… Voyez-vous, mon Capitaine, l’argent… l’argent ! Celui qui n’a pas d’argent… Allez donc mettre un enfant au monde avec de la morale ! »
Il y a aussi chez le tout jeune auteur allemand d’étonnantes intuitions quand il cherche à peindre Woyzeck: « Chaque homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus ».
Cette intégrale Büchner n’obéit à aucune raison valable- on n’en voit pas bien le fil rouge- et dire que la première des trois pièces est maltraitée par Ludovic Lagarde est un euphémisme! Imaginez une scène-déjà trop vaste pour l’accueillir mais on aurait pu quand même la réduire et c’est un travail de scénographe qui n’ pas été fait- encombrée d’un décor sans intérêt: un salon bourgeois, avec quelques meubles et quelques chandeliers qui semblent perdus dans ce trop grand espace où il y a côté cour, un lit et une pianiste qui joue quelques airs-on se demande bien pourquoi, et, côté jardin, le grand bureau du médecin joué ici par une comédienne! Sans doute un clin d’œil freudien? Et, comme un bébé cela pleure, allons-y, les cris de celui de Marie sont sonorisés, même s’il couvrent parfois les dialogues.Si, si c’est vrai!
Dans le fond de scène, il y a une large bande, censée sans doute représenter l’extérieur, séparée par un écran de tulle/miroir sans tain, où quelques jeunes gens, à un moment, marchent au pas en file indienne et où aura lieu, dans la brume et les grondements de tonnerre, le meurtre de Marie. Les voix sont souvent sonorisées, ce qui renforce encore la distance et l’absence de corps des personnages que les comédiens, dans ces conditions , ne peuvent rendre crédibles un instant. Laurent Poitrenaux et Servane Ducorps, au demeurant excellents acteurs-mais ici peu ou pas dirigés par Lagarde qui semble s’être davantage préoccupé de faire de belles images-ne sont ici que l’ombre d’eux-mêmes. Cela dure l’éternité alors que la montre n’affiche que soixante minutes!
Cette mise en scène indigente dans un décor presque luxueux , alors que nombre de jeunes metteurs en scène ont monté la pièce avec trois bricoles mais non sans succès, est à la fois aussi peu intelligente que prétentieuse. On a échappé provisoirement aux images vidéo mais on ne perd rien pour attendre…
En fait, tout se passe comme si Lagarde, au lieu de faire simple, avait voulu faire compliqué et avait fait joujou avec la pièce, ce qui est très à la mode… Et donc rien, pas la moindre petite émotion, n’arrive à passer! Bref, un cas d’école pour tout apprenti metteur en scène. Livchine aurait sans doute dit: « Trois mois de prison sans sursis ». Nous ajouterons « avec obligation de regarder chaque matin de cette intégrale Büchner! ».
Après nous avons eu droit à vingt minutes d’entracte (il faut bien changer le décor!) puis le spectacle a repris avec La Mort de Danton, qui ne fut créée qu’en 1902 mais qui a été souvent montée, en particulier et superbement par Georges Lavaudant (voir Le Théâtre du Blog).
Sur le plateau, le même fond de scène ou à peu près, avec à la face, une porte à deux battant surmontée d’un œil-de-bœuf où on verra successivement en vidéo un œil humain inquisiteur qui regarde la scène, une cocarde tricolore, un vrai œil de-bœuf ou du moins d’animal, une trèfle puis un pique de carte à jouer et un couperet de guillotine… Et , l’image est agrandie en fond de scène quand on ouvre les portes pour que le public voit bien le dessin. Aussi bête que pathétique! Lagarde aurait pu avoir la gentillesse de nous les épargner ces ridicules petits inserts vidéo! Aurait-il eu peur que le public, sans doute considéré comme un grand benêt, ne comprenne pas bien que cette pièce en quatre actes traite des enjeux de la Révolution et de la Terreur des années 1790?Dans une chambre, il y a un lit très grande taille avec quatre oreillers où toute l’action va se jouer.
La pièce, construite en quatre actes, fait revivre Danton et Robespierre dont le positions révolutionnaires n’étaient pas identiques. Et Robespierre décidera, sans être vraiment sûr du bien-fondé de sa décision, d’éliminer son rival. Mais Danton, peu clairvoyant, est à peu près sûr que la Convention n’osera pas prendre une telle mesure contre lui et dit à son épouse qu’il a des remords quant aux massacres. Emprisonné, il devra en répondre devant les députés, et Robespierre et Saint-Just feront pencher le peuple contre lui dont le programme ne leur parait pas applicable. Danton et tous ses amis seront donc condamnés à mort. Sa femme Julie s’empoisonnera et Lucie, celle de Camille Desmoulins guillotiné à 34 ans, devenue folle, criera: « Vive le Roi » signant ainsi son exécution qui eut lieu un semaine plus tard…
La mise en scène de Lagarde-soyons honnêtes- a un peu plus de vie que Woyzeck mais reste statique, les personnages féminins sont ectoplasmiques comme les jeunes amis de Danton, et seul Laurent Poitrenaux a parfois de beaux moments, surtout vers la fin. Mais les environnements sonores des cris à la Chambre des députés qui se répètent, tournent au procédé.
De nouveau vingt minutes d’entracte, et on en revient à une scénographie comparable à celle de Woyzeck, pour Léonce et Léna, une sorte de conte non dénué d’amertume sur le sentiment amoureux racontée avec beaucoup de sensibilité par Büchner. Dans un royaume de fantaisie, Léonce, fils d’un roi un peu gâteux, fait une fugue pour ne pas être contraint d’épouser Léna, une princesse héritière qui a fui également sa famille. Büchner nous invite à une réflexion sur le pouvoir et sur l’amour à la Shakespeare.
Mais les deux héros finiront quand même par se marier. »Toutes nos vacations sont farcesques, disait déjà Montaigne « . Et La pièce est écrite dans un style tout à fait étonnant, loin de tout romantisme fleur-bleue: » Et maintenant, attention, mesdames et messieurs, les voilà à un stade intéressant, le mécanisme de l’Amour commence à se manifester. Plusieurs fois déjà, le monsieur a porté le châle de la dame, et plusieurs fois la dame a tourné vers le ciel un regard éperdu. A maintes reprises, tous deux ont déjà chuchoté : foi, charité, espérance ! Tous deux, déjà, donnent l’image d’un accord parfait, il ne manque plus que ce tout petit mot : amen ».
Ludovic Lagarde se sort un peu mieux de cette comédie, les personnages sont un peu plus vivants mais mieux vaut avoir déjà lu ou vu Léonce et Léna, si on veut comprendre un peu ce dont il s’agit… On regarde les scènes se succéder sans que là encore rien ne passe vraiment. Une bonne partie du public a déjà déserté; ce qu’il en reste pendant cette cinquième heure semble comme anesthésié. Les applaudissements ont été assez maigres et il y eut même quelques sifflets. Ce n’était pas volé…
C’est la même équipe de comédiens qui a officié dans les trois pièces pendant presque cinq heures et on ne peut que saluer leur travail. Mais plus jamais Lagarde avec Büchner! Maintenant si le cœur vous en dit… Mais vous n’y trouverez qu’une très pâle et mauvaise copie de ces trois pièces. Que sauver d’un tel désastre? Pas grand-chose sinon quelques belles images sur papier glacé! C’est, en tout cas, plus que dommage d’infliger un tel traitement à l’œuvre de celui que Jean-Christophe Bailly qualifie avec raison de « comète de la littérature allemande ».
Philippe du Vignal
Théâtre de la Ville jusqu’au 25 janvier.