Calme
Calme de Lars Norén, d’après la traduction de Camilla Bouchet, adaptation et mise en scène de Jean-Louis Martinelli
Lars Norén, à soixante-huit ans, a écrit plus de quarante pièces traitant le plus souvent de maladies psychiques, perversions sexuelles et relations conflictuelles, voire violentes, entre parents et enfants. Proche de Strindberg, Ibsen et Tchekov mais aussi de Bergman auquel il a succédé un temps à la tête du Théâtre National de Suède, il est maintenant bien connu en France et c’est sa quatrième pièce après Catégorie 3.1 en 2001 déjà, Kliniken (2007) et Détails (2008) que le directeur du Théâtre des Amandiers-Nanterre met en scène.
Calme est une œuvre déjà ancienne que Lars Norén a écrite à cinquante ans en 84. « C’est, dit Jean-Louis Martinelli, la plus autobiographique et il applique à sa famille, le même traitement d’écriture que dans Catégorie1.3″. Au bout du compte, Calme serait comme un concentré d’une vie de famille sur une journée… Avec, bien entendu, une bonne dose d’autobiographie et John représente Lars à 25 ans : «J’ai peut-être continué à développer ça : un œil d’enfant qui espionne, le détective privé de la famille», dit le dramaturge qui a eu une triste enfance: un père alcoolique, une mère esseulée et qu’il perçoit distante, et un frère rival parce que plus aimé. Calme ? Oui, après la tempête qui secoue les personnages de cette saga familiale, deux jours durant, où ils se reprochent leur solitude et leur manque d’amour. Mais, à la fin, pour continuer à vivre, seule solution: l’oubli : «On est obligé d’oublier. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? »
On n’est pas dans le réalisme, ce sont des moments de vie accolés sans que l’auteur nous raconte réellement une histoire. La pièce rappelle Automne et Hiver où Lars Norén analysait la vie de quatre personnages qui finissaient par révéler les non-dits jamais exprimés et enfouis dans leur inconscient: le père, la mère et les deux filles dont la plus jeune se révoltait.
Ici, cela cela se passe dans un hôtel-restaurant au bord d’une plage -les parents de Norén étaient restaurateurs- et quand la pièce commence, Ernst, le père qui a la cinquantaine, téléphone à quelqu’un de sa famille pour le supplier de l’aider financièrement à renflouer son entreprise que les clients ont désertée. Au bord du dépôt de bilan, il lui faut très vite rembourser 3.000 couronnes, sinon, il devra vendre son unique bien. (Cela a des airs de La Cerisaie qu’une famille va être obliger de quitter… )
L’unique serveuse, comme on l’apprendra dans une scène suivante, n’a pas été payée depuis deux mois! Et Ernst, sans être jamais vraiment ivre, va trop souvent à la cave pour se consoler à coups d’aquavit. Sa femme, atteinte d’un cancer, sait qu’elle n’en a plus pour très longtemps. Quant à leurs fils, John est vaguement poète et vit à Stockholm, probablement d’expédients et Ernst lui envoie de l’argent en cachette. Ce que découvre et lui reproche avec violence Ingemar, son autre fils qui va emmener sa mère Léna à la clinique pour connaître le résultat de ses derniers examens. Bref, l’atmosphère est lourde dans cet hôtel déserté et un peu minable dont la salle à manger donne sur la mer.
Ernst et Léna, un vieux couple n’a pas divorcé et les enfants devenus grands sont restés leurs enfants, même si John n’a pas donné de ses nouvelles depuis plusieurs mois et si Ingerman n’est pas spécialement tendre avec son père qu’il accable de reproches. Bref, que du très banal! Et il y a, dans cette longue journée, comme une sorte de catharsis familiale; tous les quatre auront pu enfin se parler et un indispensable dialogue aura eu lieu.
Rien, bien entendu, ne sera réglé pour autant mais la vie continuera, pas très brillante, avec sa cohorte de bonheurs et malheurs: Léna mourra dans quelques mois, c’est désormais une certitude. John restera sans doute un poète raté incapable prendre sa vie en mains, Ingemar aura le plus grand mal à quitter cette maison qu’il a pourtant en horreur. Et Ernst restera jusqu’au bout avec sa femme désormais en phase terminale comme on dit… L’hôtel-restaurant fermera et la femme de chambre sera au chômage.
Mais, au moins, les choses auront été dites et comme le remarque finement Jean-Louis Martinelli: « C’est l’apaisement après la crise, parce que l’énonciation a pu se faire ». Bref, il y a de la fonction « phatique » dans l’air: on parle, on parle même beaucoup, presque toujours dans un dialogue à deux où émergent alors tous les anciens non-dits jamais proférés comme dans une famille après un décès. Mais ici, léger bémol: le décès n’a pas encore eu lieu…Et c’est passionnant et sans doute là, dans cette frange entre la vie et la mort, l’émotion est la plus palpable…
Après l’entracte, on retrouve la même famille mais sur la plage figurée par une grande toile-photo. La confrontation devient plus dure et tourne même au pugilat entre les frères, devant une mère affaiblie qui distribue déjà ses vêtements et qui va trier ses papiers avant sa disparition programmée par les médecins. Même si Ernst lui dit qu’ils auront de petits enfants et qu’il fera tout pour qu’elle s’en sorte… Mais y croit-il lui-même? On ne le saura jamais. Une des dernières phrases de Léna à son fils fait froid dans le dos: » Je vais mourir, John et tu vas être obligé de te débrouiller tout seul ».
La mise en scène de Jean-Louis Martinelli est exemplaire d’intelligence et de précision et sa direction d’acteurs sans défaut. C’est un beau travail sur le texte et sur l’interprétation que l’on peut en donner: Delphine Chuillot, Jean-Pierre Daroussin, Alban Guyon, Christiane Millet et Nicolas Pirson sont tous les cinq remarquables de vérité. Aucune criaillerie, aucun effet inutile, aucun cabotinage mais la vérité d’une vie familiale recréée à quelques mètres de nous. Les spectateurs, très attentifs, écoutent ces discussions comme celles de proches parents…
Sur le grand plateau de Nanterre, le metteur en scène a réussi à créer une sorte d’intimité entre les personnages mais aussi une belle complicité avec le public. Mais l’entracte, sans doute nécessaire vu la longueur du texte, casse le rythme et la dernière heure, malgré la montée des antagonismes, peine à trouver son rythme. Sans doute, tout a été dit et on a un peu de mal à garder son attention une heure de plus. Mais la tentative de ces êtres pour parvenir à une sorte de vérité personnelle est tout à fait impressionnante et l’on sort de Nanterre, comme libéré et finalement assez heureux.
Vraiment, allez-y (neige ou pas neige, la navette fonctionne bien) et vous ne le regretterez pas.
Philippe du Vignal
Théâtre des Amandiers-Nanterre, ( Hauts-de-Seine) jusqu’au 23 février.