La Ville
La Ville d’ Evgueni Grichkovets, mise en scène d’Alain Mollot.
On ne rate pas un spectacle de Pierre Trapet et nous n’avons jamais oublié Les Chaussures de Madame Gilles: c’est sans doute le spectacle qui nous a fait le plus rire de toute notre vie de critique…
On ne rate pas non plus Pierre Trapet acteur, qui joue ici dans La Ville, une pièce écrite par un Sibérien de 46 ans, Evgueni Grichkhovets, qui montre un jeune Russe d’aujourd’hui, rêvant de quitter sa ville et sa vie maussade, et de partir à l’aventure, comme son ancêtre Tchichikhov, le héros des Ames mortes de Gogol.
Mais bougera-t-il? Du côté des forces d’inertie, il y a sa femme casanière, son copain rivé à sa maison en travaux, et son père à qui il doit son emploi.
Il y a aussi sa propre inertie, car notre agité descend aussi d’Oblomov, le personnage du roman de Gontcharov, qui a un penchant naturel à l’apathie. Le ton général de La Ville est comique et le personnage se débat avec des stylos qui ne marchent pas, des papiers en bazar, un copain qui vient le taper et boire son alcool, un chauffeur de taxi retors, et son père aimant mais aussi glaçant que celui de Dom Juan.
Pierre Trapet, dans le rôle du père, a tous les talents : concentration, diction, modulation du rythme et du volume de la voix, intensité des silences. Et Bruno Paviot, Philippe Millat-Carus, François Roy sont tous excellents dans le registre comique mais Yola Buszko qui joue la femme du héros, est moins convaincante; le rôle est ingrat et ce personnage de femme au foyer n’est pas dans le ton comique de la pièce (il manque sans doute un deuxième personnage féminin en contre-point du premier).Alain Mollot a le sens de la scène et dirige très bien ses acteurs: le spectacle est donc efficace et bien rythmé.
Raymond Sarti lui a inventé un double espace: intérieur au premier plan et urbain en fond de plateau, espace vivant, mobile, comme en écho à la mobilité intérieure du héros. Les costumes de Nadia Léon ont une remarquable unité de teintes et de textures, et la musique de Gilles Sivilotto, dans le ton de Nino Rotta, ponctue avec subtilité les changements d’ambiance.
Un vrai plaisir partagé. Petit baromètre : la jeune spectatrice qui était devant moi, a pouffé de rire pendant tout le spectacle…
René Gaudy
Théâtre Romain Rolland de Villejuif jusqu’au 28 janvier. T : 01-49-58-17-00
Les Juifs de Lessing, traduction de Jean-Louis Besson et Jean-Louis Jourdheuil, mise en espace d’Olivia Kryger.
La pièce de Lessing bientôt de retour ? Olivia Kryger vient de la mettre en espace au théâtre de l’Atalante. Une grande première, car la pièce n’avait jamais été traduite en français, et jamais jouée en France.
Le public a découvert une excellente pièce comique, passionnante pour l’histoire du théâtre: c’est une suite de la commedia dell’arte en pays germanique et (peut-être) la première représentation positive des Juifs dans la littérature dramatique.
Le défrichage/déchiffrage de la pièce par Olivia Kryger est prometteur, et on espère qu’elle pourra bientôt la mettre en scène.
R. G.
La pièce est éditée par Circé/théâtre, 118 p. 10 euros.