Au cabaret Tchekhov

Au Cabaret Tchekhov, mise en scène de Rainer Sievert

Au cabaret Tchekhov lours-bisLe public s’installe sur un coin de table, comme au bistrot de la place du village, face à des tréteaux disposés en demi-cercles. Au loin, derrière un tulle qui apporte de la profondeur, on  peut voir la campagne de l’autre côté du bourg. Pépiements d’oiseaux et grand vent, en introduction… Un jeu de miroir et de clair-obscur. Vous avez dit atmosphère ? Ici, Radio-Moscou, clame le transistor.
De partout, en mobylette, à pied ou en vélo, arrivent comédiens et musiciens, comme un groupe de potaches, et prennent position. Un narrateur, Tchekhov lui-même… fil conducteur de la soirée, lance de langoureux: « Public, ma beauté » . Côté cour, le trio tzigane (Frédéric Pradel, alto ; Fabian Suarez, percussions ; Arnaud Vilquin, piano, étudiants/musiciens du Pôlesup 93) ne quitte pas son tréteau; il chauffe la salle, puis souligne l’action et joue la nostalgie, au fil de la soirée.
La soirée est  composée d’extraits des Carnets et des Nouvelles d’Anton Tchekhov ,  et des Plaisanteries en un acte, comme les nommait l’auteur, et qui continuent de faire rire. La Demande en mariage et L’Ours, traduits entre autres par  Elsa Triolet.. « Vos contes sont des flacons élégamment taillés, remplis de tous les arômes de la vie »,  disait Gorki à Tchekhov.
Numéros et intermèdes se succèdent, généreux et populaires dans des lumières de Wilfried Schick : le grand magicien de l’Oural, moujik sorti tout droit de sa taïga, accouche d’une souris et sort un ours de son chapeau ; le noyé, tête plongée dans un saladier, est en apnée ; la princesse et sa cour s’exposent au ridicule ; le combat entre l’homme et sa chaise longue est à égalité ; la matrone, professeur de danse, fait de gracieux piqués jetés à faire déborder l’eau du bain ; la levée des poupées russes, symphonie pour pince à linge et déshabillage ,convie Buster Keaton ; et un condensé de l’histoire de Russie nous est donné à entendre, tsar après tsar, et jusqu’à Nicolas II, le favori.
  « Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça… !  » petites phrases sorties de leur contexte, pour faire vivre Tchekhov.  Le soupirant de La Demande en mariage, faussement tiré à quatre épingles et l’homme de L’Ours qui vient récupérer sa dette auprès de la veuve, grande coquette éplorée ajoutent au mélange des genres. Le premier, sur la question de savoir à qui appartiennent Les Prés-du-bœuf, fait tourner la demande en risible affrontement face à la  jeune fille qui revoit sa copie, et qui troque  son  grand tablier bleu  pour  la robe coquelicot de ses fiançailles espérées. Le second écope dignement des coups d’une dame en superbe robe noire, non moins digne et méprisante, sur fond de convocation en duel et de leçon de tir...
Partage de vodka et grignotage avec les spectateurs accompagnent ces petites révolutions de chaumière, menant à l’anomie, entre gouaille, pitreries et absurdités. Les comédiens: Marc Allgeyer, Damiène Giraud, Maria Gomez, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet et Jean-Pierre Rouvellat, en personnages anachroniques, se régalent et le public se laisse encercler par ce jeu dans le jeu et applaudit aux numéros, comme au cirque ou  au cabaret.
Le Collectif du Centre dramatique de La Courneuve, longtemps piloté par Christian Dente, poursuit sa route sous la direction  de Maria Gomez. Il  avait présenté en 2010, Tchekhov côté Jardins, en plein air, (voir Le Théâtre du Blog) dans une mise en scène de Rainer Sievert à qui cet univers réussit bien. Le Collectif continue à témoigner sur le monde et la condition humaine, avec lucidité, acidité, tendresse, et humour  comme clé de voûte.
Loïc Loeiz Hamon, conseiller artistique et créateur des costumes du spectacle, scénographe et graphiste de la troupe depuis 84, a rejoint le vent… Ses dessins et maquettes, tels des feuilles envolées, posées ça et là dans le hall du théâtre, parfois froissées, toujours vivantes, balisent la route du spectateur jusqu’à la salle. Salut l’artiste !
Et la chanson Good bye Lénine du début du spectacle, repart en boucle et de plus belle, quand le public  applaudit et quitte la salle…

Brigitte Rémer


Au Cabaret Tchekhov, mise en scène de Rainer Sievert.

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Le Centre Dramatique de La Courneuve est une vraie compagnie, avec une troupe permanente comme il n’en existe plus, née en 73 d’un Studio d’art dramatique qui se professionnalisa rapidement sous la direction de Pierre Constant, grâce au soutien de Robert Moulin son fondateur aujourd’hui disparu,  et de la ville conduite à l’époque par James Marson.
Pierre Constant les avait emmenés de succès en succès,  depuis Les Troubadours, Le Jeu de Robin et de Marion, Le Cirque impérial, etc., des spectacles musicaux et acrobatiques qui remportèrent de vrais succès populaires au Festival d’Avignon, à Chaillot et dans bien des tournées internationales. Pierre Constant les ayant quittés en 1981, la compagnie se retrouva sans metteur en scène, mais  choisit de continuer sous d’autres directions, Mehmet Ulusoy pour Pantagruel, Christian Dente à plusieurs reprises pour Cosmos, Gens de Dublin, Nouvelles d’Odessa, L’Invasion comique
Il y eut ensuite d’autres metteurs en scène comme  Patrice Bigel, Jean Maisonnave, Arlette Bonnard, Alain Enjary…, sous la direction de Dominique Brodin, l’un des comédiens disparu en 2008. comme avant lui, Robert Moulin, Christian Dente, Mehmet Ulusoy… Et la compagnie  vient aussi de perdre son décorateur Loïc Loïez Hamon!  Dont les grandes maquettes  d‘ En coup de vent  sont suspendues à l’entrée du Centre Culturel Jean Houdremont, au pied de la Cité des 4.000 où se joue  ce  Cabaret Tchekhov. Le Centre Dramatique de la Courneuve aura ainsi monté plus d’une quarantaine de spectacles qui ont connu de vraies tournées avec une  équipe de comédiens fidèles.
Au Cabaret Tchekhov, nous sommes  assis sur des  tabourets  autour de  tables rondes, sous un chapiteau figuré par des rubans, face à une cabane foraine rustique, flanqué de toilettes de campagne. Un cuisinier,  devant son échoppe,  prépare des mets qu’on viendra nous servir, et c’est lui qui orchestre la soirée.
De courtes séquences extraites des merveilleux Carnets et des Nouvelles d’Anton Tchekhov, médecin dévoué aux pauvres gens, alternent avec ses célèbres petites pièces que sont L’Ours et La Demande en mariage. Les personnages féminins incarnés par Damiène Giraud et Maria Gomez, comédiennes mûres et bien en chair, donnent une saveur incomparable à ces courtes pièces souvent jouées. Marc Allgeyer, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet et Jean-Pierre Rouvellat sont leurs  partenaires efficaces.
Nous savourons pleinement l’humour d’un des plus grands auteurs  du XIXe siècle,  dont les pièces ont été si souvent reprises en France, surtout pendant toute la seconde moitié du XXe siècle et maintenant.
Un spectacle rare que les institutions théâtrales devraient accueillir…

Edith Rappoport

Centre  dramatique Jean-Houdremont, La Courneuve, jsuqu’au 27 janvier.

http://www.centredramatiquedelacourneuve.com


Archive pour 28 janvier, 2013

N’être pas né

N’être pas né d’Yves Cusset, « tragédie comique en prose ordinaire« , mise en scène de Philippe Touzet.

N'être pas né netrepasne-40x60Yves Cusset reprend le début de la phrase bien connue de Cioran: « N’être pas né, quand on y songe, quel soulagement, quelle liberté, quel espace » pour baptiser son quatrième solo.
Le comédien/philosophe ou le philosophe/ comédien est une figure un peu à part dans le domaine du spectacle, encore qu’il ne soit pas le premier à passer de Normale sup (entre autres Jacques Nichet, et plus récemment Myriam Marzouki) avec agrégation et thèse de philo,  à l’univers de la scène  moins luxueux et semé de coups tordus.
Auteur d’un remarquable essai consacré au philosophe Habermas, Yves Cusset continue à enseigner la philosophie politique à Science-Po Paris.

Dans une des petites salles pas très nette-fauteuils  délabrés, voire déchirés-fond de scène  noir mais griffé et température  des plus rafraîchissantes-du Théâtre de Ménilmontant, il nous donne à voir et à entendre un solo à la fois philosophique et comique, ce qui n’est pas incompatible…
Très à l’aise, en pantalon noir, chemise et pull-over rouges, il accueille, debout dans la salle, le public avec une grande gentillesse, comme les profs malins le font aux rentrées scolaires pour séduire des nouveaux élèves que l’on n’a jamais vus.  a quarante et un ans , on se refait Pas!
« Les spectateurs entrent, mais rien n’a l’air prêt : le régisseur s’agite sur scène, et le comédien, rentrant sur scène et s’apercevant à sa grande surprise que le public est entré prématurément, va dans la salle s’adresser à lui, en attendant que la scène soit prête », dit la didascalie du texte. Yves Cusset  bavarde  avec le régisseur. C’est assez conventionnel, et les lumières de la salle  qu’on laisse éclairée sont  sordides.

Le comédien a quelque mal, comme cela à froid, à être vraiment convaincant. Et  le contraire serait étonnant… Bref, ce prologue a quelque chose de raté qu’il faudrait revoir d’urgence,  mais ensuite, c’est un véritable feu d’artifice,  d’une intelligence et d’une force indéniable. Pendant une heure, avec une diction impeccable,  Cusset fait partager son étonnement philosophique au public.
C’est, aux meilleurs moments,  souvent aussi fort que, par exemple,  qu’une lecture de L’Expérience émotionnelle de l’espace de Pierre Kaufman mais… plus accessible et sans doute parfaitement adapté au solo et à un petit espace scénique… C’est un cocktail enivrant où la réflexion sur le parcours d’un être humain a la meilleur part.

Etonnement d’être sorti du ventre d’une mère pour être au monde, étonnement de faire le  grand écart entre le temps et l’espace, étonnement du mélange comique/tragique qui est à la base de notre vie quotidienne: « Le rire dissimule de son éclat diabolique la tragédie de la condition humaine. Le comique nous fait trompeusement du bien en détournant le malheur à son profit. Alors que le tragique, lui, nous fait vraiment du bien, en suscitant sans détour terreur et pitié. C’est ce qu’Aristote appelait « catharsis », pour la bonne raison qu’il était grec.  La catharsis, c’est une purge anti-dépression : vous éprouvez une telle compassion  au spectacle d’un malheur tellement immense, tellement pur et implacable, que cela vous purge d’un coup de toutes vos passions tristes.  C’est donc le tragique qui rend vraiment moins triste ! Pleurez, vous serez moins tristes, voilà la vérité. « 
Mais Yves Cusset n’hésite pas aussi à parler sexe, naissance et mort du corps humain, simplement figuré par celui en plastique d’une grande poupée nue : c’est souvent cru mais pas vulgaire, et surtout formidablement accessible  àun public qui retrouve  vite ses repères personnels,  quand il parle des angoisses de la petite  enfance.
Même si  le comédien use et abuse des jeux sur et avec les mots , très Normale Sup, avec un attrait non dissimulé pour les allitérations  du genre : « Epaté par ses tétons, je me suis laisser tenter par la tétée, et tout tétard que j’étais… « . « Esquimaux qui se donnent des coups de langue en chantant pour se réchauffer: « Lapons, Lapons « . Je n’avais pas peur de la laper ».  Ou plus facile: Lait Xomil,  ou plus compliqué du genre:  Oedeme d’Oedipe…  Cela va parfois un peu vite et il vaut mieux suivre mais,  comme Cusset est aussi  simple que  brillant, et qu’il a compris que ses spectateurs adorent être parfois emmenés  sur les chemins de la régression, cela fonctionne sans accrocs avec une connivence assez rare,   un peu comme dans les conférences de Michel Onfray à l’Université populaire de Caen, lui aussi autre philosophe seul en scène et généralement haï des autres philosophes, au motif qu’il ne serait pas philosophe! Allez comprendre…

Le solo est  sans doute encore un peu brut de décoffrage, et la mise en scène demanderait  à être sérieusement affinée. mais sinon, le dernier Cusset est un vrai régal de spectacle qui mériterait d’être joué dans de meilleures conditions.

Théâtre de Ménilmontant  jusqu’au 3 mars du jeudi au samedi à 19h 30 et le dimanche à 16 h 30.

 

http://www.dailymotion.com/video/xrxotb

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