Ménélas rébétiko
Ménélas rébétiko raspsodie, texte et mise en scène de Simon Abkarian, musique et chant de Grigoris Vasilas ( bouzouki) et Kostas Tsekouras (guitare).
Le Grand Parquet, même un dimanche soir est bourré… Aucun décor sur la petite scène sinon quelques fauteuils en bois et un petite table blancs, avec une nappe et des bougies blanches, et de petites bouteilles de raki.
Les deux musiciens, très élégants en costume gris, sont déjà assis quand Simon Abkarian entre en tenue de fête-costume trois pièces impeccable noir, petite chaîne de montre au gilet, chaussures vernies tout aussi noires et chemise blanche. Chevalière en or au petit doigt, longue et fine moustache tout aussi impeccable et cheveux brillantinés. Avec à la main, parfois, un éventail jaune pâle bridé de noir.
A soixante ans, le comédien ne manque pas de panache; il a toujours quelque chose de fascinant et on revoit à la fois le bel et jeune acteur quand, il y a trente ans, il jouait Les Atrides mis en scène par Ariane Mnouchkine, puis au cinéma quand il interprétait récemment dans L’Armée du crime, le célèbre et formidable résistant, comme lui d’origine arménienne, Missak Manouchian. Et ici, on le croirait sorti-profil du visage et gestuelle imposante- d’un des nombreux films qu’il a tournés.
Cette fois, il nous raconte à sa manière, la fameuse histoire de Ménélas, d’Hélène et Pâris: elle déclencha la guerre de Troie qui dura dix ans. Piqûre de rappel: Ménélas, roi de Sparte, frère d’Agamemnon et roi d’Argos, qui commanda toutes les armées grecques. Ménélas est marié à Hélène qui va être enlevée par Pâris, le fils de Priam le roi de Troie et d’Hécube, mère d’Hector et Cassandre. Priam sera égorgé par Pyrrhus,le fils d’Achille. A la mort de Pâris, Hélène, avait épousé Déiphobe que Ménélas tuera. Et il pardonnera à Hélène et vécut à Sparte avec elle. » Les portes et les fenêtres crient : Hélène ! Hélène ! Le vent me gifle, me jette au visage l’écho de ton nom désormais atrophié. Haine ! Haine ! ». Mais les sentiments humain sont à géométrie variable: » Tu me prendras dans tes bras et tu me diras, tu es revenu! ».
Vous suivez toujours? Quant aux dieux, pendant la longue guerre de Troie, Athéna est du côté des Grecs comme Héra, l’épouse de Zeus mais Apolllon, le dieu de savoir et des arts, prendra le parti des Troyens, comme Arès, le dieu de la guerre et Aphrodite, la déesse de l’amour. Tous les éléments sont en place donc pour ce récit légendaire, mille fois traité, surtout et évidemment par Homère et par Shakespeare dans Troïlus et Cressida qui va se jouer à la Comédie-Française et dont nous vous parlerons. Et cette histoire légendaire qui traite de la condition mortelle de l’homme , à l’intrigue et aux rebondissements n’a jamais cessé d’être retravaillé en littérature, au théâtre comme au cinéma qui en avait vite compris les enjeux.
Simon Abkarian, qui avait déjà mis en scène en 2003 L’Ultime Chant de Troie d’après Euripide, Eschyle, Sénèque et le poète arménien Parouïr Sevak, donne une version personnelle de cette aventure politico-amoureuse, avec deux remarquables musiciens pour souligner mais aussi pour chanter cette fable. » J’ai voulu, dit-il, questionner comprendre la solitude de Ménélas et redessiner à tâtons les contours de ce chagrin d’amour toujours occulté par la guerre de Troie ». Quant au rebetiko, musique née dans les années 20 en Asie Mineure, on sait qu’elle a été surtout chantée dans les cafés et hôtels douteux, et le plus souvent contre des gouvernements aux allures de dictature.
Le troisième terme du titre Rapsodie rappelle que le célébrissime théâtre antique grec a eu pour ancêtres des chanteurs de poèmes épiques. Le spectacle pourrait se passer dans un café grec, crétois ou méditerranéen, dans la nuit étoilée d’un été écrasant de chaleur Sur la nappe de la petite table carrée- et c’est vraiment une belle idée-défile le sous-titrage de chansons grecques.
Simon Abkarian se lance dans ce récit qu’il a lui-même écrit. Avec de belles fulgurances poétiques quand Ménélas parle d’Hélène l’infidèle qui l’avait vite séduit. Les trois complices fument, boivent un coup de raki et s’abandonnent à une douce mélancolie. Abkarian dit cette fable, chante et esquisse quelques pas de danse avec beaucoup de grâce et, aux meilleurs moments, c’est tout son corps imposant qui s’empare de la petite scène, magnifiquement aidé par ses deux amis musiciens, surtout Grigoris Vasilas qui, avec son bouzouki et sa voix chaude, arrive à électriser le public, en grande partie grec. Mais dimanche, le comédien,sans doute fatigué par cinq représentations successives, parfois, butait sur les mots et avait du mal à imposer pendant une heure un récit inégalement écrit.
Mais, malgré ces réserves, le spectacle, ample et généreux, a quelque chose de magique et de fort dans sa simplicité mais aussi dans son grand raffinement musical. Et c’est avec beaucoup d’émotion que l’on entend chanter cette langue grecque dont on arrive encore-véritable miracle-à lire et surtout à comprendre beaucoup de choses écrites il y a plus de deux mille ans…
Philippe du Vignal
Le Grand Parquet, aux Jardins d’Eole, 35 rue d’Aubervilliers, 75018 Paris T: 01-40-05-01-50.
Texte publié par Actes Sud-Papiers (14,50€).
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