Le cabaret discrépant
Le Cabaret discrépant d’après Isidore Isou, spectacle d’Olivia Grandville
Décapant, ce cabaret discrépant ! Construit de bric et de broc, il commence dans l’escalier du Théâtre de la Colline avant de gagner le deuxième étage placardé de maximes : » Ne consommez pas votre propre élan ». « Ne laissez pas les capitalistes voler votre culture et vous la revendre « . Là, dans les coins et recoins du hall, que, d’habitude, on ne visite jamais, attendent comédiens et danseurs.
L’un clame des syllabes désaccordées, un autre conte les hauts faits d’Isou et de ses compères lettristes, dont le sermon prononcé en plein office de Pâques à Notre-Dame de Paris : » Je vous le dis, Dieu est mort. Nous vomissons la fadeur de vos prières… » Un autre comédien égrène les grands principes du manifeste lettriste. Au milieu de ce joyeux désordre et de cette inventive polyphonie, le public navigue à sa guise, chacun captant des bribes de l’œuvre d’un poète en perpétuelle recherche de subversion. Quel plaisir de plonger dans cette discrépance (du latin discrepantia: dissonance, discordance ; en opposition à harmonie) !
Mais qui connaît ou lit encore Isidore Isou, ce jeune Roumain surdoué, né en 1925 et débarqué en France en 1945 ? Son manifeste, Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, paru à la NRF en 47 et La Créatique ou la Novatique qui révolutionnent tous les domaines de l’art, des sciences et de la philosophie, ont pourtant marqué toute une génération. Parmi ses disciples : Maurice Lemaître et Guy Debord, qui va rompre avec Isou en 52, pour fonder l’internationale lettriste puis le situationnisme.
Après cette immersion dans les textes, l’histoire et la théorie du mouvement lettriste, on passe à la pratique du plateau. Un danseur, sous la dictée d’une voix chorégraphiante, s’applique à des mouvements qui rompent avec le classicisme et préfigurent la danse contemporaine : ludique ballet « ciselant », inspiré de La danse et le mime ciselant et de Fugue mimique de Maurice Lemaître. Les autres comédiens-danseurs le rejoignent pour une conférence loufoque.
Le spectacle, habilement composé, et interprété avec la rigueur que demande toute représentation débridée, propose une immersion formelle et sensible dans cette avant-garde héritière de Dada et qui annonçait mai 1968.
À voir…
Mireille Davidocivi
Théâtre de la Colline, jusqu’au 16 février 2013 T: 01-44-62-52-52
www.colline.fr http://www.dailymotion.com/video/xrnyap