Fin de partie
Fin de partie de Samuel Beckett, mise en scène d’Alain Françon.
Nous vous avions déjà parlé de la belle mise en scène d’Alain Françon, quand il avait monté la pièce au Théâtre de la Madeleine ( voir Le Théâtre du Blog septembre 2011). Fait rare, deux ans après, le spectacle est passé d’un théâtre privé à un théâtre public. Les choses ont évolué; le remarquable décor de Jacques Gabel est toujours aussi imposant, avec ses grands murs gris qui suintent le désespoir, juste percés de deux toutes petites fenêtres carrées et trop hautes; et avec une porte sinistre côté cour qui mène à la cuisine - »trois mètres sur trois mètres », comme prend bien soin de préciser Clov, et où il ne cesse d’aller et venir.
Et y a toujours cette même jubilation comme dit Françon, à suivre « l’inventivité verbale et logique de ces disputateurs, leur vitesse de pensée-accrue par la brièveté et l’extrême économie des répliques ».On retrouve la célèbre phrase-culte du début prononcé par Clov, le regard fixe: ‘Fini, c’est fini, ça va peut-être finir », que l’on retrouve à la fin: « Bon, çà ne finira donc jamais, je ne partirai donc jamais ».
Françon a vraiment réussi à rendre très vivant ce collage de phrases loufoques avec ses magnifiques excursions dans une langue triviale, comme dans ce formidable dialogue entre Clov et Hamm » A moins qu’elle ne se tienne coïte- Coïte! Coite, tu veux dire. A moins qu’elle ne se tienne coite-Ah! On ne dit pas coïte -Mais voyons! Si elle se tenait coïte, nous serions tous baisés »- Et ce pipi?- çà se fait.
On ne dira sans doute pas assez combien Fin de Partie est aussi une réflexion sur le langage et le vocabulaire quotidiens et sur l’existence, comme l’atteste cette réplique de Nell, joué par Isabelle Sadoyan: « Rien n’est plus drôle que le malheur ».
On retrouve les interprètes de la Madeleine: Serge Merlin d’abord, immense acteur à la diction si particulière et à la gestuelle d’une précision absolue. Des esprits grincheux disaient le soir de la première qu’il jouait tout de la même façon, que ce soit Thomas Bernhard, Beckett, etc… Ce qui est faux; Merlin a un art étonnant de la nuance et atteint souvent le sublime, même s’il est parfois moins convaincant vers la fin où on peine à l’entendre. Gilles Privat, qui a succédé à Jean-Quentin Châtelain, est lui aussi excellent et met plus de nuances dans l’interprétation de Clov. Et il y a toujours le merveilleux Michel Robin qui joue Nagg, enfoncé dans sa poubelle et perdu dans des rêves, et Isabelle Sadoyan.
Mais la salle de l’Odéon est sans doute trop grande pour accueillir Fin de Partie qui demande une vraie proximité entre le public et les acteurs. Que cela ne vous empêche cependant pas d’y aller-ce n’est pas si fréquent de voir un telle brochette d’acteurs aussi bien dirigés dans cette dernière version proposée par Beckett peu de temps avant sa mort, mais essayez d’être assez près de la scène.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 10 février.