Lendemain de fête
Lendemain de fête conception et mise en scène de Julie Bérès.
Un homme et une femme : ils ont vécu longtemps ensemble, l’homme commence son chemin vers la mort, sa femme, plus robuste – c’est statistique- l’aide, l’accompagne. L’important, c’est qu’ils s’aiment, qu’ils s’aiment encore.
Disons-le tout de suite, que ce ne soit pas un faux problème : on verra les deux acteurs, Evelyne Didi et Christian Bouillette, faire l’amour sur scène, comme des acteurs peuvent le faire sur scène-nous insistons-avec un respect mutuel total, avec la délicatesse qu’exige la précision technique de cet acte mimé et qui, même montré, reste secret, avec la fragilité -jouée-du grand âge.
Adam et Ève se tiennent par la main, nus et graves, Adam oublie que c’est Ève qui est en face de lui, et il la cogne, et elle le bat pour le faire revenir à lui, à eux. Autour d’eux, avec eux, tour à tour dansent les figures d’eux-mêmes en jeunes gens. On dit qu’en devenant vieux, on perd la mémoire : c’est peut-être, au contraire, qu’on a trop de mémoire, et qu’on revit, ici et maintenant, sa jeunesse, et qu’on la corrige : était-ce bien cela ? Souvenir, fantasme, peu importe : c’est une vraie jeunesse qui vit en eux.
Elle explose, saute de joie avec les jeunes circassiens (Mathieu Gary et Vasil Tasevski, avec une mention spéciale pour Julie Pilod, comédienne bondissante) : on « tombe » amoureux, et l’on rebondit « »au septième ciel », l’amour fait « grimper au mur » et perdre la tête, avec le sens du haut et du bas. Elle se moque, avec ses caricatures de vieillards. Ça fait désordre ? C’est bien la moindre des choses.
Julie Bérès et son équipe ont rassemblé des paroles écoutées, des méditations philosophiques – dont un très beau texte de Jankélévitch sur le couple. Elle a joué de sa propre mémoire, et de la nôtre : on voit apparaître des images fugaces du Jardin des délices, de Bosch, de Saraband, de Bergman, des échos de La Métamorphose, de Kafka et des feuilles mortes qui se ramassent à la pelle. Bach, Purcell, viennent solenniser ces derniers moments. C’est juste : quand on aime, quand on meurt, on est roi.
Le dispositif scénique n’a rien de beau, au premier coup d’œil. Il installe simplement le désordre, la plasticité de la mémoire, avec un piano, des projections qui déboussolent, un sol élastique, une armoire magique et assez de place pour jouer. Très vite, on ne discute plus : c’est là que se passe, et bien.
Et voilà. Quand on prend de front la peur de la vieillesse, on arrive à cela : ces Lendemains de fête ont une saveur particulière…
Christine Friedel
Théâtre des Abbesses, jusqu’au 5 mars T: 01-42-74-22-77