Lendemain de fête

Lendemain de fête  conception et mise en scène de Julie Bérès.

Lendemain de fête lendemainsUn homme et une femme : ils ont vécu longtemps ensemble, l’homme commence son chemin vers la mort, sa femme, plus robuste – c’est statistique- l’aide, l’accompagne. L’important, c’est qu’ils s’aiment, qu’ils s’aiment encore.
Disons-le tout de suite, que ce ne soit pas un faux problème : on verra les deux acteurs, Evelyne Didi et Christian Bouillette, faire l’amour sur scène, comme des acteurs peuvent le faire sur scène-nous insistons-avec un respect mutuel total, avec la délicatesse qu’exige la précision technique de cet acte mimé et qui, même montré, reste secret, avec la fragilité -jouée-du grand âge.
Adam et Ève se tiennent par la main, nus et graves, Adam oublie que c’est Ève qui est en face de lui, et il la cogne, et elle le bat pour le faire revenir à lui, à eux. Autour d’eux, avec eux, tour à tour dansent les figures d’eux-mêmes en jeunes gens. On dit qu’en devenant vieux, on perd la mémoire : c’est peut-être, au contraire, qu’on a trop de mémoire, et qu’on revit, ici et maintenant, sa jeunesse, et qu’on la corrige : était-ce bien cela ? Souvenir, fantasme, peu importe : c’est une vraie jeunesse qui vit en eux.
Elle explose, saute de joie avec les jeunes circassiens   (Mathieu Gary et Vasil Tasevski, avec une mention spéciale pour Julie Pilod, comédienne bondissante) : on « tombe » amoureux, et l’on rebondit « »au septième ciel », l’amour fait « grimper au mur » et perdre la tête, avec le sens du haut et du bas. Elle se moque, avec ses caricatures de vieillards. Ça fait désordre ? C’est bien la moindre des choses.
Julie Bérès et son équipe ont rassemblé des paroles écoutées, des méditations philosophiques – dont un très beau texte de Jankélévitch sur le couple. Elle a joué de sa propre mémoire, et de la nôtre : on voit apparaître des images fugaces du Jardin des délices, de Bosch, de Saraband, de Bergman, des échos de La Métamorphose, de Kafka et des feuilles mortes qui se ramassent à la pelle. Bach, Purcell, viennent solenniser ces derniers moments. C’est juste : quand on aime, quand on meurt, on est roi.
Le dispositif scénique n’a rien de beau, au premier coup d’œil. Il installe simplement le désordre, la plasticité de la mémoire, avec un piano, des projections qui déboussolent, un sol élastique, une armoire magique et assez de place pour jouer. Très vite, on ne discute plus : c’est là que se passe, et bien.

Et voilà. Quand on prend de front la peur de la vieillesse, on arrive à cela : ces Lendemains de fête ont une saveur particulière…

Christine Friedel

Théâtre des Abbesses, jusqu’au 5 mars T:  01-42-74-22-77


Archive pour février, 2013

Thermidor Terminus

Thermidor Terminus : la mort de Robespierre, d’André Benedetto, mise en scène de François Bourcier.

Thermidor Terminus f-734-510dbcfd96cd7La pièce est un huis-clos entre deux ex-compagnons et amis de Robespierre, jetés dans un même cachot : Maurice Duplay, est au bord de la folie après la mort violente de Maximilien et après avoir perdu femme et filles, et Philippe Buonarotti, auteur du Manifeste des égaux, absent de France au moment de Thermidor, le presse de questions. Il veut comprendre l’effondrement, puis l’exécution de Robespierre, le 28 juillet 1794, dans un simulacre de procès, sans interrogatoire ni défense : «Tu sais tout, tu es le seul à tout savoir» dit-il à Duplay, comme une supplique.
André Benedetto a sculpté ce récit avec âpreté, à partir de la remémoration et d’une reconstitution de la chronologie des faits. Homme engagé, il a mis la personnalité de Robespierre, « l’homme le plus important de la Révolution », au cœur du sujet, en a dessiné les complexités et cherché les énigmes, en brisant les mensonges qui courent sur son compte et prenant parti : « Non, la Terreur ce n’est pas lui », affirme-t-il. L’auteur, également metteur en scène et chef de troupe, connaissait le plateau, son texte est un plaisir poétique, en même temps qu’un rappel historique.
Ici, l’espace est vide, fermé d’un écran noir où sont projetées par moments des images - silhouettes, ombres et quelques portraits -, laissant peu de profondeur, mais cela convient : on est dans la geôle, avec les protagonistes qui se déplacent transversalement, entre cour et jardin. Les lumières de Frédéric de Rougemont, définissent la scénographie.
Dans la nuit du 9 au 10 Thermidor, tout le monde devient suspect et Robespierre, à qui l’on doit la devise Liberté Egalité Fraternité, est un homme très contesté, sur fond d’épuration, de répression et de vengeance. Et pourtant, « alors que le sang coule, il voulait sauver les autres, il voulait l’égalité et cherchait le levier pour la mettre en marche », dit l’auteur. Et la question qui revient, en leitmotiv : «Pourquoi n’ont-ils rien fait ? Saint-Just, muet, signe l’appel aux armes… il commence à signer… et alors qu’il peut tout faire, il ne fait rien» »  Pour Benedetto, « c’est en eux que quelque chose s’est arrêté ».
Duplay et Buonarotti racontent leur héros, le font revivre en se travestissant, avec redingote et perruque, chacun à leur tour, (costumes de Sylvie Blondeau). Ils refont inlassablement le film : « D’après l’enquête, du 8 juin au 26 juillet, Robespierre ne va plus à la Convention, ni au Comité du Salut Public, comme s’il n’était plus là. On exécutait des innocents, il cherchait la solution « . Et lorsqu’il monte à l’échafaud, avec Saint-Just et d’autres, «une femme meurt en dedans », c’est Eléonore, la propre fille de Duplay, qui lui était secrètement destinée et qui a disparu, le jour de son arrestation. « Et la Révolution qui devait s’arrêter à la perfection du bonheur, s’est arrêtée ».
Les acteurs s’emparent de ce texte, jamais didactique, avec intelligence et précision, avec passion. Ils habitent leurs personnages, leur donnant beaucoup d’humanité. Dans le duo, Buonarotti, (Francois Bourcier), est un peu en retrait : est-ce sa position de metteur en scène (assisté ici d’Andrieve Chamoux), qui le décale légèrement, ou bien l’écriture, qui fait la part belle à Duplay (Roland Timsit), dans sa folie, ou encore le style de jeu et le vocabulaire corporel spécifique à chaque acteur ?
L’équilibre n’est pas tout à fait trouvé entre un Duplay très présent, qui gagnerait à raboter un peu son rôle et Buonarotti, qui ne se départit pas complètement de sa position de metteur en scène, distancié, sur le plateau. Mais le spectacle est fort et beau, d’autant par les séquences décalées aux éclairages rouges, irréels et surréalistes, où Duplay, sorte de Christ recrucifié, suspend le temps et nous ramène au présent. «Ce qui est mort avec lui, c’est cette capacité de doute, mais qui peut comprendre ça ?»… Et la révolution s’immobilise, comme d’autres, ailleurs et aujourd’hui.

 

Brigitte Rémer

Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, 1 Place Jean Vilar, les 15 et 16 février.

 

http://www.dailymotion.com/video/xx9wk2

Plus que le tumulte des eaux profondes

Plus que le tumulte des eaux profondes tumulte_r

Plus que le tumulte des eux profondes, texte et mise en scène de Godefroy Segal

La théâtre du Fil de l’Eau, installé au bord d’un canal,accueille des compagnies en résidence. Nous avions découvert Godefroy Segal dans Gringoire de Théodore de Banville, et  apprécié La Peau de l’ours d’après Cendrars à Lilas-en-Scène. Il a aussi monté Quatre vingt-treize de Victor Hugo récemment à la Maison de la Poésie Il a pu répéter ici  sa dernière création sur les débuts du christianisme en Occident, fondé sur la transe et l’illusion, entre le reflet et l’image.
Cette épopée sanglante interprétée par huit acteurs, hommes en jupettes noires aux torses nus étrangement grimés, femmes drapées dans des robes aguichantes sur un dispositif en croix dévalant sur une baignoire, pourrait prêter à sourire.Mais le spectacle est équilibré par un chœur amateur d’une vingtaine de chanteurs en fond de scène qui donne à cette belle partition un éclairage de fresques du Moyen Âge. Il y a un étrange mélange entre l’humour de la bande dessinée et la gravité des tableaux de grands maîtres.
La fable:  Gradlon, puissant souverain a perdu sa femme adorée Aïfé, qui  est morte en accouchant de sa fille Ahès. Devenue femme, Ahès séduit  tous ses prétendants,  organise des orgies, et transforme le château  en lupanar. Mais le christianisme commence à faire des adeptes, et on finira par punir un père laxiste et la ville d’Ys sombrera sous les eaux.
Grâce à une bonne distribution:  Éric da Silva en narrateur,et  Laurent Desponds (Gradlon), et Nathalie Hanrion ( Ahès et Aïfé), qui dévalent tous  avec allégresse  dans la baignoire, on supporte la durée de ce spectacle étrange.

Edith Rappoport

Théâtre du Fil de l’Eau à Pantin jusqu’au 28 février et les 10 et 11 avril l’Espar, scène conventionnée du Mans
http://www.compagnieincauda.com

POST cirque bang bang

POST-Cirque Bang Bang, conception, mise en scène et jeu d’Elsa Guérin et Martin Palisse.

POST cirque bang bang postUn petit chapiteau chaleureux avec des gradins en bois de deux cent places que ces  jongleurs transportent au gré de leurs tournées. Au sol, un tapis de danse en carré blanc, et quatre petits projecteurs à chaque angle,  et quelques autres en haut des mâts. C’est tout de suite-on le perçoit très vite-dans un univers très pictural proche de celui du l célèbre peintre polonais-russe Kasimir Malevitch mort en 1935, et  son Carré noir  sur fond blanc n’est jamais très loin. Elsa Guérin a été quatre ans élève de l’Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand et cela laisse d’excellentes traces! C’est assez rare de voir un  spectacle aussi bien maîtrisé sur le plan plastique.
 Ils viennent de Cébazat  dans le Puy-de-Dôme et sont tous les deux, pieds nus, en pantalon et tee-shirt bleu foncé. Avec trois balles chacun.
En général, quand on nous propose un spectacle de jonglage, on est souvent méfiant et le dernier spectacle de Jérôme Thomas- trop long, mal ficelé et mal mis en scène au Festival A Corte de Turin 2012-ne nous avait pas fait changé d’avis!  Mais, ici,la rigueur de la mise en scène, la précision et la beauté  des images, l’intelligence  des lumières: tout est mis en œuvre pour que ces soixante minutes fonctionnent sans aucun accroc.
Cela commence par un duo de boules dans le noir puis ils s’entortillent de ruban rouge plastique, de façon à ce que leur chevilles et leurs bras soient immobilisés et arrivent à rattraper les boules qu’il se repassent. Il y a aussi un moment tout à fait étonnant où ils jouent à rattraper les boules au sol, alors qu’ils ont les yeux bandés.
Mais jamais n’est mise en valeur une quelconque virtuosité mais bien plutôt la relation entre un homme et une femme avec ses tensions et surtout le bonheur d’être à deux sur ce sol blanc immaculé mais aussi la solitude  de chacun dans ce couple jonglant avec  ces boules qui les unit.
Allongés par terre, absolument droits debout, ou bien encore, dans la seconde partie, en position déséquilibrée l’un soutenant l’autre ils continuent à jongler  de façon quasi-obsessionnelle dans  un rapport exigeant à l’espace …

Ce qu’il y a de formidable aussi et de rarement vu, c’est la fascination qu’ils arrivent à créer sur le public, en  induisant une autre relation au temps, presque magique, et simplement grâce à six pauvres petites boules. Tous les gens qui nous bassinent, à longueur de spectacle, avec d’inutiles et coûteuses images vidéo feraient bien d’en prendre de la graine
L’image la plus fabuleuse est sans doute cette course en rond finale -chacun dans un sens- où ils continuent  toujours et encore à jongler…
Avec accompagnement de post-rock qui a le mérite de rompre avec les éternelles musiques de Chopin…  Post rock un peu envahissant et mal maîtrisé au début mais qui  se calme heureusement ensuite pour faire place à un beau silence. Un des grands mérites d’Elsa Guérin et Martin Palisse est d’avoir su utiliser le jonglage, avec  une traduction graphique du corps,  dans ses valeurs les plus primitives de verticalité ou d’horizontalité pour parvenir à une création non figurative, par le biais d’une » organisation esthétique de la réceptivité primaire’ » comme le disait Pierre Kaufmann dans L »Expérience émotionnelle de l’espace. Mais sans pour autant que la spatialité émotionnelle abandonne ici la spatialité esthétique dans un de leurs allers-et-retours permanents pendant soixante minutes.

Post est en fait un spectacle qui peut être perçu selon plusieurs niveaux d’approche, et c’est une de ses plus grandes forces. Le tout petit monde de ce carré blanc avec ses deux protagonistes est une sorte de métaphore du grand monde de la réalité qui nous entoure.En ce froid et neigeux dimanche de février, le public d’Antony, tous âges confondus, dans  ce petit chapiteau bourré, ne boudait pas son plaisir… Et en tout cas, si Post débarque près de chez vous, n’hésitez surtout pas.

Philippe du Vignal

Spectacle vu à l’Espace Cirque d’Antony le 24 février. puis le 15, 16 mars (en salle) / Théâtres en Dracénie scène conventionnée / Draguignan ;le  22 mars (en salle) / Hall de Paris – Service culturel / Moissac ; le 25 avril (en salle) / Le Champ de Foire / St André de Cubzac ; du 29 avril au 20 mai (en salle)  Festival Polo Circo à Buenos Aires, Argentine  ; en juillet/ Festival Off d’Avignon (Ile Piot): les 16, 17 novembre / Le Cloître scène conventionnée / Bellac ; du 22 au 25 novembre / Théâtre Jean Lurçat scène nationale / Aubusson (option) ;  et le 22 mars 2014 (en salle) / Théâtre de Brétigny sur Orge ;avril 2014 / Saison culturelle / Issoire.

 

L’homme du coin

L’Homme du coin   de Ronan Chéneau, conception de  Philippe Eustachon.

Chaque mois, le chaleureux Studio Théâtre de Vitry fait des Ouverture(s) avec des avant-premières de spectacles rares qui seront   repris ensuite ailleurs, quelques semaines ou quelques mois plus tard. Le public est surtout composé de professionnels et de gens  qui fréquentent les ateliers du Studio pour un prix symbolique. À la fin du spectacle,  on peut discuter autour d’un verre avec le metteur en scène.
Ronan Chéneau est l’auteur de plusieurs pièces Cannibales, Petit frère, Du corps à l’ouvrage,  Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue…qu’avait montées, entre autres  des metteurs en scène comme David Bobee et Babette Masson.
L’Homme du coin met en scène un correcteur d’épreuves (Philippe Eustachon) avant la publication  d’un livre. Il se remémore chez lui le travail accompli avant son licenciement pour une faute dont il ne s’est pas rendu coupable.
Il énumère ses difficultés:  » résister à la tentation de lire qui m’empêcherait de corriger ! « . Sa table éclairée jouxte sept grands bureaux noirs où sont empilés soigneusement des dossiers de couleur.
Le correcteur s’applique à son travail avec une infinie concentration mais son supérieur hiérarchique (Hervé Datier)  lui impute une faute qui n’est pas de son fait. Licencié, il renverse  les bureau et  éparpille furieusement les dossiers. Malgré une interprétation solide, on peine à distinguer le texte à peine chuchoté par instants…

Edith Rappoport

Studio-Théâtre de Vitry et Théâtre de l’Échangeur de Bagnolet du 5 au 15 avril T:  01-43-62-71-20.

 

http://www.dailymotion.com/video/xtppat

Gould/Menuhin

 Gould/Menuhin gould-menuhin-c-sara-lahaye

Gould/Menuhin,  sur une idée originale d’A. Flammer, conception du spectacle:Christiane Cohendy, Ami Flammer et Charles Berling, mise en scène de Charles Berling et Christiane Cohendy.

Sur la scène de l’Atelier, un studio de tournage avec deux caméras, un plateau tournant avec un très beau piano à queue, deux fauteuils en cuir noir et une  table basse  pour une interview, et dans le fond, une console d’enregistrement et quelques fauteuils d’orchestre rouge. Le tout scénographié par Christian Fenouillat. C’est Charles Berling qui est Glenn Gould avec lequel il  a une petite ressemblance, et c’est le violoniste Ami Flammer qui est Yehudi Menuhin. Aurélie Nuzillard joue plusieurs personnages féminins dont l’épouse de Menuhin.
Il y a des extraits  d’interviews filmés et projetés  sur des écrans au-dessus de la scène. 
C’est Charles Berling qui  joue Gould interviewé; puis assis sur la copie conforme de la célèbre petite chaise fétiche du pianiste, il fait semblant de jouer Bach au piano avec assez de précision et de conviction quand même pour que l’on y croit. Mais, pour bien montrer que l’on ne triche pas, le plateau tournant fait un quart de tour et on voit les touches s’enfoncer  comme des grandes, sans interprète, grâce au miracle de l’électronique…
Et Ami Flammer raconte, lui,  la vie de Yehudi Menuhin- c’est bien long!- mais, face public, joue magnifiquement  Bach et Beethoven.
On apprend aussi tout de la complicité qui avait uni le temps de quelques concerts les deux grands interprètes pour jouer Schönberg. Et on les voit travailler ensemble à l’écran comme ils l’avaient fait pour la Sonate n°4 de Bach.
En fait,  c’est tout le spectacle qui  obéit à une démarche pédagogique et de transmission. On nous raconte les péripéties des tournées de Menuhin, nous explique pourquoi les fameuses variations Glodberg s’appellent ainsi, etc…Et quand Glenn Gould parle d’un éventuel séjour en Arctique, il y a des images de route enneigées, si jamais le public n’arrivait pas à comprendre.!

 Mais, malgré sans doute un belle complicité entre les auteurs, c’est sans doute  le spectacle qui est fondé sur une fausse bonne idée: il n’y a pas en effet d’écriture théâtrale, pas non plus de dramaturgie bien solide ni de véritable mise en scène. Alors, même si le spectacle, sur le plan technique, est tout à fait rigoureux, très vite, une sorte de ronronnement s’installe sur  la scène, cassé heureusement par la fraîcheur des  apparitions d’ Aurélie Nuzillard.
Mais il n’y a pas de fil rouge à cette pièce qui n’en est pas vraiment une, et le spectacle  tient de la mission impossible. Comment en effet rendre vivants ces deux grands interprètes disparus et  en même temps les évoquer avec des extraits de films?  On connaît le célèbre mot d’Hitchcock: « Un bon film c’est d’abord un scénario, et ensuite un scénario ».  Et là, point de quelque chose qui pourrait y ressembler.
Charles Berling, par ailleurs, grand  acteur confirmé, semblait  fatigué et pas vraiment heureux d’être là; heureusement, Ami Flamer possède une belle présence quand c’est à son tour de  parler.

Reste la musique-sur scène ou enregistrée et, il y a, par moments, un véritable état de grâce quand on entend Bach au piano ou quand Ami Flammer joue Beethoven. Comme disait Cervantès dans Don Quichotte: « Là où est la musique, il n’y a pas de place pour le mal ».
Bref, à vous de choisir!

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Atelier jusqu’au 16 mars et  Théâtre Princesse Grace, à Monaco les 21 et 22 mars.
http://www.theatre-atelier.com

Ma bio dégradable : j’acte 1

Ma bio dégradable : j'acte 1 dans analyse de livre photo-3Ma bio dégradable : j’acte 1 de Jean-Claude Dreyfus.


Nichée dans la petite rue Marivaux qui longe l’Opéra comique, La Librairie Théâtrale se consacre aux arts du spectacle depuis le milieu du XlX e siècle. On y trouve 10.000 pièces en tout genre, d’hier et d’aujourd’hui, des ouvrages sur le théâtre sous toutes ses formes et un accueil qui permet de naviguer dans ses rayons et d’y trouver son bonheur. Avec une clientèle éclectique: du thésard au directeur de Centre national dramatique, de l’élève comédien au praticien amateur, en passant par le simple curieux qui emprunte cette rue si calme près des Grand Boulevards.
Ce soir de février, la librairie accueillait ce comédien original qu’est Jean-Claude Dreyfus ; il y  signait un livre à son image, pétri de fantaisie, bourré de formules choc et de bons mots mais aussi riche en témoignages sur le théâtre et le cinéma de ces quarante dernières années. « J’aime, dit-il, le thème nombrilique de se raconter de se livrer, mon bouquin fait à peu près une livre, mais mes lèvres livreront bientôt de quoi faire un kilo! Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ? – Ce serait du free-jazz avec une tendance très mélodique, sax et  piano, et ma voix off-course….
- Qu’aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ? – Nos intimités, se payer le luxe de se connaître, de nous retrouver comme des amoureux sur un quai de gare avec ce ralenti que l’on aimerait tous réaliser un jour… »
Jean-Claude Dreyfus répondait  ainsi aux questions de son éditeur, ce qui donne  une idée de la tonalité de son livre, une autobiographie qui, sous une apparente légèreté, nous fait partager  son enfance, puis  ses années d’apprentissage chez la grande Tania Balachova, et un itinéraire professionnel atypique qui l’a mené du cabaret au cinéma,  en passant par tous les genres de théâtre.
 » De scènes en Seine, sur les canaux spectraux du spectacle complet, je chorégraphie ma vie de mouvements gracieux et chaleureux. Pour le viager, il faut attendre et, quant à ma vie âgée, cela viendra au second tome. Un voyage à partager, un itinéraire à suivre en attendant le prochain livre.

Mireille Davidovici

Editions Le Cherche-Midi.

Devos -Dreyfus D’Hommage sans interdit(s)  Théâtre du Petit-Hébertot , du 28 février au 27 avril, 78 bd des Batignolles Paris T:  : 01-42-93-13-04.

Ce que j’appelle oubli

Ce que j’appelle oubli , chorégraphie d’Angelin Preljocaj.

 

Ce que j’appelle oubli spec_14_visuelL’histoire débute en 2009 à Lyon par un fait-divers des plus barbares:  quatre vigiles d’un super-marché Carrefour  étranglent et rouent  de coups jusqu’à la mort,  Michaël Blaise, 24 ans qui avait  volé  quelques canettes de bière.
En 2011, Laurent Mauvignier évoquait ce drame  dans Ce que j’appelle oubli, un récit de quelque soixante pages constitué d’une seule phrase. Angelin Prejlocaj retrouve pour la dix-septième fois le Théâtre de la Ville, et il s’est emparé  intelligemment  avec son langage chorégraphique, de ce récit qu’il fait  dire par Laurent Cazanave, entouré de six danseurs. « Pour le chorégraphe, dit Preljocaj, la danse n’est pas que la grâce, et la danse, dont l’instrument est le corps, doit savoir prendre en compte la violence du monde ».
Sur le tapis de danse noir, ses danseurs vont accompagner cette histoire  avec des gestes paradoxalement doux et harmonieux mais d’une force et d’une violence retenue impressionnantes, et sans que cela soit jamais explicatif. « Nez fracturé, poumons perforés, foie éclaté »: les mots entrent en résonance avec les claquements de doigts des danseurs qui  bourrent de coups le pauvre SDF répétant sans arrêt: « Pas maintenant,  pas comme cela, pas maintenant,  pas comme cela… ».
La diction du narrateur est curieusement hésitante-ce qui est un peu gênant au début-mais on finit par s’adapter  à cette musique des mots au service d’un texte d’une réalité cruelle …Et, à aucun moment, la danse n’illustre le texte, qui, pour le chorégraphe, représente un inter-texte d’une grande force évocatrice. Comme souvent chez Angelin Preljocaj, les  lumières de Cécile Giovansili-Vissière sont d’excellence et mettent  bien en valeur le corps des danseurs.
La deuxième partie du récit nous parle de la vie du jeune homme: la musique devient alors plus présente et les mouvements des danseurs évoquent la dimension sacrificielle de ce drame. Le spectacle s’élève alors à une certaine spiritualité. « On meurt et les mots s’évanouissent », répète Laurent Cazanave. Les mots s’évanouissent peut-être mais les images-très fortes-restent en mémoire. A la fin, six petites statues de vierges restent faiblement éclairées, et le noir se fait dans un silence impressionnant.
Angelin Preljocaj part d’une histoire banale où les codes des comportements sociaux explosent dans une société incapable de  maîtriser les terrorismes individuels ou collectifs. La griffe et la dent n’appartiennent plus seulement aux animaux qui tuent pour se nourrir ou pour défendre leur territoire, mais les hommes sont  les seuls êtres  capables de tuer par plaisir!

Jean Couturier

Théâtre de la Ville jusqu’au 5 mars  et du 8 au 10 mars au Cent-Quatre

Georges Dandin

Georges Dandin de Molière, mise en scène de Matthieu Penchinat.

A l’origine, une comédie-ballet en trois actes avec une musique de Jean-Baptiste Lully, créée à Versailles en 1668. C’est l’histoire cruelle,  d’un paysan assez riche mais qui ne voulait pas le rester et qui avait épousé Angélique, une belle plante dont les parents Sottenville, étaient  des  nobles de province ruinés… en échange  du remboursement de leurs dettes. On se croirait dans les annonces matrimoniales du Chasseur français avec échange d’une misère contre une autre… Le corps d’Angélique avait servi de monnaie pour que ses parents ne soient pas déshonorés par la ruine financière qui les menaçait. Bien entendu, les  Sottenville auront  vite fait sentir à leur gendre  qu’il n’est pas du même monde qu’eux.
Et les ennuis vont commencer pour Dandin; il apprend de Lubin, son valet,  que la trop belle Angélique écrit en secret à Clitandre, un grand bourgeois qui essaye de la séduire. Il s’en plaint à ses beaux-parents mais les deux tourtereaux nient absolument. Et Dandin, humilié, est sommé de faire ses excuses.
Mais ce n’est que le début et Lubin lui apprend que Clitandre est allé sans aucun scrupules rejoindre Angélique dans sa maison à lui. Le grand Molière avait déjà mis au point à la perfection la scène, héritée des farces du Moyen-Age… qui deviendra, deux siècles plus tard, l’archétype des pièces de boulevard. Surpris cette fois par Dandin lui-même, Angélique renverse la situation devant ses parents en chassant Clitandre, et en lui reprochant de l’avoir agressée sexuellement. Et les Sottenville, naïfs, vont féliciter leur fille. Et encore une fois, Dandin se sera fait berner…
Troisième épisode: Angélique et Clitandre se sont imprudemment donné rendez-vous en dehors de la maison. Et quand Dandin s’en aperçoit, il ferme alors la porte à clé et  regarde par la fenêtre Angélique qui essaye de l’apitoyer sur son sort pour rentrer à la maison. Cette fois, Dandin est sûr de son coup, et les Sottenville vont enfin avoir la preuve qui lui manquait jusque-là! Mais quand ils arrivent, ils voient Angélique à la fenêtre se plaindre amèrement de l’alcoolisme de son mari qui la laisse seule la nuit avec sa servante, pour aller prendre le frais.La ruse marche très bien et Dandin va donc encore se faire engueuler par ses beaux-parents, et devra  une nouvelle fois  réciter des excuses. Humilié une fois de plus, écœuré devant de tant de cynisme et désespéré par ce mariage raté, il dit simplement qu’il va se jeter à l’eau, la tête la première.

Roger Planchon, à deux reprises, s’était emparé de cette pièce au dialogue étincelant mais d’une rare cruauté où le pauvre Dandin, très seul, n’en peut plus de se faire rouler par tout le monde: son épouse dont il découvre petit à petit la méchanceté, voire le sadisme, des beaux-parents sans scrupule qui ne valent guère mieux et des domestiques toujours prêts à soi-disant vous aider contre de l’argent. Et c’est  Claude Brasseur dans la seconde version qui jouait magnifiquement Dandin…
La pièce attire souvent de jeunes metteurs en scène séduits par cette comédie à la fois drôlatique et d’une noirceur épouvantable qu’il est tentant de situer de nos jours… Ce qui est tout à fait possible mais il y faut une intelligence de la pièce qui, ici, est aux abonnés absents: il y a en effet toute une recherche que Matthieu Penchinat s’est bien gardé de faire. Il a cependant réussi à garder l’essentiel de Dandin en concentrant l’action sur soixante-dix minutes et en accentuant l’indépendance de la belle Angélique devant un mariage subi dont elle a été elle aussi la dupe.
Mais Penchinat, qui tient sans  doute à nous signifier que la pièce peut encore nous dire beaucoup de choses sur l’argent, le mariage et les liens familiaux, aurait pu nous épargner nombre d’ anachronismes faciles comme, entre autres,  de  faire ouvrir par Dandin une canette de boisson pétillante et un jus de fruit en bouteille pour faire sans doute contemporain… Quant à M. de Sotteville, il  arrive ainsi en pyjama. Au théâtre, à trop vouloir prouver, on devient vite vulgaire et on rate souvent sa cible!

 La scénographie se veut pleine d’humour  mais réussit  à  être à la fois d’une laideur et d’une inefficacité redoutables. Une moquette verte pour évoquer l’herbe, une boîte à lettres sur pied modèle La Poste en métal vert foncé et deux balustres de fausse pierre pour marquer l’entrée de la maison de Clitandre, et à côté, un  boîte à lettres  en forme de petite maison, un escabeau en bois avec, au-dessus, un garde-manger pour dire la campagne, deux petites chaises paillées espagnoles,  un banc  et la maison de Dandin, caricature de celles que l’on voit dans les livres pour enfants, soutenue par de gros livres reliés, avec un toit en moquette rouge et un tuyau de cheminée en tubes plastique de plomberie. Cela voudrait être drôle et ce n’est que bien vulgaire!
Quand on va chercher le second degré, mieux vaut ne pas faire n’importe quoi et  mieux vaut aussi demander à un véritable scénographe de donner  un vrai sens aux intentions du metteur en scène.

Même chose pour les costumes, accablants de vulgarité: là aussi cela voudrait être drôle mais c’est du n’importe quoi ramassé vite fait chez Emmaüs: Clitandre est en pantalons golf avec  son sac de cannes avec lui, le père Sottenville a un manteau avec un col de renard rouge, etc… Tout cela sonne faux et on se croirait dans un troupe d’amateurs! Tous aux abris! C’est dire aussi que la mise en scène avec  ces curieuses idées, comme la direction d’acteurs ne valent guère mieux: les comédiens minaudent, criaillent et surjouent. Sauf Julien Testard, remarquable,  dont le Dandin est tout à fait crédible, et très en nuances que l’on voit descendre petit à petit dans l’enfer conjugal. La jeune femme qui joue Angélique a du mal au début à imposer son personnage mais sa dernière scène avec Dandin est assez bien vue.
On se demande comment, dans ces conditions, le spectacle peut arriver  à fonctionner, et pourtant,il y a comme cela des petits miracles au théâtre. En effet, comme les comédiens ont tous une bonne diction, cela fonctionne de façon chaotique  sans doute mais, malgré cette mise en scène des plus médiocres, on entend bien, et jusque dans les moindres détails, ce texte tout à fait surprenant de Molière.C’est déjà quelque chose…Le public-quelque 35 personnes-toutes  d’un âge disons très canonique-semblait apprécier. Mais, si l’on est un peu exigeant, le détour ne s’impose pas

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire à 18 h 30.

 

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Der Weibsteufel (Le Diable fait femme)

Der Weibsteufel (Le Diable fait femme), de Karl Schönherr,  mise en scène de  Martin Kusej, en allemand surtitré. 


Der Weibsteufel (Le Diable fait femme) diable

Karl Schönherr (1867-1943) était né au Tyrol. Il écrira dès 95 Le Judas du Tyrol puis, après avoir été médecin,  renoncera à exercer en 1905 et  écrira une trentaine de pièces dont Foi et Patrie (1910), Peuple en détresse (1916), Le Médecin des pauvres (1927). Mal connu en France, il fut pourtant, avec Arthur Schnitzler, l’auteur dramatique autrichien qui eut le plus de succès avant la première guerre mondiale.
Pas de didascalies inutiles et l’auteur va droit au but: « L’homme. Sa femme. Un jeune chasseur alpin. Scène : une salle. »C’est une sorte de fable fondée sur le fameux triangle mari, femme, amant  avec des scènes courtes, très proches de dialogues de cinéma où la pièce a été souvent adaptée. Cela se passe dans la montagne autrichienne. Le mari, un  trafiquant notoire dit à sa femme qu’un nouveau douanier, arrivé il y a  peu, veut de l’avancement donc qu’il va  sans doute mettre  le nez dans les petites affaires louches qui lui rapportent beaucoup d’argent, argent qu’il emploie à la  construction d’une belle maison.
C’est un projet auquel tient aussi beaucoup la jeune femme  et  son mari lui propose donc un pacte diabolique et la persuade donc de séduire le jeune douanier. Mais , bien entendu, le choses ne vont pas se passer comme cela, et cette jeune femme, apparemment  pas très heureuse cache dans un coffre de la layette pour bébé, dont le douanier va casser le couvercle. Très séductrice, la jeune femme en semble vite amoureuse et lui dit le plus grand mal de son mari… Mais chacun des trois protagonistes est en fait, à tour de rôle, la victime des deux autres:  » Je ne peux plus vivre avec toi  » et la femme  du trafiquant lui répond: « T ne me feras plus rêver de toute façon! » Les deux hommes finiront par s’affronter physiquement et le jeune douanier tuera le mari d’un coup de poignard…

L’écriture, du moins si on en juge par le surtitrage exemplaire, est d’une rare modernité, et même si les péripéties du scénario de Karl Schönherr sont souvent quelque peu téléphonées, on se laisse vite prendre au jeu.
Pour ce spectacle monté la première fois par Martin Kušej au  Burgtheater de Vienne en 2008, Martin Zehetgruber a créé une scénographie assez étonnante sur le plan plastique: de gros troncs d’arbre enchevêtrés. éclairés par de savantes lumières de Tobias Löffler et Felix Dreyer… Oui, c’est beau mais pas vraiment efficace sur un plateau: les grands troncs seront évidemment  constitués  de plusieurs parties et en résine de synthèse (et cela se voit même sur la photo!) et bougent quand les acteurs marchent dessus! Sans compter la grande concentration qu’il leur faut pour ne pas tomber…

Cela dit,  la direction d’acteurs de Martin Kušej  est vraiment impeccable; Werner Wölbern, Birgit Minichmayr et Tobias Moretti, dès qu’ils entrent en scène, sont immédiatement crédibles; la jeune femme qui est aussi comédienne de cinéma, à 36 ans, possède, comme ses deux camarades, un jeu fascinant de vérité dans les moindres nuances. Elle réussit à créer un personnage à la fois plein de charme et assez inquiétant. Et, quand elle dit avec un air triomphant: « Et comme un matou amoureux, tu as levé les yeux vers ma chambre à coucher; ma foi, ma foi, mon petit chasseur, t’a déjà posé une patte sur le gluau », elle atteint des sommets d’interprétation.

Et comme l’écrit  Martin Kušej avec raison: « Karl Schönherr semble employer un langage simple, peu complexe et sa constellation de personnages n’a rien de renversant au premier coup d’œil. Et pourtant il parvient, comme un compositeur particulièrement subtil, à créer une musique hautement dramatique ». Et ce qu’il ne dit pas, c’est, grâce à sa mise en scène intelligente et forte,grâce aux bêtes de scène que sont ces trois acteurs allemands, le public est emmené au plus profond d’expériences intimes, voire sexuelles qu’il a lui-même vécues.

Il est rare en tout cas de voir une salle entière aussi concentrée pendant  une centaine de minutes. Vraiment du grand art théâtral. Courez-y si vous le pouvez: ce sont souvent les aléas des tournées mais ce formidable spectacle n’aura été joué que quatre fois à l’Odéon! On peut seulement espérer qu’il sera repris…


Philippe du Vignal  

 Odéon Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris 6e. T : 01-44-85-40-40.  De 6 € à 34 €. Attention c’est à 20 heures, jusqu’au 23 février.

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