Hernani

Hernani de Victor Hugo, version scénique et mise en scène de Nicolas Lormeau.

Hernani hernani

©Marie Clauzade

Le choix de Nicolas Lormeau qui a signé aussi la scénographie est radical : un espace bi-frontal, nu, habillé par un rigoureux travail de lumière et de son, et  une distribution réduite au strict minimum (six acteurs au lieu de vingt cinq), des costumes sobres et fonctionnels.
Radical comme le drame de Victor Hugo en son temps. En effet, d’Hernani, plus que la pièce,  on retient la célèbre bataille, qui,  en 1830, à l’instar de la préface de Cromwell, fonda le drame romantique, quelques mois avant une autre révolution : les Trois Glorieuses. Hugo fait sauter ici  les verrous du dogme classique : fiction et histoire, comique et tragique, genre majeur et genre mineur cohabitent, et il ébranle, pour les personnages, le système des emplois.
Son combat fut autant esthétique que politique :  ce  que Victor Hugo prônait, opposait le romantisme à la Société royale des bonnes-lettres et, partant, au gouvernement de Charles X. La pièce opposa bientôt les patriotes au Parti de la Cour, l’Assemblée au Roi, la Révolution à la contre-révolution. C’est ce souffle de liberté que l’on ressent dans la mise en scène.
L’action débarrassée de tout ornement superfétatoire se focalise sur le quatuor amoureux : Dona Sol face à ses trois prétendants : celui qu’elle aime, Hernani le rebelle, le roi d’Espagne, futur Charles Quint et enfin son noble et vieux tuteur, don Ruy. Le dispositif de Lormeau met les acteurs directement en contact avec le public : ils surgissent, masqués, armés de pistolets et de dagues, comme des cow-boys dans un saloon. Ils s’affrontent, s’attirent et se repoussent. C’est la réussite du projet.

Nicolas Lormeau a porté une grande attention au texte et le vers nous est donné comme naturel, tel que l’a écrit Hugo, épousant toutes les nuances de la pensée, se prêtant à toutes les tonalités, également pratiqué par le valet et son roi, la dame et sa suivante. L’alexandrin, le poète le veut élitaire et libertaire pour tous, affranchi des règles, ignorant superbement la coupe à l’hémistiche, haché ou débordant…  C’est une langue qui,  aujourd’hui encore, nous ravit par ses audaces et ses beautés. D’autant que la version ici jouée a subi des coupes judicieuses : deux scènes supprimées et quelques interminables tirades amputées.
Mais,  malgré toutes ces qualités, on reste quand même un peu sur sa faim. Comme si Lormeau n’arrivait pas à faire passer  entièrement le souffle hugolien.  La représentation a des allures de western mais  la distance épique n’y est pas… Hernani (Félicien Juttner) ne correspond pas vraiment au  » lion superbe et généreux » de la fameuse tirade : ici, c’est un jeune teigneux, déchiré entre son amour et sa haine du roi. Don Carlos (Jérôme Pouly) ne se hausse pas à la noblesse du Charles-Quint imaginé par Hugo, sorte de réincarnation de Napoléon et Charlemagne. Devant la tombe de Carolus Magnus, introduite au quatrième acte sur la scène et transformée en lit de noce pour le final, son discours de futur empereur semble lui écorcher les lèvres.
Quant au vieux barbon de don Ruy (Bruno Rafaelli), il ne prête guère à rire, même dans les situations scabreuses. Seule la Dona Sol de Jennifer Decker, toute candide et angélique qu’elle soit, demeure d’une résolution sans faille, habitée par l’amour jusqu’à précéder son amant dans la mort.
Cette lecture délibérée de la pièce a quelque chose de réducteur.
..Mais quels spectateurs sommes-nous aujourd’hui, en regard des catégories énoncées par Hugo dans la préface de Ruy Blas, que Lormeau nous fait entendre dans le noir en prologue au spectacle  ?    » Trois espèces de spectateurs composent ce qu’on est convenu d’appeler le public : premièrement, les femmes ; deuxièmement, les penseurs ; troisièmement, la foule proprement dite. Ce que la foule demande presque exclusivement à l’œuvre dramatique, c’est de l’action ; ce que les femmes y veulent avant tout, c’est de la passion ; ce qu’y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des caractères… Tous veulent un plaisir ; mais ceux-ci, le plaisir des yeux ; celles-là, le plaisir du cœur ; les derniers, le plaisir de l’esprit. De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion  pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité. « 
  Mais chacun aujourd’hui, peut trouver  son compte dans cette pièce remise au goût du jour. Un spectacle  à recommander aux enseignants pour leurs élèves.

Mireille Davidovici

Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 18 février.

Deux débats : le 7 février à 18 h : Le théâtre comme champ de bataille et le 8 février à 18h : Le théâtre à l’assaut du public.


Archive pour 3 février, 2013

L’Homme qui se hait

L’Homme qui se hait d’Emmanuel Bourdieu, mise en scène de Denis Podalydès.

L'Homme qui se hait poda2C’est presque en fait un monologue écrit pour le théâtre par Emmanuel Bourdieu, vieux complice de Denis Podalydès. Le personnage principal est M. Winch, un professeur de philo atypique-on ne peut s’empêcher de penser à Michel Onfray- en rupture avec l’Université qui a fondé l’UPA, (Université Philosophique Ambulante), qui, avec Irène, son étudiante dévouée devenue ensuite son épouse, et son très fidèle assistant et grand admirateur de sa pensée, M. Bakhamouche, va propager la bonne parole, un peu partout en prononçant des conférences dans des salles  tristounettes.
Mais voilà, M. Winch n’est pas du tout, mais pas du tout Michel Onfray  dont le cours magistral à l’Université populaire de Caen est un grand succès, et même si Winch est un enseignant passionné, il est très  antipathique ! A vouloir tout prouver et tout déduire dans n’importe quel domaine,  sa pensée n’est en plus prise avec le réel.
Comment transmettre le savoir? La question a toujours et depuis longtemps obsédé les enseignants et pour Denis Podalydès, la phrase que Winch prononce: « Je ne suis pas ici pour être aimé » est d’un strict plan pédagogique tout à fait juste et l’exemple que cite le professeur Winch: « L’homme qui se hait » pourrait s’appliquer à lui-même.
Winch restera à jamais incompris et solitaire face aux publics qui viennent l’écouter. Et il a des rapports difficiles, voire ambigus avec son équipe, Irène son étudiante et M. Bakhamouche qui font tout pour lui permettre de continuer tant bien que mal à assurer ses conférences .

Le thème du professeur un peu ridicule et/ou conférencier maladroit n’est pas une nouveauté en littérature ni au théâtre,  mais qu’importe… Cela pourrait fonctionner!Au début, on est un peu intrigué par cette scène nue et noire où sont installés, une petite estrade avec micro, une quarantaine de chaises de classe,  avec dans le fond, un praticable/ lit où dormira M. Winch, tandis que ses deux collaborateurs devront se contenter de petites couchettes installées sur des chaises.
La haute et mince silhouette comme le visage de Gabriel Dufay : costumes trois pièces noir et barbe abondante- sont impressionnants et ce M. Winch, professeur un peu mystérieux  semble sorti tout droit d’une bande dessinée.Mais on ne voit pas de quel droit Bourdieu nous inflige le supplice de passer presque deux heures avec un personnage aussi antipathique que bavard… Sur ces bases-là, l’ensemble du spectacle ne peut pas fonctionner … Simon Bakhouche et Clara Noël font  avec Gabriel Dufay, un boulot pas facile.  Mais comme on les entend parfois mal parce que les voix se perdent sur cette scène nue, cela n’arrange pas les choses. Même si Denis Podalydès a cru bon-c’est très mode-de les sonoriser par moments.(On n’est pas ici dans la grande mise en scène…)
Quant au  texte, aussi  insignifiant  que  prétentieux et  sans aucun souffle,  que Bourdieu et Podalydès essayent  de nous imposer, il n’a absolument pas de vertu théâtrale.  » L’éternité, c’est long surtout vers la fin », disait Alphonse Allais. Et ici, l’éternité commence-soyons généreux-cinq minutes pas plus, après le début! Rien à faire, on comprend tout de suite que cela ne décollera pas,  et,  s’installe alors un ennui aussi pesant qu’irréversible!
Denis Podalydès,  a cru, lui, aux vertus du texte écrit par son vieux complice et  a sans doute pensé qu’un acteur avec une silhouette aussi curieuse que celle de Gabriel Dufay pouvait réussir à imposer cette logorrhée. Cela aurait dû rester un travail de laboratoire. Mais comment a-t-il pu croire un seul instant qu’elle  pouvait intéresser un public. Mystère?
Les aventures de  ce M. Winch, éternel incompris, légèrement comique, perdu dans ses rêves  et parfois coléreux, pourraient faire l’objet d’une petite-très petite-nouvelle, et/ou, à la grande rigueur, d’un monologue de dix  minutes, mais pas plus!
Comment croire un instant à cette chose qui manque singulièrement de chair; on s’ennuie, parce qu’au théâtre, on s’ennuie quand il n’y plus aucun espoir. Les deux autres personnages-caricatures d’assistants-sont, eux aussi, à peine crédibles, et leur seule fonction semble être de ne pas laisser seul le professeur M. Winch pendant cent longues, très longues,minutes…Tout cela ne fait pas du théâtre, contrairement à ce que croit sans doute, avec une belle naïveté, Denis Podalydès.
Les adolescents de Vélizy qui, l’autre soir, écoutaient avec une attention très soutenue les dialogues de Tendre et cruel de Martin Crimp, dans la formidable mise en scène de Brigitte Jaques, dont on vous reparlera, s’ils avaient dû subir pareille épreuve, se seraient vite envoyé des SMS pour passer le temps. Et ils auraient eu raison… Nous avions bêtement laissé notre portable au vestiaire, dommage!
On se demande bien pourquoi Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-française, n’a pas réussi à y faire jouer cette pièce tout à fait passionnante… pour lui qui en parle avec passion. Muriel Mayette, l’administratrice du Français,  n’aurait-elle pas été convaincue? On se demande bien aussi pourquoi, et par quel miracle, cet Homme qui se hait, a pu se faire aimer par les directeurs d’Amiens d’abord, de Creil ensuite et de Chaillot? Qui a vraiment lu ce texte avant qu’il soit monté?  Comprenne qui pourra, d’autant plus que Didier Deschamps sait diriger sa maison.
Mystère? « Le seul mystère, c’est qu’il y ait des gens pour penser au mystère. » , écrivait le grand Fernando Pessoa…
En tout cas, l’aide  publique  qui a permis de monter cette chose innommable,  aurait pu servir à financer le spectacle d’une jeune compagnie. C’est cela le plus triste. Et on chercherait en vain un théâtre privé qui aurait choisi de le produire! A un moment où la Ministre de la Culture et l’Elysée appellent  au bon usage de budgets réduits,  il y a de quoi être en colère. Le droit à l’erreur,  cela existe mais il y a des limites à ne pas franchir!

Voilà, on vous aura prévenus… Si vous tenez absolument à y aller, bon courage…Pas besoin de réserver, il devrait y avoir de la place! Vous pouvez même peut-être négocier le prix d’entrée! Et envoyez-y vos meilleurs ennemis…
Une idée pour remplir la salle: inviter des étudiants en « ingénérie culturelle »comme on dit,  pour les faire travailler sur les raisons qui ont abouti à un tel plantage! Un vrai cas d’école comme celui-ci, cela ne voit pas tous les soirs!


Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot jusqu’au 28 février.

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