L’Homme qui se hait

L’Homme qui se hait d’Emmanuel Bourdieu, mise en scène de Denis Podalydès.

L'Homme qui se hait poda2C’est presque en fait un monologue écrit pour le théâtre par Emmanuel Bourdieu, vieux complice de Denis Podalydès. Le personnage principal est M. Winch, un professeur de philo atypique-on ne peut s’empêcher de penser à Michel Onfray- en rupture avec l’Université qui a fondé l’UPA, (Université Philosophique Ambulante), qui, avec Irène, son étudiante dévouée devenue ensuite son épouse, et son très fidèle assistant et grand admirateur de sa pensée, M. Bakhamouche, va propager la bonne parole, un peu partout en prononçant des conférences dans des salles  tristounettes.
Mais voilà, M. Winch n’est pas du tout, mais pas du tout Michel Onfray  dont le cours magistral à l’Université populaire de Caen est un grand succès, et même si Winch est un enseignant passionné, il est très  antipathique ! A vouloir tout prouver et tout déduire dans n’importe quel domaine,  sa pensée n’est en plus prise avec le réel.
Comment transmettre le savoir? La question a toujours et depuis longtemps obsédé les enseignants et pour Denis Podalydès, la phrase que Winch prononce: « Je ne suis pas ici pour être aimé » est d’un strict plan pédagogique tout à fait juste et l’exemple que cite le professeur Winch: « L’homme qui se hait » pourrait s’appliquer à lui-même.
Winch restera à jamais incompris et solitaire face aux publics qui viennent l’écouter. Et il a des rapports difficiles, voire ambigus avec son équipe, Irène son étudiante et M. Bakhamouche qui font tout pour lui permettre de continuer tant bien que mal à assurer ses conférences .

Le thème du professeur un peu ridicule et/ou conférencier maladroit n’est pas une nouveauté en littérature ni au théâtre,  mais qu’importe… Cela pourrait fonctionner!Au début, on est un peu intrigué par cette scène nue et noire où sont installés, une petite estrade avec micro, une quarantaine de chaises de classe,  avec dans le fond, un praticable/ lit où dormira M. Winch, tandis que ses deux collaborateurs devront se contenter de petites couchettes installées sur des chaises.
La haute et mince silhouette comme le visage de Gabriel Dufay : costumes trois pièces noir et barbe abondante- sont impressionnants et ce M. Winch, professeur un peu mystérieux  semble sorti tout droit d’une bande dessinée.Mais on ne voit pas de quel droit Bourdieu nous inflige le supplice de passer presque deux heures avec un personnage aussi antipathique que bavard… Sur ces bases-là, l’ensemble du spectacle ne peut pas fonctionner … Simon Bakhouche et Clara Noël font  avec Gabriel Dufay, un boulot pas facile.  Mais comme on les entend parfois mal parce que les voix se perdent sur cette scène nue, cela n’arrange pas les choses. Même si Denis Podalydès a cru bon-c’est très mode-de les sonoriser par moments.(On n’est pas ici dans la grande mise en scène…)
Quant au  texte, aussi  insignifiant  que  prétentieux et  sans aucun souffle,  que Bourdieu et Podalydès essayent  de nous imposer, il n’a absolument pas de vertu théâtrale.  » L’éternité, c’est long surtout vers la fin », disait Alphonse Allais. Et ici, l’éternité commence-soyons généreux-cinq minutes pas plus, après le début! Rien à faire, on comprend tout de suite que cela ne décollera pas,  et,  s’installe alors un ennui aussi pesant qu’irréversible!
Denis Podalydès,  a cru, lui, aux vertus du texte écrit par son vieux complice et  a sans doute pensé qu’un acteur avec une silhouette aussi curieuse que celle de Gabriel Dufay pouvait réussir à imposer cette logorrhée. Cela aurait dû rester un travail de laboratoire. Mais comment a-t-il pu croire un seul instant qu’elle  pouvait intéresser un public. Mystère?
Les aventures de  ce M. Winch, éternel incompris, légèrement comique, perdu dans ses rêves  et parfois coléreux, pourraient faire l’objet d’une petite-très petite-nouvelle, et/ou, à la grande rigueur, d’un monologue de dix  minutes, mais pas plus!
Comment croire un instant à cette chose qui manque singulièrement de chair; on s’ennuie, parce qu’au théâtre, on s’ennuie quand il n’y plus aucun espoir. Les deux autres personnages-caricatures d’assistants-sont, eux aussi, à peine crédibles, et leur seule fonction semble être de ne pas laisser seul le professeur M. Winch pendant cent longues, très longues,minutes…Tout cela ne fait pas du théâtre, contrairement à ce que croit sans doute, avec une belle naïveté, Denis Podalydès.
Les adolescents de Vélizy qui, l’autre soir, écoutaient avec une attention très soutenue les dialogues de Tendre et cruel de Martin Crimp, dans la formidable mise en scène de Brigitte Jaques, dont on vous reparlera, s’ils avaient dû subir pareille épreuve, se seraient vite envoyé des SMS pour passer le temps. Et ils auraient eu raison… Nous avions bêtement laissé notre portable au vestiaire, dommage!
On se demande bien pourquoi Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-française, n’a pas réussi à y faire jouer cette pièce tout à fait passionnante… pour lui qui en parle avec passion. Muriel Mayette, l’administratrice du Français,  n’aurait-elle pas été convaincue? On se demande bien aussi pourquoi, et par quel miracle, cet Homme qui se hait, a pu se faire aimer par les directeurs d’Amiens d’abord, de Creil ensuite et de Chaillot? Qui a vraiment lu ce texte avant qu’il soit monté?  Comprenne qui pourra, d’autant plus que Didier Deschamps sait diriger sa maison.
Mystère? « Le seul mystère, c’est qu’il y ait des gens pour penser au mystère. » , écrivait le grand Fernando Pessoa…
En tout cas, l’aide  publique  qui a permis de monter cette chose innommable,  aurait pu servir à financer le spectacle d’une jeune compagnie. C’est cela le plus triste. Et on chercherait en vain un théâtre privé qui aurait choisi de le produire! A un moment où la Ministre de la Culture et l’Elysée appellent  au bon usage de budgets réduits,  il y a de quoi être en colère. Le droit à l’erreur,  cela existe mais il y a des limites à ne pas franchir!

Voilà, on vous aura prévenus… Si vous tenez absolument à y aller, bon courage…Pas besoin de réserver, il devrait y avoir de la place! Vous pouvez même peut-être négocier le prix d’entrée! Et envoyez-y vos meilleurs ennemis…
Une idée pour remplir la salle: inviter des étudiants en « ingénérie culturelle »comme on dit,  pour les faire travailler sur les raisons qui ont abouti à un tel plantage! Un vrai cas d’école comme celui-ci, cela ne voit pas tous les soirs!


Philippe du Vignal

Théâtre National de Chaillot jusqu’au 28 février.

 

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