Trois Sœurs

Trois Sœurs   trois_soeurs

Les Trois Sœurs de Tchekhov, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Claire Lasne-Darcueil.

Claire Lasne-Darcueil, dès 95, avait  fait le serment de monter intégralement le théâtre  de  Tchekhov, dans l’ordre chronologique. Après Platonov en 95, Ivanov en 99, La Demande en mariage en 2001, L’Homme des bois en 2002, et  La Mouette en 2005.
Pour la metteuse en scène sensible à l’univers de ce théâtre existentiel, l’auteur russe est un amoureux de la nature, de la gent féminine et des hommes en général, mais aussi un citoyen engagé dans la lutte contre les ravages de la misère et de la bêtise dans un pays immense. L’œuvre est un discours sur la recherche du bonheur pour tous – maîtres et valets -une parole attachante répartie entre des personnages impliqués dans le pressentiment du grand mouvement vers la Révolution russe.
Aujourd’hui, Claire Lasne-Darcueil prend des chemins vagabonds pour offrir une vision singulière de l’esprit des Trois Sœurs d’après Tchekhov. Il a, dit-elle, « consacré son existence à faire des vœux d’harmonie pour les générations futures, bénissant le progrès qui conjurait la pauvreté et l’analphabétisme, tant que ce progrès ne s’aviserait pas de détruire les elfes et les fées cachés dans les bois et dont chacun a besoin pour vivre « . Le lieutenant-colonel Verchinine (Patrick Pineau) du régiment de la petite ville  où vivent ces trois sœurs, prophétise que, seuls ses arrière-petits-neveux connaîtront une amélioration de leur existence.
On ne fait que rêver le bonheur mais on ne l’atteint pas. Le thème du temps qui passe, entre confidences sentimentales et débats philosophiques, dans l’insatisfaction des attentes personnelles, parcourt la pièce. Olga, Macha et Irina, des jeunes filles cultivées de province, fêtent l’anniversaire de la cadette en même temps que la fin du deuil paternel. Les trois sœurs, dont l’une est  mariée,  n’ont pour divertissement que les visites des officiers du régiment, occasions de discussion souriante, d’échange et de rencontre amoureuse.
Le rêve qui les hante est de retourner à Moscou, la ville  où elles ont passé leur enfance avec leur mère défunte. Mais le cours des choses,  avec leur cortège d’ennui quotidien et de trivialités,  emportera les espérances d’Olga, Macha et Irina et les empêchera de construire leur destin. Comment apaiser une souffrance profonde quand est éludée toute possibilité de consolation ?
Claire Lasne-Darcueil sait, avec un art pénétrant de la scène, combattre le désespoir et sauvegarder les elfes et les fées cachés dans les bois, et nous offrir une métaphore du rapport onirique des êtres au monde et à leurs rêves, une dimension infiniment humaine et poétique. Loin de toute volonté illustrative, la représentation joue –au sens fort du terme – du théâtre et du cinéma, grâce à la réalisation du film en noir et blanc de Martin Verdet et  Claire Lasne-Darcueil.
Du ciné-théâtre ou bien du ciné-spectacle… Le regard du spectateur se dirige ,alternativement et en même temps, de la scène à l’écran. Avec d’un côté, les  trois personnages féminins, dont la présence fantomatique n’en est pas moins intense. La grâce des trois jeunes femmes diffuse un éclat de sensualité. Anne Sée pour Olga, Julie Denisse pour Macha et Emmanuelle Wion pour Irina-excellentes-courent et dansent sur le plateau.
De l’autre côté, sur l’écran: un hors-scène qui est encore la scène avec le paysage hivernal ou estival de la Nature mère-le spectacle est composé de saisons -champs d’herbes hautes de campagne sauvage et d’arbres aux branches lourdes de feuilles frémissantes traverseés  par une  eau vive, dont les résonances musicales caressent l’oreille du public,  et  trilles entêtantes des oiseaux au printemps. Claude Guyonnet, Gérard Hardy, François Marthouret, Nicolas Martel, Patrick Pineau et Laurent Ziserman – sont les maîtres pleins de verve de l’écran.
Ils vivent hors plateau tout en s’accordant des « rencontres » avec les femmes sur la scène. D’un visage expressif agrandi à la silhouette de marionnette sur la scène, les échanges s’accomplissent à l’aide d’un geste, de la tonalité d’une voix ou de la tournure d’un dos. Les lumières sur un visage multiplient les reflets de miroir dans le miroir, et l’infiniment petit côtoie l’infiniment grand grâce au jeu des masques et marionnettes.
La main de Verchinine dont est amoureuse Macha devient sur l’écran un refuge dans lequel vient se lover la jeune femme attristée par le départ de l’amant. Cette main expressive contredit une autre toutaussi éloquente mais contrite de l’époux non aimé. Tendresse et émotion dans une ambiance de cinéma muet pour dire l’inexprimable, la force de la douleur et celle du plaisir d’être au monde.

Véronique Hotte

Cap Sud–Centre culturel à Poitiers. Jusqu’au 17 février 2013, vendredi, samedi à 20h30, dimanche à 16h. T : 05-49-62-97-47

 Spectacles à voir en février : à 20 h 30 les vendredis 1er, 8 et 15, samedis 2, 9 et 16, et à 16 h les dimanches 3, 10 et 17.

 


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