Métamorphose
Métamorphose, d’après la nouvelle de Kafka, adaptation et mise en scène Sylvain Maurice.
La tragédie commence toujours par: » ce jour-là…. Les contes aussi : « un jour…, le jour où un accident, un événement se produit. Métamorphose est le conte le plus fantastique et le plus réel que l’on connaisse. Ce jour-là Grégor Samsa, soutien de famille – c’est-à-dire d’un père commerçant ruiné, d’une mère qui fait de la couture et d’une sœur trop jeune – ne se réveille pas, ne prend pas son train et ne va pas travailler.
Il a craqué. Kafka représente ce craquage par la métamorphose en une sorte de cancrelat inreprésentable, et en tout cas, pas présentable du tout, dont les craquements terrifient et dégoûtent la maisonnée.
Puis, du jour où l’inutile Gregor disparaît du cercle-ou du carré-familial, le reste de la famille reprend du poil de la bête. Le fils mort, le parasite écrasé, ce sera la délivrance des énergies, des désirs. Quant aux restes d’amour maternel et sororal, ils auront été dispersés avec les restes et l’odeur de la bête. Laissons de côté toute interprétation métaphorique et constatons la belle proportion mathématique qui existe entre la force de Gregor et la faiblesse de sa famille et inversement.
Sylvain Maurice avait fait du théâtre-récit avec L’Adversaire, tiré du roman d’Emmanuel Carrère, qui a pour thème l’affaire Romand. Ici, il fait du théâtre-images. En peu de mots, il met sur le plateau un système familial qu’on voit se dérégler, au prix de l’anéantissement du fils. D’abord invisible, il est enfermé dans un énorme cylindre-lourde image de la machine à broyer-, puis apparaît furtivement, en homme maigre et inquiet, réfugié dans son armoire, tandis que le “locataire“, l’intrus qui devrait apporter un peu d’argent à sa place, apparaît, lui, avec un masque monstrueux. Si l’on voit peu Gregor, grâce à la vidéo, on voit ce qu’il voit : la caméra subjective suit ses attentes, ses peurs, l’épouvante de la cascade de déchets qui lui est versée comme nourriture… Pendant ce temps, la tournette désarticule le cylindre en un labyrinthe où la famille se croise, implacablement séparée ou grotesquement réunie.
Tout est très bien fait, la mécanique est impeccable, le travail du son remarquable, et ça ne fonctionne pas vraiment. Le décor trop lourd laisse peu de place aux très bons Nadine Berland et Marc Berman (les parents). Leur partition est trop courte et trop logiquement banale pour qu’ils puissent s’imposer face à cette machine. Ils ont quand même de beaux élans, Arnaud Lecarpentier apporte en belle étrangeté en vieille femme virile, Emilie Bobillot (la sœur) réussit un mélange assez rude de brutalité et de tendresse. Cela ne suffit pas. Peut-être fallait-il qu’ils prissent (prissent !) le temps d’aller jusqu’à la grâce de la marionnette. Sylvain Maurice avait parfaitement réussi l’équilibre du son, de l’image, de l’acteur avec La Chute de la Maison Usher, l’année dernière à la Maison de la Poésie. Cette fois, l’équilibre n’y est pas.
Christine Friedel
Théâtre de la Commune d’Aubervilliers – jusqu’au 23 février – 01 48 33 16 16