Souterrainblues
Souterrainblues de Peter Handke, adaptation et mise en scène de Christophe Perton
Jeté là sur le plateau, il hésite avant de s’y lancer, l’homme sauvage, puis il rugit, invective, prend à partie les voyageurs de la rame, car d’après le décor, les lumières et la bande son, c’est dans le métro qu’il fait irruption. »Et encore vous. Et encore devoir être parmi vous. Alleluia ! Miserere. Marée basse sans marée haute. Si au moins vous étiez des malfaiteurs ». Cependant la scène est vide, sauf un rang de strapontins de part et d’autre qui s’ouvrent et se referment, figurant les allées et venues de voyageurs fantômes.
Pendant près d’une heure et quart, Yann Collette, sorte de clochard métaphysique aux allures félines, tiendra le crachoir. Au fil des stations, du flux et reflux de passagers invisibles, il vitupère l’époque et accuse ses contemporains de laideur, le monde d’avoir abdiquer la beauté.
Rien ne trouve grâce à ses yeux : « Cessez de lire dans le métro – partout en public, d’ailleurs. À qui vous voulez donner ainsi donner la comédie de la lecture ? Lecture et lieux publics, deux choses qui s’excluent. Et par lecture, j’entends la vraie lecture, active. Ce que vous faites, là, avec ces livres entre les mains, c’est tout autre », dit-il.
Comme dans sa toute première pièce, Outrage au public, Handke récidive trente huit ans plus tard : en 2004 Souterrainblues avait été montée en allemand par Claus Peyman. Mais , cette fois,dans ce long monologue, l’invective est plus ambiguë et, proférée par un personnage profondément malheureux, désespéré et solitaire, chargée d’humanité Le titre français ne peut traduire le jeu de mot du titre allemand Untertagsblues dont le sous-titre, Ein Stationsdrama renvoie ironiquement à une forme théâtrale ancienne, et qui, ici, évoque autant les stations d’une ligne de métro que celles du chemin de croix ou d’une descente aux enfers : « Il n’y a plus qu’ici, dans la lumière des catacombes, que nous apparaissons? « Pourquoi rentrer chez soi ? Pourquoi ne pas rouler ainsi encore jusquʼà la fin amère et bienheureuse ? » se plaint l’homme.
Il faut du souffle pour entraîner l’auditoire dans ce voyage souterrain vers nulle part, au coeur des ténèbres de l’humanité occidentale moyenne, vilenpidant sa morale hypocrite, sa laideur et sa médiocrité. Et Yann Collette n’en manque pas, qui a su se saisir du texte dans toute son ambigüité, et en faire ressortir l’humour. Mais il y a un manque, un flottement dans la mise en scène, comme si parfois il s’y trouvait perdu. Il faut dire que c’était le soir de la première.
Espérons qu’au contact du public, il trouvera rythme et énergie. Ce n’est en tous cas pas la femme sauvage qui l’y aidera: deus ex machina, elle surgit au terminus, telle une furie ,pour l’accuser à son tour et lui ouvrir les yeux, ou lui montrer une voie de sortie, si l’on prend la pièce comme la métaphore d’une époque sans issue. Même si, dramaturgiquement, le personnage est conçu pour lui redonner espoir et humanité, cette apparition n’est pas très heureuse. Question d’écriture, de réalisation, d’interprétation ? À vous de voir.
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point jusqu’au 9 mars 20 T: 01-44-95-98-21
Souterrainblues traduit de l’allemand par Olivier Le Lay à paraître au Manteau d’Arlequin (Gallimard) mars 2013