Eyolf (quelque chose en moi me ronge)

Eyolf (quelque chose en moi me ronge), texte d’Henrich Ibsen, adaptation d’Hélène Soulié et Renaud Diligent, traduction en français de Terje Sending, mise en scène et dramaturgie d’Hélène Soulié.

 Eyolf (quelque chose en moi me ronge) ec4c7c761b44a718a7a61f1b2330e7a8Ibsen avait  écrit la pièce  en 1894,   trois ans après  être revenu en Norvège  depuis Rome où il avait passé -ce que l’on sait moins -presque trente ans…
Il mourra peu de temps après. C’est une pièce curieuse et tout à fait intéressante que l’on connaît mal mais qui est quand même assez souvent jouée. Elle avait été montée, entre autres, par Alain Françon. Avec un scénario  du genre plutôt surprenant chez un écrivain de 66 ans! Cela se passe dans une île de Norvège; c’est l’été, et Alfred Allmers, un philosophe qui revient d’une randonnée en montagne, prend la décision de renoncer à un livre et à ses recherches philosophiques pour se consacrer au petit Eyolf, son petit garçon handicapé moteur.  Rita, sa femme qui semble moins amoureuse de son mari, et  Asta, la sœur d’Alfred ne comprennent pas du tout  son choix…

Mais, coup de théâtre, juste à la fin du premier acte: la mort rôde, et, à peine a-t-on fait connaissance avec Alfred, Rita, Asta et Borgheim, un ingénieur très proche d’Asta , qu’ Eyolf va suivre une curieuse femme, chasseuse de rats et  symbole de la mort. Fasciné par elle, il va  se noyer-accidentellement?-dans l’eau d’un fjord.
La disparition d’Eyolf, dont on n’a pas retrouvé le corps, interdit à son père et sa mère de pouvoir vraiment prendre conscience de sa mort. Eyolf est donc un mort vivant.Ibsen a mis en place dans ce premier acte d’Eyolf les bases du drame: les deux trentenaires  vont vite  se déchirer et se reprocher leur  égoïsme et leur quête personnelle d’absolu.
Vieille histoire sur l’air du « jamais plus avec toi, jamais plus sans toi » mais  Rita et Alfred peuvent-ils vivre l’un sans l’autre? Et quelle sera la vie future d’Asta et de Borgheim. Eyolf disparu, le destin semble rebattre les cartes de ces  deux hommes et de ces deux femmes dont la vie a été  soudain bouleversée…

La seule solution, pour Rita et Alfred, sera de dépasser leurs querelles et de recueillir des enfants très pauvres et malheureux du hameau du bas. Et coup de théâtre du genre un peu grosse ficelle, préparé par l’astucieux  Ibsen: Asta va révéler à Alfred qui a toujours été amoureux de sa sœur… qu’elle a découvert  des lettres prouvant qu’ils ne sont pas vraiment frère et sœur, ce qui  modifie la donne, et va encore compliquer les choses…
Les mensonges, les secrets, les non-dits sur fond de vie et de mort, mais aussi de solitude, d’angoisse existentielle et de cynisme dans les relations homme/femme: bref, la folie devient contagieuse…On sent Alfred coincé entre ces deux femmes de sa vie et cabossé,d’abord par la disparition de son fils et  par la révélation de sa sœur. A l’acte III, on ne sait plus trop ce qui va se passer et les relations entre les quatre personnages deviennent de plus en plus tendues. Qui va aller avec qui? De quoi va être faite leur nouvelle existence? Ibsen, après avoir écrit quelque vingt pièces,  sait brouiller les fils à merveille.

Reste à savoir comment on peut monter l’histoire fascinante de cette famille qui doit reconsidérer sa vie, quand la mort d’un enfant a bouleversé tous ses repères existentiels. Hélène Soulié a, dit-elle, « imaginé une boîte noire celle du théâtre, véritable boîte à image. Créer un monde d’apparence et travailler sur des troubles de la perception visuelle, et interroger notre perception du réel. Balader le spectateur. Lui mentir comme le font les personnages ». On veut bien, même si on ne comprend pas où la metteuse en scène veut nous emmener. Et pour être baladé, on est baladé…  Mais plutôt ailleurs que chez Ibsen, dans un univers  comme en imagine souvent Régy pour Jon Foss, mais sans la rigueur et l’impeccable direction d’acteurs qui le caractérisent. « Les spectacle du Collectif  Exit, dit Hélène Soulié, ont une intensité particulière et leur écriture se tisse avec les gens, les lieux et se nourrit du réel, et du présent ». Malheureusement,  nous n’avons pas vu cela dans cette mise en scène quand même un peu prétentieuse…
La scénographie du moins  sur le plan pictural a quelque chose d’intéressant-juste une table grise et trois chaises noires, et un grand voile blanc  suspendu-mais c’est une erreur de débutant que d’avoir imaginé une scène avec une pente assez prononcée où les comédiens ne sont pas à l’aise, et cela ne pardonne pas. Dans le fond, une sorte de traînée bleu foncée en vidéo semble évoquer  le temps qui passe et il y aura à la fin une image de mer bleue, deux choses pas  du tout  indispensables..
Après le premier acte, s’écouleront quelques minutes interminables, où l’on modifiera le décor, pourvu maintenant  de cavités que  les comédiens évitent comme ils peuvent-affublés de micros HF(c’est très mode) qui ne servent à rien du tout sinon à uniformiser les voix, et sur la pente, il y a une inutile dégoulinade d’eau… Comprenne qui pourra. Renaud Diligent et Hélène Soulié ont situé l’action de nos jours, et là, au moins, c’est plutôt bien vu. Dominique Frot, dans un numéro  de vieille folle chasseuse de rats, accompagné d’un gros chien noir qui fait tout d’un coup irruption, est tout à fait remarquable mais les autres comédiens peinent à imposer leurs personnages. On pardonnera donc au chien qui s’ennuie d’aller ensuite faire un tour sur la scène puis dans la salle…
Et Hélène Soulié aurait pu surtout nous épargner cette longue scène où le couple se parle en fond de scène, dos au public dans une pénombre prononcée! L’univers d’Ibsen n’a jamais été d’une gaieté folle mais pourquoi recourir à cette facilité de plonger ses personnages dans la noirceur?
Quand Ostermier, grand amoureux d’Ibsen, monte sa remarquable Maison de Poupée, il le fait dans une totale clarté, et la fin dramatique  du mariage de Nora n’en est que plus évidente.

Bref, on l’aura compris, nous ne voyons pas vraiment de raison majeure de vous envoyer voir la pièce telle qu’elle est mise en scène ici. Dommage,  dommage… mais le compte n’y est pas,  et  François Rancillac ne viendra pas se plaindre si le public, comme ce vendredi, ne remplit guère son beau théâtre…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 3 mars.


Archive pour 17 février, 2013

Et puis si nous passions le pantalon français

Et puis si nous passions le pantalon français, mise en scène de Philip Boulay,  d’après l’œuvre d’Abdelmalek Sayad.

Et puis si nous passions le pantalon français et-puis-nous-passions_5746-300x199Nous avions pu apprécier le talent de metteur en scène Philip Boulay, petit elfe voyageur et passionné, avec Roberto Zucco et Dans la solitude des champs de coton au Blanc-Mesnil, et Topdog Underdog de Susan Lori-Parks, est un spectacle qui avait laissé, lui-aussi,une belle rémanence !
C’est dire l’attente suscitée par ce titre étrange Et puis si nous passions le pantalon français ! Malgré l’engagement de dix-sept amateurs dans cette évocation des souffrances des Algériens en France dans les bidonvilles depuis l’indépendance, le texte souffre d’un grave défaut de construction et les acteurs restent inaudibles la plupart du temps. Les rôles d’hommes tenus par des femmes sont peu crédibles dans des  personnages pas vraiment dessinés. Hormis quelques séquences dansées où jaillit une certaine énergie sur des musiques saturées, la déception est à la mesure de l’attente.
Pour raconter cette page d’histoire,il aurait fallu quelqu’un comme Kateb Yacine, remarquable écrivain disparu en 1989.

Edith Rappoport

Cité Nationale de l’histoire de l’immigration, samedi 16 février à 20 h et  dimanche 17 à 16 h
reservation@histoire-immigration.fr, 293 av. Daumesnil, 75012 Paris. T: 01-53-59-64-30

Invisibles

Invisibles invisibles

 

Invisibles, texte et mise en scène de Nasser Djemaï.

Nasser Djemaï n’est pas un inconnu;  il avait reçu le prix Sony Labou-Tansi en 2007 Une Etoile pour Noël, sa première pièce il est aussi l’auteur  de Les Vipères se parfument au jasmin mais Invisibles est sans doute son texte le plus abouti. C’est l’évocation de la vie des Chibanis, en arabe « les anciens », des émigrés pauvres et  analphabètes qui sont venus depuis le Maroc et l’Algérie,  travailler en France, dans les années 50-60, le plus souvent  dans l’industrie métallurgique ou chimique, et le bâtiment.   On oublie trop souvent que ce sont eux qui ont fortement contribué à la réussite des fameuses trente glorieuses… Ils ont eu  une vie de travail dur et mal payé, parfois non déclaré, dans des emplois peu qualifiés et précaires, avec des périodes de chômage, loin de leur village, parfois rejoints par  leur femme. Exploités et humiliés, citoyens de seconde zone sans beaucoup de droits, dans une société hostile et souvent raciste, ils ont  quand même réussi à éduquer leurs enfants dans des conditions de logement difficiles.
En retour, la République toujours généreuse-tous gouvernements confondus-leur a procuré une retraite  dérisoire et l’allocation supplémentaire de solidarité aux personnes âgées à une condition: continuer à résider en France pour la  percevoir.  Pauvres parmi les pauvres, vivant seuls dans des foyers, et souvent en mauvaise santé, ils ont fui dans leur jeunesse la misère et  en retrouvent une autre à la fin de leur vie. Et impossible  pour eux, de revenir chez eux dans leur famille. La situation
Ils sont là, ces cinq  émigrés, aux cheveux blancs, solidaires, à jouer aux dominos et aux cartes dans leur cuisine commune, à se promener et à aller prier à la mosquée. A la fois, enracinés en France, notamment à Marseille où il seraient environ 15.000, ils y ont vécu la plus grande partie de leur vie, et  déracinés loin des leurs qu’ils ne revoient en général qu’un mois par an.
Cinq hommes âgés restés dignes dans leur souffrance et leur solitude, qui ont des réactions diverses: il y a ainsi Hamid, assez amer et qui ne croit plus à grand-chose, Shériff en butte à des souffrances physiques: « Moi je suis cassé de partout..La santé. Les papiers. la mosquée. C’est tout ce qui reste. » Driss qui, très déçu par son pays, sent  bien que le temps a passé et que les liens familiaux ne sont plus ce qu’ils étaient; cela fait quarante ans qu’il ne voit sa femme  que chaque été. El Hadj est malade et assez résigné. Majid parle peu mais remâche sans arrêt les horreurs de la guerre qui a cassé l’Algérie en deux. Angelo Aybar, Azzedine Bouayad, Kader Kada, Mostefa Stiti et Lounès Tazaïrt, ne surjouent jamais et sont tous les cinq exemplaires.
Nasser Djemaï n’a pas voulu, dit-il, « parler de ces hommes comme des victimes » et il a sans doute eu raison, même si on est en complète empathie avec ses personnages: « J’avais besoin d’une mémoire apaisée pour débarrasser ces hommes de leur image de victime(…) Je ne pouvais parler de cette histoire sans inclure les récits de mon père, mes enquêtes menées à travers les différents foyers de vieux immigrés, les cafés, les mosquées, les montée d’immeubles et différents ouvrages traitant de ce sujet « .
Comme il n’a pas voulu tomber dans le théâtre documentaire, il a aussi imaginé le personnage de Martin, bien joué par David Arribe, dont la mère vient de mourir et qui vient essayer de retrouver son père parmi ces immigrés retraités qui vont l’entourer rapidement de leur affection, lui retrouvant l’image du père et eux  celle  de leur fils. Cette histoire à faire pleurer dans les chaumières est sans doute le maillon faible de la pièce. Et, malgré la qualité de la direction d’acteurs, la mise en scène souffre souvent d’un côté démonstratif inutile et  Nasser Djemaï aurait pu nous épargner l’évocation  des personnages féminins de l’histoire avec de grandes vidéos en fond de scène.
Malgré ces réserves, cette tragédie des chibanis, pendant quatre-vingt-dix minutes, va droit au cœur du public qui ne mégote pas son attention. Nasser Djemaï a réussi loin de tout pathos et de tout misérabilisme, avec une écriture remarquable de  délicatesse  et d’intensité, à en parler sur une scène. Et ce type de démarche  est tout à a fait originale dans le théâtre contemporain…

Philippe du Vignal

Spectacle vu à Mondeville (Calvados); Invisibles est actuellement  en tournée puis du 19 au 24 avril au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, et ensuite au Théâtre 14 à Paris.

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