Ubu-Roi
Ubu-Roi d’Alfred Jarry, mise en scène de Declan Donellan.
Il ne se passe guère de saison où la célèbre pièce de Jarry ne soit jouée. Cette fois, c’est Declan Donellan, habitué de longue date du Théâtre des Gémeaux, qui reprend le flambeau.
Avec un version « légère » d’Ubu-Roi pour six comédiens qui jouent: le père et la mère Ubu, le capitaine Bordure, le roi Venceslas de Pologne et la reine Rosemonde sa femme, et Bougrelas leur fils, ainsi que les autres personnages secondaires: les palotins, l’armée russe, l’armée polonaise, etc…. Quant aux multiples lieux de la pièce: le palais royal, le champ de bataille la forêt etc.. situés en Pologne, France, Espagne, etc… tout se passe dans la belle salle-à-manger-intelligemment imaginée par Nick Omerod-avec cheminée et moulures aux murs crème, avec aussi une grande table, des canapés et par-derrière, une cuisine et une entrée. Comme l’avait aussi imaginée aussi Antoine Vitez quand il monta la pièce à Chaillot, et, curieusement, avec les mêmes célèbres chaises Arne Jacobsen!
Le spectacle commence par un état des lieux filmé par une caméra vidéo qui s’attarde sur les balayettes et tapis des toilettes, et on est tout de suite dans le pipi-caca. Et la bouteille de vodka-filmée en gros plan- est évidemment:Made in Poland! C’est au début assez drôle mais la balade est quand même un peu longue… Ensuite, le père et la mère Ubu, grands bourgeois du 16 ème, elle, jeune femme en belle robe et escarpins, lui ,en costume chic, fier de ses titres: capitaine de dragon, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle rouge de Pologne, et ancien roi d’Aragon, mettent la dernière main à la table qui a été dressée pour leurs invités. Et Ubu lance alors sa célèbre réplique: » Est-ce parce que nous avons des invités que vous êtes si laide ce soir, mère Ubu ? »
Ce n’est pas une mauvaise idée que d’avoir ainsi transformé cette pièce mythique, et pas du genre facile quand il faut lui inventer une mise en scène. Et Declan Donellan, en grand artisan de la scène, sait y faire: le spectacle fourmille de trouvailles comme ces images, par caméra interposée, d’un gros morceau de viande couvert de sang quand Ubu se met à tuer tout le monde dans la cuisine comme il l’avait méthodiquement prévu: ici, cela se passe à la tronçonneuse et Ubu ressort de la cuisine, le tablier blanc couvert de sang ! « Ne crains rien, ma douce enfant, avait-il dit à la mère Ubu, j’irai moi-même de village en village recueillir les impôts. Avec ce système, j’aurai vite fait fortune, alors, je tuerai tout le monde et je m’en irai ».
Le plan de bataille est tracé au mur à coup de giclées de ketchup, les invités arrivent dans une bourrasque de neige, et il y a des bavardages mondaines à table dont on ne perçoit que quelques mots. Aucun doute là-dessus, c’est bien vu et Donellan possède un sens remarquable de l’image scénique. Et l’on rit souvent, et de bon cœur-mais on ne les entend pas toujours suffisamment- à ces répliques délirantes inventées par un Jarry de 23 ans, mort onze ans plus tard de méningite.
C’est, après Andromaque, la deuxième création de Donellan avec les comédiens français de sa troupe,et il discerne des parentés avec Ubu-Roi: « au sens où les deux pièces, dit-il » traitent, en quelque sorte, de ce qui se passe quand nous nous obstinons à poursuivre des choses que nous voulons, mais qui nous sont refusées ». Soit! Et Donellan montre bien la bassesse et la violence du père et la mère Ubu qui veulent à tout prix conquérir puis garder un pouvoir absolu. Mais il manque à cette mise en scène une dimension parodique, une sorte d’épique à l’envers et de délire total qui sont bien le moteur de la pièce. Le côté potache et bordélique, avec sachets de céréales répandus sur la moquette,ne suffisent pas à rendre la cupidité, la bêtise et la brutalité, quand elle sont le fait des politiques qui arrivent à prendre le pouvoir et qui entendent bien en profiter, d’autant plus qu’ils l’ont longtemps convoité…
Donellan a eu la belle idée d’avoir fait jouer à contre-emploi ses comédiens: Christophe Grégoire (Père Ubu), Camille Cayol (Mère Ubu), Xavier Boiffier (Capitaine Bordure), Vincent de Bouard (Le Roi Wenceslas),Cécile Leterme(La Reine Rosemonde), et Sylvain Levitte( Bougrelas). Bien dirigés, ils sont très à l’aise mais ces grands bourgeois, imaginés par Donellan sont un peu trop « sages » et propres sur eux, pour être vraiment crédibles et, du coup, le côté très provocateur de la pièce pour l’époque, comme ses répliques célèbres: « De par ma chandelle verte, merdre de merdre, etc.. ne sont pas assez mis en valeur, et il aurait fallu trouver des équivalences qui puissent avoir des échos par rapport à la société politique d’aujourd’hui. Bref, on regrette que Donellan ne soit pas allé plus loin dans la dénonciation de l’ordre militaire et bourgeois.
Alors à voir? Oui, pourquoi pas, mais avec les réserves indiquées plus haut….
Philippe du Vignal
Théâtre des Gémeaux de Sceaux jusqu’au 3 mars.