Carnages
Carnages, texte et mise en scène de François Cervantès
Les quatre cents places de la Cartonnerie sont pleines pour la nouvelle création de François Cervantès qui, parallèlement au Prince séquestré, texte intime pour deux artistes égyptiens, (cf. Théâtre du Blog du 18 février) présente aussi Carnages,dans le cadre de Cirque en capitales. Ce temps fort du programme Marseille-Provence 2013- Capitale européenne de la culture met à l’affiche une diversité de spectacles dans ce domaine, car «le cirque réussit cette chimie d’être à la fois un art à la pointe des écritures contemporaines et de rester un grand art vivant qui rassemble tous les publics, toutes les générations».
Cervantès, en tant qu’auteur, illustre bien cette déclaration et sa démarche d’écriture engage sa troupe, L’Entreprise, dans une belle aventure, celle du plateau : «Au fil des années, j’ai donné plus de responsabilités aux acteurs, car au théâtre, dit-il, c’est la soirée qui est une œuvre, et l’acteur en est le maître de cérémonie».
Carnages est «une fête collective, à partir du répertoire des grands clowns du vingtième siècle, Pipo et Rhum, Dario et Bario, les frères Fratellini, à l’époque où ils quittaient les cirques pour entrer dans les music-halls et les théâtres, et où ils avaient une relation prodigieuse avec le public». Sept comédiens (Dominique Chevallier, Nicole Choukroun, Emmanuel Dariès, Anne Gaillard, Catherine Germain, Stephan Pastor et Laurent Ziserman) s’inventent des mondes marginaux, à partir de cette forme théâtrale du clown qu’ils développent au sein de la compagnie, depuis de nombreuses années et où ils excellent . «Le clown est un poète, et même s’il est accompagné, entouré et conseillé pendant la création de ses spectacles, au bout du compte, son acte est absolument personnel et authentique» dit le metteur en scène.
Dans un bel espace de jeu, une ampoule pend, une grande bassine ronde est au centre, une corde sert à la voltige et aux vols planés, un seau et des gants en caoutchouc passent de mains en mains. « Il y a quelqu’un ? ». On croise certains personnages que l’on identifie car on les connaît, pour les avoir rencontrés dans d’autres spectacles, comme Arletti et sa façon particulière de se mouvoir, ou Zig, qui ressemble à un garde-champêtre, et qui pétarade comme une moto.
Des tableaux se succèdent, en fondu enchaîné : balais et personnages et ballet en tutu, chorégraphie pour quatre comparses qui, gentiment, se tabassent. Zig, dont le chapeau laisse échapper de la fumée après un court-circuit qui suspend la musique.
Une séquence dans un ciel habité d’elfes éthérés, avec des antennes et à la drôle de dégaine, apporte fantaisie et poésie. «Tu es arrivé chez les dieux» dit avec solennité Arletti, qui porte le rôle titre, celui de Dieu. On se croirait sur la lune. Cérémonial, extravagances, plantes et fumées semées dans ce jardin d’Eden… L’imaginaire est en mouvement. Au ciel, on voudrait des nouvelles de la terre et sur terre, on essaie d’imaginer le ciel!
Autre séquence, de la même veine, onirique, celle d’un garçon tout vert qu’on amène, endormi et roulé dans un tissu. Ronflements et visions l’accompagnent. Son chien ne le quitte pas, faux comme un plumeau au départ, avant apparition de l’animal, un vrai Milou sur quatre pattes. «Comment tu t’appelles?» lui demande -t-on, «Je ne me souviens pas», répond-il. Mimétisme d’une scène entre un père et son fils adolescent : «Il se fout de tout», comme si on y était. Des ballons fluo s’envolent. Il y a de la féérie dans l’air…
La course-poursuite de l’enfant vert, comme dans une traque, qui sort et ré-apparaît avec une fluidité troublante, se dévoile, quand arrive un second garçon copie conforme et tout aussi vert, dans un jeu de dédoublement. Au final, il neige et, de la grande bassine, sort un jeune homme nu -l’enfant a-t-il grandi?- qui, très naturellement, s’habille et sort. Les lumières baissent et les applaudissements crépitent.
Il y a de l’illusion, de la prestidigitation et de la fantaisie dans ce spectacle, minutieusement écrit mais qui donne pourtant une sensation de liberté, par son expression ouverte et maîtrisée, déclinée entre réel et imaginaire. La scénographie de François Cervantès, Christophe Bruyas qui signe aussi les lumières, et Xavier Brousse créateur du son, participent à l’élaboration d’un paysage dynamique et poétique, dans lequel on se laisse volontiers dériver.
Brigitte Rémer
Théâtre Massalia/Friche la Belle de Mai, La Cartonnerie, Marseille, jusq’au au 23 février .Espace Diamant d’Ajaccio, le 5 mars. Théâtre de Sartrouville, CDN, du 16 au 19 avril. Grenoble MC2, du 14 au 24 mai. Théâtre National de La Criée, Marseille, les 6 et 7 juin.