L’humanité tout ça tout ça
L’humanité tout ça tout ça,de Mustapha Kharmoudi, mise en scène de Véronique Vellard
Une mère et sa petite fille remettent leur destin entre les mains d’un passeur, pour franchir clandestinement la frontière. Elles quittent un pays en guerre où les hommes meurent au combat et les familles éclatent ; destination la France, avec l’espoir d’une autre vie.
Mais que trouvent-elles de l’autre côté de la frontière, après toutes les embûches du passage ? La mendicité, «amanji siyoupli», la consommation, la tentation, le vol, le rêve sans suite car sans argent : « Maman elle dit oh là là, tout ça tout ça… Je vois les bonbons, j’ai envie le bonbon, je dis rien… Je vois les habits des enfants, je dis maman chérie je veux la robe elle est rose… Maintenant je vois les nounours, je vois les poupées. Je cours, je tombe »… La mère abandonnera l’enfant pour lui permettre de survivre.
Chaque jour, aux frontières, se jouent des destins et se perdent des vies. On ne choisit pas son pays de naissance. Cette lutte de certains, à la recherche de paix et d’un peu de liberté, est un sujet politique et de société, qui nous concerne, tous.
Interdit de séjour au Maroc pendant plusieurs années, militant pour l’intégration des immigrés au Maroc et en France, Mustapha Kharmoudi s’empare du sujet. Il ne nomme pas le pays d’origine, induisant l’universalité du propos, mais illustre l’angoisse du passage et l’incertitude, l’absence de lendemain, par les mots de la petite fille, qui raconte. La ligne de fracture entre l’avant et l’après, la peur de l’autre et la perte des repères, l’exploitation et la commercialisation de la misère, ne laissent pas indemnes.
Et pourtant, je ne suis pas entrée dans l’histoire : est-ce la langue sur laquelle j’achoppe ? Je la trouve, sur le plateau, fastidieuse et appliquée en originalité, une langue minimale, entre le pipicaca de la petite enfance et un dialecte, revu et corrigé :
« La voiture elle s’arrête. Maman elle dit il faut pas tu bouges, il faut pas tu parles. Je dis à son oreille maman j’ai faim ; elle dit plus fort à mon oreille idiote tu penses qu’à ton ventre ; je dis non je pense à la pomme le monsieur gentil il m’a donnée. Elle dit il faut pas tu t’approches de ce salaud. Je dis il est gentil, il m’a fait le câlin, il m’a donné la pomme »…
Est-ce le concept de mise en scène (signé de Véronique Vellard, assistée de Julie Vuoso) auquel je n’adhère pas ? Les ballons blancs, par grappes, qui emplissent le plateau, se veulent-ils signe d’enfance, ballons lestés par des chaussures qui pourraient indiquer la marche vers… les tout petits pas… les chaussures posées en sortie de mosquée ? Après les ballons, allons-y pour les chaussures…
Est-ce le récit de la comédienne, (Caroline Stella), dont la prouesse est déjà de connaître le texte, mais où on ne se retrouve pas ? Pourquoi ce ton, dans la partition, entre le sériel et le surjoué, pour faire comme une petite fille, et sans relief quand elle porte la voix de la mère ou celle du passeur ? Pourquoi la perche-t-on, comme sur un tabouret, n’utilisant pas, de ce fait, l’espace du plateau ? Pour nous rappeler qu’elle est petite?
Je n’ai pas trouvé l’épaisseur des signes, à la Barthes, dans cette « Humanité », ni les plis de Deleuze. Je n’ai pas trouvé la terre mère ni le chaos de l’exil ; il me manque la couleur, l’odeur, l ‘inquiétude intérieure, l’arrachement ; le fil de la détresse vraie, la musique nostalgie et l’angoisse qui tétanise. Ce pays aléatoire, de l’autre côté, vu par ses stéréotypes, est-ce l’unique vision de ceux qui nous rejoignent ?
Le spectacle existe, les lumières de Guillaume Parra donnent de l’intime et le son de Stéphane Monteiro, de la contextualisation ; il est un objet emballé, mais dans l’emballage, je ne trouve pas le trésor annoncé.
Brigitte Rémer
Le Tarmac, 59 avenue Gambetta. 75020, du 12 février au 2 mars
Le texte est publié chez Lansman Editeur, col. Le Tarmac chez Lansman