Ce que j’appelle oubli

Ce que j’appelle oubli , chorégraphie d’Angelin Preljocaj.

 

Ce que j’appelle oubli spec_14_visuelL’histoire débute en 2009 à Lyon par un fait-divers des plus barbares:  quatre vigiles d’un super-marché Carrefour  étranglent et rouent  de coups jusqu’à la mort,  Michaël Blaise, 24 ans qui avait  volé  quelques canettes de bière.
En 2011, Laurent Mauvignier évoquait ce drame  dans Ce que j’appelle oubli, un récit de quelque soixante pages constitué d’une seule phrase. Angelin Prejlocaj retrouve pour la dix-septième fois le Théâtre de la Ville, et il s’est emparé  intelligemment  avec son langage chorégraphique, de ce récit qu’il fait  dire par Laurent Cazanave, entouré de six danseurs. « Pour le chorégraphe, dit Preljocaj, la danse n’est pas que la grâce, et la danse, dont l’instrument est le corps, doit savoir prendre en compte la violence du monde ».
Sur le tapis de danse noir, ses danseurs vont accompagner cette histoire  avec des gestes paradoxalement doux et harmonieux mais d’une force et d’une violence retenue impressionnantes, et sans que cela soit jamais explicatif. « Nez fracturé, poumons perforés, foie éclaté »: les mots entrent en résonance avec les claquements de doigts des danseurs qui  bourrent de coups le pauvre SDF répétant sans arrêt: « Pas maintenant,  pas comme cela, pas maintenant,  pas comme cela… ».
La diction du narrateur est curieusement hésitante-ce qui est un peu gênant au début-mais on finit par s’adapter  à cette musique des mots au service d’un texte d’une réalité cruelle …Et, à aucun moment, la danse n’illustre le texte, qui, pour le chorégraphe, représente un inter-texte d’une grande force évocatrice. Comme souvent chez Angelin Preljocaj, les  lumières de Cécile Giovansili-Vissière sont d’excellence et mettent  bien en valeur le corps des danseurs.
La deuxième partie du récit nous parle de la vie du jeune homme: la musique devient alors plus présente et les mouvements des danseurs évoquent la dimension sacrificielle de ce drame. Le spectacle s’élève alors à une certaine spiritualité. « On meurt et les mots s’évanouissent », répète Laurent Cazanave. Les mots s’évanouissent peut-être mais les images-très fortes-restent en mémoire. A la fin, six petites statues de vierges restent faiblement éclairées, et le noir se fait dans un silence impressionnant.
Angelin Preljocaj part d’une histoire banale où les codes des comportements sociaux explosent dans une société incapable de  maîtriser les terrorismes individuels ou collectifs. La griffe et la dent n’appartiennent plus seulement aux animaux qui tuent pour se nourrir ou pour défendre leur territoire, mais les hommes sont  les seuls êtres  capables de tuer par plaisir!

Jean Couturier

Théâtre de la Ville jusqu’au 5 mars  et du 8 au 10 mars au Cent-Quatre


Archive pour 25 février, 2013

Georges Dandin

Georges Dandin de Molière, mise en scène de Matthieu Penchinat.

A l’origine, une comédie-ballet en trois actes avec une musique de Jean-Baptiste Lully, créée à Versailles en 1668. C’est l’histoire cruelle,  d’un paysan assez riche mais qui ne voulait pas le rester et qui avait épousé Angélique, une belle plante dont les parents Sottenville, étaient  des  nobles de province ruinés… en échange  du remboursement de leurs dettes. On se croirait dans les annonces matrimoniales du Chasseur français avec échange d’une misère contre une autre… Le corps d’Angélique avait servi de monnaie pour que ses parents ne soient pas déshonorés par la ruine financière qui les menaçait. Bien entendu, les  Sottenville auront  vite fait sentir à leur gendre  qu’il n’est pas du même monde qu’eux.
Et les ennuis vont commencer pour Dandin; il apprend de Lubin, son valet,  que la trop belle Angélique écrit en secret à Clitandre, un grand bourgeois qui essaye de la séduire. Il s’en plaint à ses beaux-parents mais les deux tourtereaux nient absolument. Et Dandin, humilié, est sommé de faire ses excuses.
Mais ce n’est que le début et Lubin lui apprend que Clitandre est allé sans aucun scrupules rejoindre Angélique dans sa maison à lui. Le grand Molière avait déjà mis au point à la perfection la scène, héritée des farces du Moyen-Age… qui deviendra, deux siècles plus tard, l’archétype des pièces de boulevard. Surpris cette fois par Dandin lui-même, Angélique renverse la situation devant ses parents en chassant Clitandre, et en lui reprochant de l’avoir agressée sexuellement. Et les Sottenville, naïfs, vont féliciter leur fille. Et encore une fois, Dandin se sera fait berner…
Troisième épisode: Angélique et Clitandre se sont imprudemment donné rendez-vous en dehors de la maison. Et quand Dandin s’en aperçoit, il ferme alors la porte à clé et  regarde par la fenêtre Angélique qui essaye de l’apitoyer sur son sort pour rentrer à la maison. Cette fois, Dandin est sûr de son coup, et les Sottenville vont enfin avoir la preuve qui lui manquait jusque-là! Mais quand ils arrivent, ils voient Angélique à la fenêtre se plaindre amèrement de l’alcoolisme de son mari qui la laisse seule la nuit avec sa servante, pour aller prendre le frais.La ruse marche très bien et Dandin va donc encore se faire engueuler par ses beaux-parents, et devra  une nouvelle fois  réciter des excuses. Humilié une fois de plus, écœuré devant de tant de cynisme et désespéré par ce mariage raté, il dit simplement qu’il va se jeter à l’eau, la tête la première.

Roger Planchon, à deux reprises, s’était emparé de cette pièce au dialogue étincelant mais d’une rare cruauté où le pauvre Dandin, très seul, n’en peut plus de se faire rouler par tout le monde: son épouse dont il découvre petit à petit la méchanceté, voire le sadisme, des beaux-parents sans scrupule qui ne valent guère mieux et des domestiques toujours prêts à soi-disant vous aider contre de l’argent. Et c’est  Claude Brasseur dans la seconde version qui jouait magnifiquement Dandin…
La pièce attire souvent de jeunes metteurs en scène séduits par cette comédie à la fois drôlatique et d’une noirceur épouvantable qu’il est tentant de situer de nos jours… Ce qui est tout à fait possible mais il y faut une intelligence de la pièce qui, ici, est aux abonnés absents: il y a en effet toute une recherche que Matthieu Penchinat s’est bien gardé de faire. Il a cependant réussi à garder l’essentiel de Dandin en concentrant l’action sur soixante-dix minutes et en accentuant l’indépendance de la belle Angélique devant un mariage subi dont elle a été elle aussi la dupe.
Mais Penchinat, qui tient sans  doute à nous signifier que la pièce peut encore nous dire beaucoup de choses sur l’argent, le mariage et les liens familiaux, aurait pu nous épargner nombre d’ anachronismes faciles comme, entre autres,  de  faire ouvrir par Dandin une canette de boisson pétillante et un jus de fruit en bouteille pour faire sans doute contemporain… Quant à M. de Sotteville, il  arrive ainsi en pyjama. Au théâtre, à trop vouloir prouver, on devient vite vulgaire et on rate souvent sa cible!

 La scénographie se veut pleine d’humour  mais réussit  à  être à la fois d’une laideur et d’une inefficacité redoutables. Une moquette verte pour évoquer l’herbe, une boîte à lettres sur pied modèle La Poste en métal vert foncé et deux balustres de fausse pierre pour marquer l’entrée de la maison de Clitandre, et à côté, un  boîte à lettres  en forme de petite maison, un escabeau en bois avec, au-dessus, un garde-manger pour dire la campagne, deux petites chaises paillées espagnoles,  un banc  et la maison de Dandin, caricature de celles que l’on voit dans les livres pour enfants, soutenue par de gros livres reliés, avec un toit en moquette rouge et un tuyau de cheminée en tubes plastique de plomberie. Cela voudrait être drôle et ce n’est que bien vulgaire!
Quand on va chercher le second degré, mieux vaut ne pas faire n’importe quoi et  mieux vaut aussi demander à un véritable scénographe de donner  un vrai sens aux intentions du metteur en scène.

Même chose pour les costumes, accablants de vulgarité: là aussi cela voudrait être drôle mais c’est du n’importe quoi ramassé vite fait chez Emmaüs: Clitandre est en pantalons golf avec  son sac de cannes avec lui, le père Sottenville a un manteau avec un col de renard rouge, etc… Tout cela sonne faux et on se croirait dans un troupe d’amateurs! Tous aux abris! C’est dire aussi que la mise en scène avec  ces curieuses idées, comme la direction d’acteurs ne valent guère mieux: les comédiens minaudent, criaillent et surjouent. Sauf Julien Testard, remarquable,  dont le Dandin est tout à fait crédible, et très en nuances que l’on voit descendre petit à petit dans l’enfer conjugal. La jeune femme qui joue Angélique a du mal au début à imposer son personnage mais sa dernière scène avec Dandin est assez bien vue.
On se demande comment, dans ces conditions, le spectacle peut arriver  à fonctionner, et pourtant,il y a comme cela des petits miracles au théâtre. En effet, comme les comédiens ont tous une bonne diction, cela fonctionne de façon chaotique  sans doute mais, malgré cette mise en scène des plus médiocres, on entend bien, et jusque dans les moindres détails, ce texte tout à fait surprenant de Molière.C’est déjà quelque chose…Le public-quelque 35 personnes-toutes  d’un âge disons très canonique-semblait apprécier. Mais, si l’on est un peu exigeant, le détour ne s’impose pas

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire à 18 h 30.

 

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